« Je ne suis devant mon corps, je suis dans mon corps,
ou plutôt je suis mon corps. »
M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception
Bien trop souvent notre corps est négligé par la société et par nous-mêmes alors qu'en lui tous les apprentissages prennent vie restant bien mémorisés et gravés pour toujours. Qu'est-ce qui fait que nous soyons poussés au déni du corps, de ses apprentissages et mémoires ? Comment nous en sommes arrivés à ce point des fois de non-retour dangereux ? Comment reprendre contact avec la globalité que nous sommes ?
Le point de départ
Tout commence déjà dès notre naissance, dès nos premiers pas, dès nos premières relations avec notre entourage et le monde. Et encore bien plus avant. L'idéal est en effet que les mois de la grossesse se soient déroulés
dans un bain de paix, permettant de se ressourcer et mieux ressentir chaque étape
pour le bébé se formant et grandissant mais, hélas, de nombreuses
personnes pourraient témoigner que cela n'a pas été le cas. Parlons aussi de l'arrivée si importante et significative. Comment elle a été cette venue au monde ? S'est-elle déroulée dans de bonnes conditions ? Le nourrisson a t'il été accueilli avec inquiétude, dans la joie ou avec l'amour de tous les possibles ?
Passons et intéressons-nous maintenant aux premiers mois et années de bébé et à l'établissement du lien familial afin d'apprendre si l'adaptation du nouveau-né s'est réalisée en douceur et sans entraves dans le foyer ou si au contraire il a été nécessaire de faire des suivis médicaux de santé ou bien s'il a fallu demander même assez tôt les services de quelque nounou ou d'une crèche. Que ces mois et années se succèdent dans le bonheur ou pas est à nouveau différent pour chaque personne.
La découverte de la collectivité
D'ici c'est le moment de l'entrée à la maternelle, encore un autre moment parfois critique pour quelques petits vivant très mal la séparation de leurs parents et de tout ce qu'ils connaissent, peluche compris. L'enfant grandit, avec qui il joue et qu'est-ce qu'il aime ? Le petit ou la petite se montre sociable ou en retrait ? Aime-t-il, aime-t-elle participer à des jeux en groupe ou reste solitaire ? Des frais d'apprentissages peut-être à mentionner, par exemple la chute du toboggan, quelque course aux urgences arrivées à l'imprévu.
Si les étapes scolaires sont suivies, de la maternelle au primaire, du primaire au secondaire, du secondaire au collège, du collège au lycée, du lycée aux multiples débouchés possibles de continuation ou fin d'études.
Demandons-nous maintenant, pendant chacune de toutes ces étapes, qu'est-ce qui nourrit ou perturbe un bon rapport avec notre corps ? Tout, tout ce qui passe est important. Quand nous sommes tous petits, nous passons des sensations j'ai faim, je n'ai pas faim, j'observe, c'est le moment de besoins à un prendre conscience de tout ce qui nous entoure. Tout dépend de la sensibilité de l'enfant. De la sensibilité de sa peau. Du lien bien ou mal établi. Le simple tact au contact de maman ou papa, de la crème, d'une serviette ou de l'eau peut être rassurant ou inquiétant pour le tout petit. Et puis, que tout se passe bien dans toutes les étapes familiales ou éducatives d'apprendre à apprendre et de connaître les autres qu'il n'y ait pas les encore trop souvent cas d'harcèlement ou d'agression verbale et physique.
« Il n’est pas vrai que le mal, la destruction, la perversion fassent nécessairement partie de l’existence humaine, même si on le répète sans arrêt. Mais il est vrai que le mal se reproduit sans cesse, et qu’il engendre pour des millions d’êtres humains un océan de souffrance qui pourrait être évité. Lorsque sera levée l’ignorance résultant des refoulements de l’enfance, et que l’humanité sera réveillée, cette production du mal pourra prendre fin. »
Alice Miller, La connaissance interdite : Affronter Les blessures de l'enfance dans la thérapie
Allô le corps ?
Si l'on analyse, à quels moments notre corps a été interpellé, nous nous souviendrons grosso modo de la transition de la préadolescence à l'adolescence, les premiers amours, la majorité et après de la vingtaine ou la trentaine des années accompagnées de relations instables, mûres ou réfléchies ou continuation de célibat, l'arrivée ou pas d'enfants et leurs transitions et ainsi de suite jusqu'à la vieillesse.
Les seuls passages de mise en question du rapport avec notre corps commencent par des évolutions que l'on constate en face de la glace, par ce que nous entendons sur notre corps autour de nous, de sa spécificité de genre masculin ou féminin nous dira-t-on avec la dose et fardeau d'étiquettes associées à revoir et à élargir pour que toute la diversité LGBTIQQA2s+ y soit comprise, des vaccinations ou visites médicales, le cours d'Éducation Physique Sportive, tout juste quelque cours d'anatomie fait et puis les apprentissages ou malheurs avec notre corps si mal connu.
Alors, pourquoi devrait-on nous surprendre que notre relation au corps soit si difficile ? Rien n'a rendu cette approche facile. C'est pour cela que plus nous nous soucierons et faciliterons cette découverte sur comment et ce qu'est notre corps, qui nous sommes avec lui, plus l'entendement de tout le reste suivra. Oui, car notre corps est notre force motrice et il doit être alimenté, nourri, exercé et protégé.
Comment passer d'un corps négligé à un corps respecté ?
En facilitant que cette relation au corps puisse être établie proprement dès l'enfance au reste des étapes par un meilleur apprivoisement. En incorporant dans toutes les étapes éducatives des activités variées de tous les domaines, des jeux et des livres qui mobilisent plus cette belle relation à entretenir avec le corps tout au long de la vie.
