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Publié le 10 février 2021 Mis à jour le 10 février 2021

Qu’est ce qu’une interaction en formation ?

Vers des contacts apprenants

Le concept d'interaction

« Interaction » (composé du latin, inter, entre, et actio, action, action réciproque) est un terme ancien  (1876 Littré) : il désigne :

  1. Réaction réciproque de deux ou  plusieurs phénomènes, de deux personnes
  2. L’interaction entre deux corps  (physique), ou deux substances  (pharmaceutique).

L'interaction est une notion utilisée dans une variété d'approches scientifiques, elle désigne des influences réciproques d'éléments en proximité dans un système. La notion  s'inscrit dans des théories de la complexité, concept notamment  développé par les travaux d'Edgard Morin (Abdelmalek 2004). Selon la définition suivante

" La complexité est un tissu dynamique de constituants hétérogènes inséparablement associés" (Parrhesia).

L'approche complexe donne du fil à retordre aux approches traditionnelles de recherche qui s'efforcent de distinguer les plus petits éléments pour les saisir et les comprendre pris isolément les uns des autres. Certains imaginent répertorier exhaustivement des éléments et une multiplicité d'interactions en attribuant des liens de cause à effet. Est-ce seulement  possible dans le foisonnement des systèmes sociaux?

Interactions dans les sciences sociales

L'interaction est une notion à laquelle se confronte un jour tout chercheur en sciences humaines. Elle est définie comme une influence réciproque des éléments distincts d'un système social. Le concept est si présent qu'il semble indépassable. Il a même donné le nom à un mouvement «l'interactionnisme». À l'origine de l'interactionnisme se trouvent les travaux de Goffman (1973), pour lequel les acteurs effectuent un «travail de la signification» à l'occasion de présentations de soi, de civilités, de conversations, de rencontres ou de rassemblements, pour savoir où ils se trouvent, pour se comparer, s’aligner les uns sur les autres et s’ engager dans des activités conjointes.

Par interactions se crée un "ordre social" intelligible par des sociologues ou observateurs. Selon la lecture de Goffman faite par Cefai et Gardela (2012), se créerait un ordre de l’interaction qui existerait comme une « réalité sui generis », distincte de l’ordre légal ou institutionnel. Chacun se maillerait alors dans cet ordre qui prend l'aspect d'un environnement ayant prise sur soi où d'un milieu au sein duquel l'individu se transforme et transforme le réel  par son expérience subjective.

L'approche de la construction sociale de la réalité de Simmel (1999) et d'autres travaux comme  la théorie de l'action communicative cherchent à limiter  le dualisme cartésien entre un sujet et un objet.  En effet, l'interaction pensée de façon mécanique produit de la séparation et des logiques de cause à effet qui coexistent en parallèle. Un ensemble d'interactions tellement nombreuses qu'il n'y a d'autres choix que de simplifier à outrance celles qui sont observées pour obtenir de l'intelligibilité et laisser les autres pour compte. Les résultats sont alors précisément faux.

  • Vrai en apparence parce que mesurés, étalonnés, reproductibles dans un périmètre circonscrit,
  • Faux car en se concentrant sur quelques fils, ils perdent de vue une  trame en mouvement et les influences lointaines d'autres interactions.

Tout se passe comme si un observateur faisait des déductions par exemple, sur la performance d'un entrepreneur local, mesurant et évaluant sa façon d'entreprendre de vendre et de développer son activité alors que la concurrence est dépendante de facteurs inconnus lointains et diffus insaisissables en proximité de la réalité économique concernée.

Et si l'interaction pensée dans le complexe s'intéressait plus aux nœuds qu'aux liens, aux effets d'échelle  ?

Interactions en formation : où sont les nœuds ?

Les observations de chercheur montrent les interactions qui prennent place dans les petits groupes et l'apprentissage et leurs effets en matière de cohésion, de sentiment d'appartenance, d'efficacité collective, de leadership, de vision commune, de résolution de problèmes, d'innovation etc. Il ressort de ces travaux que les échanges d'informations et de ressources favoriseraient le traitement cognitif et l'acquisition de connaissances, mais également la propagation d'émotions, d'affects, la consolidation des buts d'apprentissage.

Les travaux de Sen sur les capabilités et les ressources à activer pour les mobiliser ou ceux de Fernagu-Oudet sur les environnements capacitants sont soutenus par ce soubassement théorique interactionnel.

Les dialogues entre les acteurs jouent un rôle sur le désir d'apprendre, sur la liberté pour le faire et les apprentissages associés. Les dialogues et les différents niveaux de sens auxquels ils se réfèrent se laissent mal enfermer dans une catégorie unique d'analyse. Ils existent et se déploient simultanément tant avec des effets pragmatiques que dans des dimensions symboliques, abstraites, subjectives et personnelles.

