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Publié le 03 mai 2021 Mis à jour le 03 mai 2021

Un aperçu des stratégies de monétisation des jeux développés en Afrique

Le plaisir de jouer et de faire jouer

Avec autorisation de Letiarts.com

Je partage l’avis de George Ahere, CEO de Weza Interactive Game lorsqu’il cite la monétisation comme un des freins à l’économie des jeux vidéo sur le continent africain. En général, il existe plusieurs modèles de monétisation d’un jeu vidéo mobile :

  • l’achat unique et définitif (pay to play),
  • les micro-transactions,
  • le free-to-play, la publicité,
  • le pay-to-win etc.

Différents modèles sont cependant combinés par les développeurs en fonction de la nature du jeu et de l’environnement fiscal, technologique et culturel.

Pay as you go : De l’achat intégral et définitif aux achats intégrés et répétitifs

Le pay to play (P2P) est le modèle de monétisation le plus classique où l’on paye une seule et unique fois pour posséder le jeu.

Typiquement, ce sont des titres comme Super Mario, Prince of Persia, Age of Empire. C’est le cas pour le jeu PC de stratégie politique, Democracy 3 Africa de Positech Games.

Par contre, peu de jeux mobiles africains emploient ce modèle. La culture vidéoludique étant encore embryonnaire, les développeurs ne veulent point imposer des barrières à l’entrée pour les potentiels joueurs intéressés.

Les micro-transactions

Il s’agit d’un modèle de plus en plus fréquent, fondé sur des achats ponctuels réalisés par les joueurs[1] pour débloquer, ajouter ou optimiser leur expérience de jeu : les microtransactions. Ainsi, les éditeurs de jeux vidéo ne tirent plus uniquement leurs revenus du modèle économique traditionnel de l’achat unique et définitif du jeu (pay-to-play P2P), mais proposent de plus en plus des achats intégrés afin de débloquer l’accès à des biens virtuels (outils rares, des skins cosmétiques etc.) et services supplémentaires[2]. Ces derniers portent principalement sur deux formes :

  • Les Downloadable Content « DLC », contenus additionnels téléchargeables et le plus souvent payant pour compléter l’expérience du jeu initial. Précurseur des micro-transactions, les DLC ont l’avantage de nécessiter peu de temps et de coût de développement.

  • Le « Game as a Service », proposant des contenus complémentaires optionnels, optimisant l’expérience de jeu sous la forme d’options cosmétiques et/ ou d’articles virtuels tel que des habillages, coffres à butin, monnaies virtuelles intra-jeu. L’utilisation de monnaies virtuelles a connu à ce titre un essor considérable, les développeurs s’employant à fidéliser les joueurs et à susciter leur engagement croissant. Ce fut le cas dans le jeu Afrobeats Warriors de Aphroden.

Comme les achats sont utilisables dans le jeu, les micro-transactions sont particulièrement tentantes pour les joueurs assidus et dévoués. Raison pour laquelle de plus en plus de studios africains utilisent ce système pour monétiser leurs jeux.

Les développeurs de jeux doivent veiller afin de ne pas déséquilibrer de manière significative la concurrence entre les joueurs ou, pire, de ne pas donner aux joueurs le sentiment d'être extorqués (c'est-à-dire qu'ils doivent dépenser leur argent pour pouvoir fonctionner dans le jeu).

La difficulté consiste à trouver l’équilibre[3] dans le prix que les joueurs sont prêts à payer et le temps que les joueurs qui ne veulent pas payer doivent investir pour obtenir cet objet. Mais avec ces achats intégrés, la rentabilité des jeux n’est plus fonction du nombre de ventes mais de sa valeur durant son cycle de vie.

Au-delà du téléchargement payant et des achats intégrés, il existe d’autres modèles économiques explorés par les développeurs africains :

Publicité

Très populaire, ce moyen de monétisation se caractérise par l’apparition de messages publicitaires statiques, dynamiques ou interstitiels[4] dans le jeu. Les publicités incitatives offrent une incitation dans le jeu, comme une monnaie ou un objet spécial du jeu, en échange d'une interaction avec une publicité (par exemple, le visionnage d'une publicité vidéo). Candy Crush par exemple donne un bonus aux utilisateurs s'ils regardent une courte vidéo avant de commencer un nouveau niveau.

Les publicités contextuelles quant à elles sont intégrées dans le gameplay, souvent sous forme d'objets de marque ou dans le décor d'un jeu. On en retrouve sur les panneaux publicitaires dans la ville du jeu Grand Theft Auto.

Et c’est aussi le modèle qu’envisage Olivier Madiba pour le jeu mobile Responsable Mboa du studio Kiroo Game : « Dans ce jeu, certaines compagnies, par exemple Société Générale ou Afriland First Bank pourrait devenir la banque principale des fonctionnaires évoluant dans le jeu, ou les Brasseries du Cameroun pour les liqueurs y apparaissant ».

 D’après lui, ce type de placement pub se révèle plus effectif et tolérable comparé à celui où les messages pubs apparaissent de façon intempestive. Par ailleurs, les outils d’analyse montrent[5] aujourd’hui que les publicités dans l’application améliorent la rétention, la vidéo avec récompense constituant le format le plus efficace. Sont également de plus en plus présents les publicités jouables incitant les utilisateurs à interagir et cliquer vers le lien de renvoi.

