Notre corps est plus qu'un véhicule
L'idée d'incarnation renvoie à la tradition chrétienne de l'union parfaite de la Personne, du Verbe et de la Nature humaine. Incarner consiste à occuper pleinement un corps, voire un personnage. Quand les attentes sociales sont fortes, chacun est confronté à des modèles de rôle prêts à être joués. Chacun endosse alors celui de l'employé, du conjoint ou du quidam au gré des circonstances. Le numérique et ses codes de communication renforcent encore cette apesanteur dans la présence que l'on accorde aux situations. Il en résulte une impression de relation faussée, alors même qu'une autre injonction sociale nous engage à plus de congruence entre valeurs et actions.
Soyez vous même, les autres sont déjà pris (Oscar Wilde)
Cette sentence nous invite à considérer l'
ikigai, cette recherche de son optimum personnel dans son rapport au monde. Cette excellence serait atteinte par la combinaison d'éléments tels que passion, mission, vocation et profession. L'atteinte de cet optimum engage un travail d'exploration. Mais, cette exploration prend des sens bien différents alors que chacun croit poursuivre le même but de se transformer intérieurement.
Le développement personnel
Il s'agit du terme générique consacré pour désigner la maturation d'une personne sur ses dimensions corporelle, affective, psychosociale voire spirituelle. L'expression a le vent en poupe et draine un nombre incalculable de demandes et de propositions qui s'expriment tout autant dans la formation professionnelle que dans le secteur associatif, culturel ou religieux. Certains mettent en garde sur l'instrumentalisation de ces pratiques dans les entreprises en dénonçant les "managers de l'âme" qui utilisent à leur profit les velléités individuelles de devenir une meilleure personne.
L'hypothèse d'un déploiement
C'est ici l'idée de faire de soi un projet et de le réaliser par étapes successives. Cette façon de faire renvoie à la part de l'objet manipulable selon une visée préétablie. Soi comme objet sur lequel j'ai prise. Je me façonne pour me faire une place dans la société. C'est la promesse de nombre d'écoles, notamment des écoles de commerce qui garantissent l'accès à un emploi modulo l'apprentissage de comportements censément attendus de la part des entreprises. C'est une dérive de l'enseignement, comme je l'ai dénoncé dans un article de recherche "rapport à soi et éthique managériale"
L'hypothèse d'un dépliement
Il s'agit de trouver la forme naturelle découlant des plis de son être. Tout se passe comme si un destin familial, génétique n'avait qu'à s'exprimer pour occuper un espace prévu pour lui. La place désigné dans la famille, dans la lignée ou la communauté. Le dépliement procède d'une optique fataliste et sans surprise. Il consacre le déroulement de carrière selon des jalons bien balisés. Il fait endosser une psycho-généalogie et parfois épouser un chemin contraire à sa nature profonde, puisqu'il s'agit de rester sur des rails. Cependant, des déviances positives, des trajectoires atypiques restent possibles.
L'hypothèse d'une expansion de soi
Elle résonne comme une colonisation d'espace, comme une conquête bruyante de sa place. Elle se limite parfois à l'acquisition d'outils de prise de parole en public, de gestion de ses émotions, ou de techniques qui habillent en surface les comportements sans changer l'ontologie profonde de l'être.
L'orientation de l'être n'est pas toujours interrogée. Il y a là l'expression d'une ambition non contenue, à l a façon d'un Rastignac prêt à tout pour arriver à ses fins. L'actualité est pleine de ses hommes/femmes politiques ou dirigeants de toutes part de la société qui ne rêvent que de s'étendre toujours plus, par le verbe, la présence ou le pouvoir sur les autres.
L'hypothèse d'un retour sur soi
Ce développement procède d'un voyage intérieur et d'une exploration de son potentiel ou de ses talents. L'exploration touche la transformation du lien au monde. Plus que la recherche d'une intériorité c'est d'une liaison à quelque chose de plus grand que soi dont il est question. Le soi est alors moins l'égo de la raison raisonnante de Descartes mais plus l'incarnation d'un lien au vivant qui ne saurait réduire le monde à un empilement d'objets, voire même d'être soi même un objet.
Cette hypothèse procède plutôt d'un accueil de son potentiel, d'une reconnaissance de sa forme et de sa direction. Parfois le retour s'accompagne de l'hypothèse de l'impersonnalisation qui vise rien de moins qu'une disparition de toute forme de reconnaissance pour être simplement en phase avec son propre regard sans s'encombrer des préjugés d'autrui.
Conséquences sur l'altérité en ligne
Le chemin de soi à soi est donc particulièrement varié. L'expression de soi et sa communication aux autres est aujourd'hui touchée par les usages sociaux numériques, ou l'on endosse aussi une identité numérique.
- Comment s'incarner soi-même en ligne en étant plus que des cumuls de clics ?
- Comment et est il seulement possible de dépasser l'expression de quelques pixels pour exprimer une singularité ?
- S'incarner à distance c'est probablement puiser dans tout ce qui nous reste quand le corps est absent. Que dirait Goffman d'interactions avec des contextes distants, imaginés, non strictement partagés ?
En ligne, l'incarnation passe par le choix de photos, d'un pseudonyme, celui d'un avatar de son apparence et de ses couleurs mais aussi selon la fréquence et la nature des interactions avec d'autres.
Faire l'expérience d'un avatar dans un espace de réalité virtuelle. Sentir et doser ses déplacements dans un tel espace, affiner progressivement sa manière d'interagir avec d'autres avatars est une expérience de son
ipséité.
L'incarnation à distance paraît illusoire, car si de nombreuses fonctions et dimensions du soi sont mobilisées. Il manque la carnation, l'être là physiquement (dasein d'Heidegger), le souffle et l'émotion. S'il est possible de développer et d'explorer une image de soi en ligne, de la faire évoluer, de la faire grandir au fur et à mesure que les traces s'accumulent et que les chemins jusqu'à soi deviennent plus nets, la limite réside dans un manque d'événements où les corps se touchent.
Sources
CNRTL ipséité https://www.cnrtl.fr/definition/ips%C3%A9it%C3%A9
Wikipédia - Rastignac - https://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_de_Rastignac
La philosophie Heidegger et le Dasein https://la-philosophie.com/heidegger-dasein
Les managers de l'âme https://www.editionsladecouverte.fr/les_managers_de_l_ame-9782707156235
Ikigai https://pierrecocheteux.com/p-quelle_definition_ikigai
Midi libre. Avec le virus on a fabriqué un milieu qui est en train de nous détruire
https://www-midilibre-fr.cdn.ampproject.org/c/s/www.midilibre.fr/amp/2021/02/14/avec-le-virus-on-a-fabrique-un-milieu-qui-est-en-train-de-nous-detruire-9372084.php
France inter. Sur les épaules de Darwin
https://www.franceinter.fr/emissions/sur-les-epaules-de-darwin/sur-les-epaules-de-darwin-31-octobre-2020
Les nouveaux travailleurs. Comment trouver son Ikigai. Ma méthode en 4 étapes
https://lesnouveauxtravailleurs.fr/comment-trouver-son-ikigai-ma-methode-en-4-etapes/#:~:text=L'ikiga%C3%AF%20est%20une%20philosophie,bonne%20sant%C3%A9%20et%20de%20long%C3%A9vit%C3%A9.
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