Le discours de Bandura sur l'agentivité et l'individu considéré comme une polarité et l'environnement qui l'entoure une autre polarité, occulte que ce qui apporte son caractère vivant à l'apprentissage c'est la trajection au sens de Berque. La trajection est plus que la description du trait qui unie ces deux polarités, la trajection valorise les mouvements, les circulations qui produisent des traces et opèrent des dépôts. C'est ce mouvement et ces traces qui caractérisent un milieu plus que la seule particularisation du monde par un individu qui le perçoit.

Le milieu est mouvement, coaction, dépôt de traces désordonnées de plusieurs individus plutôt que perception juxtaposés ou croisées. Le milieu est constitué de chaînes d'interdépendances entre ses éléments qui s'influencent de proche en proche. Il est formé de déséquilibres dynamiques constamment remis en question. Le milieu social est difficilement saisissable car il est le fruit d'expériences humaines subjectives en train de se vivre et de s'interpénétrer. Il est malléable et évolutif, multi polaire.

S'intéresser aux structures des liens

Comme le propose le docteur en science de l'éducation Grasset (2019) qui s'intéresse aux graphes de relations dans les réseaux, il est possible d'étudier les interactions en ligne, voire de mesurer l'apprenance individuelle et collective. Il serait même imaginable  d'identifier des zones proximales d'apprentissage, mais également des interactions apprenantes ou capacitantes :

  • non verbales : tous les processus qui procèdent par modelage, imitation, synchronicité, miroir, coaction ne nécessitent aucun mot. C'est le jeu des corps dans un espace en lien avec les jeux de  regards, les mouvements des mains et des corps et les jeux de place, les rythmes et les enchaînements de gestes qui donnent un flow particulier à des temps passés ensemble;

  • verbales :  les activités langagières sous toutes leurs formes participent de cette zone.

Les dialogues entre les apprenants sont particulièrement précieux à susciter, et à observer.  Les flux d'échanges en ligne et toutes les interactions en ligne sont désormais traçables et vont nous apprendre de nouvelles choses sur nos façons d'interagir et d'apprendre ensemble.

Sources

Buchs, C., Lehraus, K., & Butera, F. (2006). Quelles interactions sociales au service de l’apprentissage en petits groupes. Apprentissage et enseignement. Sciences cognitives et education, 183-199

Morrissette, J., Guignon, S., & Demazière, D. (2011). Introduction.'De l’usage des perspectives interactionnistes en recherche'.

Grasset, R. (2019). Apprenance et équipes de travail: mise à l’épreuve d’une évaluation individuelle du rapport à l’apprendre dans les interactions des collectifs (Doctoral dissertation, Université de Nanterre-Paris X)

Frimousse, S., & Peretti, J. M. (2020). Apprenance: serial learner et rebel talent. Revue Management Innovation, (1), 27-37.

Goffman, E., & Accardo, A. (1973). La présentation de soi. Les Ed. de minuit.

Cefaï, D., & Gardella, E. (2012). Comment analyser une situation selon le dernier Goffman. D. Cefaï, & L. Perreau (Éds). Erving Goffman et l’ordre de l’interaction, 231-263.

Abdelmalek, A. A. (2004). Edgar Morin, sociologue et théoricien de la complexité. Sociétés, (4), 99-117.

Simmel, G. (1999). Sociologie: étude sur les formes de la socialisation (p. 347). Presses universitaires de France.

Berger, P. L., Luckmann, T., Taminiaux, P., & Maffesoli, M. (1996). La construction sociale de la réalité (Vol. 2). A. Colin.

Revue savoirs https://www.cairn.info/revue-savoirs-2005-2-page-87.htm 

Parrhesia - Qu'est ce que la complexité ?
https://www.parrhesia.fr/blog/complexite-episode-1-qu-est-ce-que-complexite-en-3-definitions-base

Chaskiel, P. (2004). Communiquer ou contracter : George h. mead en dilemme. Réseaux, 127-128(5-6), 233-251. https://doi.org/

Monnet, E. (2007). La théorie des «capabilités» d’Amartya Sen face au problème du relativisme. Tracés. Revue de Sciences humaines, (12), 103-120. 
https://journals.openedition.org/traces/211
                                                       

Manag Educ Les environnements capacitants - https://www.youtube.com/watch?v=sQCaZTD-7wQ 

 La théorie d'Albert Bandura - Synthèse  https://ent2d.ac-bordeaux.fr/disciplines/hotellerie/wp-content/uploads/sites/46/2018/05/BANDURA_Theorie.pdf 

"L'hypothèse mésologique : histoire, évolution, trajection" - Augustin Berque 
https://www.youtube.com/watch?v=x3jmaoLjyVg


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