Pay to win

Il s’agit ici de payer pour progresser plus rapidement dans le parcours, le gameplay ou les niveaux du jeu.

Certains éditeurs ont mis en place ce système pour réduire la difficulté ou pénibilité du jeu et accorder des plaisirs et privilèges additionnels au joueur. Cela incite par exemple les éditeurs de jeux à développer des monnaies virtuelles (coins ou diamants) jouant un rôle d’intermédiation entre les transactions réelles et leur consommation dans le jeu ou introduire sciemment des « pain points », pour que les incitations à payer soient efficaces.

Leti Arts par exemple utilise Afrocoins, une monnaie virtuelle convertible à partir de monnaie réelle dans l’appli de BD et illustrations Afrocomix que je présente ici. Ainsi : 0.99$ = 7 AfC, 4.99$ =35 AfC et 9.99$=70 AfC.

Le Freemium (Free & Premium)

Il s’agit de jeux mobiles disponible en version gratuite mais avec des fonctionnalités payantes. La partie gratuite, comme une « démo », permet d’attiser l’appétit du joueur et l’inciter à payer pour débloquer l’intégralité du contenu. Pour certains jeux gratuits, le nombre de parties est limité : après une petite heure de jeu, il faut attendre d’obtenir de nouveaux crédits pour pouvoir rejouer. Et si la patience n’est pas votre fort, vous pouvez payer pour pouvoir rejouer directement.

C’est le cas pour le jeu KADE: Ule Mtoi Mrui développé par les frères Salim Busuru et Evans Busuru du studio Avandu au Kenya (Trailer du jeu ici) ou Tales of Hasan développé par Trigger Pixels, gagnant du MTN App Challenge. Le jeu est encore disponible sur Amazon App Store et une démo est ici

Selon l’attractivité des avantages payants concédés, une part des utilisateurs est susceptible de souscrire à des offres premium : c’est la conversion. Ce sont généralement des objets qui accélèrent un petit peu la progression du personnage, des éléments décoratifs … c’est mignon mais pas incontournables.C’est le cas du jeu sud-africain Viscera Cleanup Detail développé par Runestorm.

Les bénéfices engendrés par la niche payante permettent d’amortir une partie des couts de production du jeu. Cependant, ce n’est que lorsque le jeu devient populaire avec un grand nombre de joueurs, que la minorité payante génère des revenus suffisant pour garantir la continuité de l’activité, tout en assurant un coût faible du maintien de la version gratuite. On pourrait classer les jeux Semblance et le jeu d’action 2D Broforce du studio Free Lives, qui furent parmi les premiers jeux africains présents sur Nintendo Switch.

La collecte et l’exploitation des données personnelles.

Les données collectées sur les joueurs peuvent être monétisées afin de permettre aux studios d’améliorer le game design, adapter et offrir des contenus séduisants. Bien que ce modèle économique soit très règlementé en Europe avec le RGPD (règlement général sur la protection des données), la pratique dans les pays africains est encore un peu libérale et la législation peu stricte et appliquée.


Au-delà de ces méthodes de monétisation de jeux mobiles, il existe deux autres, qui pour l’instant ne sont pas très répandu en Afrique : le skin gambling et le loot box. Ici les objets (ou skin) dans le jeu peuvent être virtuellement échangés entre les joueurs et ces derniers passent parfois par des sites internet comme Skinpay pour échanger ces objets virtuels contre de l’argent réel.


Il existe donc plusieurs stratégies de monétisation des jeux produits en Afrique. L’adoption d’une stratégie par rapport à une autre dépend grandement de l’environnement légal, culturel et technologique dans le pays en question. Et les moyens de transactions ou paiement demeurent à ce jour un obstacle crucial pour les développeurs de jeu mobile ou vidéo africains. D’où la nécessité pour les développeurs africains de collaborer avec les entreprises fintech et les gouvernements pour améliorer l’écosystème tant du point de vue légal, technologique que financier.

Références

[1] En effet, les jeux vidéo sont désormais des phénomènes culturels, et les joueurs peuvent vouloir être à la mode, avoir un look spécial pour se démarquer de la masse ou satisfaire un fantasme de jeu initial avec des looks plus fantaisistes.

[2] Un exemple clé d'un tel jeu est Fortnite, qui a généré 2,4 milliards de revenus en 2018 au travers des micro-transactions dans l’appli : https://emoryeconomicsreview.org/private-sector/2020/3/3/the-business-model-of-the-gaming-industry

[3] Le calcul et la détermination de ce prix équilibré a même donné naissance à de nouveaux métiers dans l’industrie des jeux vidéo.

[4] Les annonces interstitielles sont des annonces qui s'affichent automatiquement par intervalles. Les publicités interstitielles sont courantes dans les jeux à progression de niveau, car elles peuvent être affichées entre les niveaux, là où il y a une pause naturelle dans le jeu, ce qui les rend relativement discrètes. Par exemple, Ray-Man Adventure oblige le joueur à regarder une vidéo de 30 secondes après avoir franchi un niveau.

[5] Roberto Dillon and Ori Cohen, “The Evolution of Business Models in the Video Game Industry,” 2013, 101–8, https://doi.org/10.1007/978-981-4560-61-0_12.


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