Le grand préalable, c'est que ces apprentissages aient pris de la force au milieu familial, par observation, par imitation, par cet apprendre des parents aux enfants de connaître les parties du corps en les nommant tout naturellement et en incorporant à la fois la sensibilité et l'ouverture envers autrui différent à nous.
Nombreux sont les bienfaits procurés par l'incorporation aux établissements scolaires de la psychomotricité, de la pratique sportive pour tous, de l'éducation à la vie affective et sexuelle ainsi comme l'inclusion ou dérivation vers des accompagnements en orthophonie.
Et autant d'autres grandes pistes qui s'ouvrent à nous pour que notre corps soit pris en compte :
- du yoga-pilates à la sophrologie (le corps présent qui se revitalise, le tout qui s'améliore)
- de la méditation au mindfulness (gagner en sérénité, mieux respirer, mieux lâcher-prise des évènements)
- du dessin à la photographie (les traits qui nous apaisent, les photos qui nous permettent d'oser changer de regard et opinion)
- du théâtre à l'art d'improviser (être quelqu'un d'autre pour être plus soi-même, sentir le corps, savourer les mots)
- de l'atelier de poterie à l'art-thérapie (le toucher qui prend forme, l'art qui libère ce qui doit être libéré)
- de l'atelier de voix ou de chant à l'atelier d'écriture créative (le chant, plus d'énergie qui circule en nous; l'écrit qui éclaire)
- du jardinage et du jardin potager à la cuisine (le jardin de notre corps à être soigné comme les plantes, le goût de la vie)
- de la danse ou mouvement libre ou percussion corporelle à la biodanse ou à la musicothérapie (et tout se démêle)
- de mieux connaître grâce à la biographisation nos propres histoires de vie à celles des autres (mieux se connaître et avancer)
« Nous appellerons biographisation l’ensemble des opérations et des comportements par lesquels les individus travaillent à se donner une forme propre dans laquelle ils se reconnaissent eux-mêmes et se font reconnaître par les autres. Cette prise de forme a une dimension réflexive et autoréférentielle dans le sens où elle consiste à rapporter les situations, les événements au foyer d’un soi-même. Dans ce sens, la biographisation apparaît comme une herméneutique [Science de l'interprétation des textes] pratique, un cadre de structuration et de signification de l’expérience s’exerçant de façon constante dans la relation de l’homme avec son vécu et avec son environnement social et historique. »
Christine Delory-Momberger, La recherche biographique ou la construction partagée d’un savoir du singulier
Tous ces apprentissages nous transforment. N'oublions pas que lorsque le
formateur·trice s'améliore, se livre à l'introspection et se surpasse, ses apprenants aussi.
Le tout afin que les corps appris et écoutés deviennent des corps
d'enseignants et apprenants bien habités pour un mieux apprendre, vivre et
partager ensemble la belle aventure qu'est la vie faite de grands
apprentissages et de beaux moments eurêka où la connexion à l'instant
présent nous apporte des réponses là où on ne les attendait pas.
« Lorsque mon corps est droit
est mon souffle apaisé.
Je me tiens sans effort.
Relié(e) à la terre.
Érigé(e) vers le ciel.
Ma présence est entière.
Mes actions, mes paroles
ainsi que mes pensées
justes à ma mesure.
J'irradie la lumière
et je sais qui je suis. »
Yaël Bloch, Se tenir droit
Image par Stefan Keller de Pixabay
Références :
DELORY-MOMBERGER, C. (2017). Éprouver le corps : Corps appris, Corps apprenant. Éditions Eres.
https://www.decitre.fr/ebooks/eprouver-le-corps-9782749249995_9782749249995_1.html
DELORY-MOMBERGER, C. La recherche biographique ou la construction partagée d’un savoir du singulier. Carnets de recherche sur la formation. URL : https://crf.hypotheses.org/136
DELORY-MOMBERGER, C. (2019). Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique. Éditions Eres.
BLOCH, Y. (2020). Se tenir droit. Éditions La Plage.
https://www.decitre.fr/ebooks/se-tenir-droit-9782842217112_9782842217112_9.html
MILLER, A. (2018). La connaissance interdite : Affronter Les blessures de l'enfance dans la thérapie. Éditions Champs essais - Psychologie et psychanalyse.
https://www.decitre.fr/livres/la-connaissance-interdite-9782081289482.html
MONTAUD, B. (2020). D'où je viens ? Où j'en suis ? Où je vais ? : Trois psychanalyses corporelles pour y répondre. Éditions Dervy.
https://www.decitre.fr/ebooks/d-ou-je-viens-ou-j-en-suis-ou-je-vais-trois-psychanalyses-corporelles-pour-y-repondre-9791024204178_9791024204178_9.html
MORAIS, S. Dans la relation pédagogique pour soutenir l'expérience.
URL: https://docplayer.fr/195479796-Dans-la-relation-pedagogique-pour-soutenir-l-experience-de-la-sylvie-morais-ph-d-sciences-de-l-education-uqac-creation.html
MERLEAU-PONTY, M. (2013). Phénoménologie de la perception. Éditions Gallimard.
https://www.decitre.fr/livres/phenomenologie-de-la-perception-9782070293377.html
ROBERGE, A. (2021). Aborder la question des diversités sexuelles et de genre en classe. Thot Cursus.
URL : https://cursus.edu/22446/aborder-la-question-des-diversites-sexuelles-et-de-genre-en-classe
Voir plus d'articles de cet auteur