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Publié le 24 mars 2021 Mis à jour le 24 mars 2021

Beauté sous l’eau [Thèse]

Esthétique et biodiversité des écosystèmes sous-marins

Collectivement, nous sommes au croisement des constats suivants :

  • Notre monde fonctionne dans une logique économique du profit déconnecté de sa relation au vivant.
  • Les ressources naturelles sont exploitées dans une visée industrielle de massification, de simplification, et d’optimisation sans envisager leur régénération.
  • Les Terriens habitent en majorité dans des villes et le système des mégalopoles s’amplifie. Des générations grandissent hors sol nourricier au point qu’on imagine des murs et des toits végétalisés.

Depuis des années, les conséquences font la une des journaux : changement climatique, extinction de masse, affaiblissement du dynamisme des éco-systèmes, perte de résilience.

Pour paraphraser l’éco-anthropologue Eduardo Brondizio, nous avons ainsi collectivement choisi de cuisiner une soupe de poulet avec la poule aux œufs d’or (citation dans Géo).

Redevenir des gardiens de la Terre

Dans le même temps, des peuples autochtones s’organisent en utilisant les moyens mondialisés de se faire entendre. Au-delà des territoires très concrètement défendus et parfois sauvés des projets d’extraction et de transport de pétrole, de gaz, d’exploitation forestière, les gardiens de la nature nous rappellent que celle-ci n’est pas un « environnement », mais que nos « natures » et nos destins sont profondément liés.

Pour ces gardiens, la relation avec la nature est vécue dans sa dimension sacrée. Que faudrait-il aux autres Terriens qui voudraient renouer avec une compréhension vivante de leur dimension naturelle ?

Plusieurs réponses à cela : les initiatives de relocalisation de proximité et de redimensionnement des besoins agricoles (par exemple la Ceinture Aliment-Terre liégeoise), les initiatives de dépollution et de santé, les reconnexions intimes à la nature et aussi… la beauté.

C’est en effet la porte d’entrée de l’esthétique qu’Anne-Sophie Tribot a franchi pour aborder la question de la biodiversité, et plus spécifiquement celle des écosystèmes sous-marins. Dans quelle mesure la valeur esthétique des paysages et des espèces peut contribuer à la préservation de la biodiversité ?

De quelle biodiversité parle-t-on ?

Pour conserver les milieux dans leur pleine vitalité, il convient de les connaître. Nos modalités de connaissance sont moins intimes que celles des gardiens traditionnels de la nature et plus distancées. Notre manière de connaître est scientifique et nous avons collectivement développé des indicateurs pour comparer dans le temps et dans l’espace la vie des écosystèmes.

« La biodiversité est multifacettes [et sa mesure peut être basée] sur les espèces, leur abondance, leurs interactions, ou leur productivité. »

Dans cette recherche, la diversité taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique ont été mesurées :

  • La diversité taxonomique « a été mesurée grâce au nombre d’espèces sur chaque photo ».
  • La diversité fonctionnelle prend en compte la manière dont les organismes répondent et affectent le fonctionnement de l’écosystème. Elle a été mesurée grâce à « des traits fonctionnels sélectionnés et les abondances relatives des espèces ».
  • La diversité phylogénétique reflète la formation et le développement des espèces, leur histoire évolutive. Elle « a été mesurée sur la base des distances phylogénétiques entre les espèces. »

Dans une visée utilitariste, la biodiversité s’entend aussi pour les services qu’elle rend (pour le maintien de la vie humaine !). Ceux-ci sont plus ou moins visibles et compréhensibles, ils appellent souvent une pédagogie pour leur acceptation sociale et le succès des éventuels programmes de conservation.

Parfois, les meilleures pratiques environnementales sont peu esthétiques et peuvent questionner si elles ne sont pas expliquées ou améliorées de ce point de vue.

La beauté comme engagement

L’expérience esthétique dans le vécu de la biodiversité nous invite à l’engagement. La beauté de la nature provoque un sentiment de plaisir ; des études montrent également que l’exposition à la nature a des conséquences restauratrices pour les personnes récupérant de maladies ou déprimées. Les Japonais pratiquent d’ailleurs le Shinrin-yoku, ou bains de forêts.

« La valeur esthétique est […] influencée par (i) la dimension sensorielle, c’est-à-dire l’agencement des formes et des couleurs tel qu’évalué par nos sens ; (ii) la dimension émotionnelle, c’est-à-dire la valeur affective attribuée à l’objet ; et (iii) la dimension cognitive, c’est-à-dire le sens donné à un objet au vu des connaissances, des expériences et de la culture de l’observateur. »

Une grenouille plonge

La chercheuse a mené trois études pour comprendre « dans quelle mesure la perception esthétique est […] une dimension pertinente de la conservation de la biodiversité ».

Première étude, premier objectif. « Évaluer les préférences esthétiques pour des poissons de récifs coralliens, évalués individuellement » :

  • Poissons de récifs individuels.

Deuxième et troisième études, second objectif. « Mesurer le lien entre trois facettes de la biodiversité (taxonomique, phylogénétique et fonctionnelle) et la valeur esthétique de différents assemblages d’espèces » :

Les préférences esthétiques ont été déterminées à partir de questionnaires en ligne. Ceux-ci présentaient des paires aléatoires à partir desquelles le participant devait sélectionner la plus belle image, puis justifier leur choix.

Les résultats

« La teneur du lien entre esthétique et biodiversité est relative à l’échelle de perception. »

À l’échelle des individus, la recherche a montré que les préférences esthétiques sont généralement déconnectées du fonctionnement des écosystèmes. Les attributs visuels les plus attractifs sont partagés par des espèces proches écologiquement. Dans ce cas, le choix esthétique n’est pas forcément garant de la meilleure préservation du milieu.

Ce biais taxonomique est différent selon que les personnes ont été exposées aux milieux sous-marins ou non. En effet, les personnes ne pratiquant pas la plongée sont plus réceptifs aux poissons plus communs, alors que les personnes la pratiquant sont plus sensibles aux poissons plus atypiques, les espèces rares et les gros prédateurs.

En revanche, à une échelle multispécifique, plus proche du paysage, la recherche a montré l’impact positif de la biodiversité sur la perception de la beauté. Avec un effet de saturation de la cognition humaine au-delà de 13 espèces.

« La diversité taxonomique, et dans une moindre mesure la richesse fonctionnelle, ont été les facettes de la biodiversité les plus corrélées aux préférences esthétiques. »

En perspective de sa recherche, l’autrice revient sur le fonctionnalisme, qu’elle pose comme « une approche prometteuse en faveur de la biodiversité ». Elle promeut l’éducation à une esthétique écologique qui serait basée sur la « compréhension et la reconnaissance des fonctions d’un paysage ou d’une espèce ».

Pour finir

Bashō, « le Bananier », écrit :

« Paix du vieil étang.
Une grenouille plonge.
Bruit de l'eau. »

Source image : Pixabay – Marcelo Kato.

À lire :

Anne-Sophie Tribot, Esthétique et biodiversité des écosystèmes sous-marins, Écologie et biodiversité, Université de Montpellier, 2017.

Thèse consultable sur :
https://www.theses.fr/2017MONTT131


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