Voyager en 2077 dans une société cyberpunk, devenir un
viking navigant vers l’Angleterre du IXe siècle, se balader dans le Paris de la
révolution, chasser et survivre dans un monde de fantaisie rempli de monstres du Jurassique, voilà ce que peuvent permettre les jeux vidéo. De nombreuses
stratégies sont déployées pour augmenter la sensation d’immersion des joueurs
dans ces mondes alternatifs. Ces stratégies consistent à des stimuli en
provenance d’un logiciel, en réponse à une action, un comportement, ou encore à
un événement de la trame narrative du monde virtuel dans lequel il est plongé. Comment pourrait-il en être autrement ?
Dans la majorité des cas, l’immersion du joueur dépend de
son focus, de son habilité à se concentrer, se connecter émotionnellement sur
le jeu et son contenu. Et si cela était l’inverse ? Et s’il était possible
d’inverser le rapport d’attention entre utilisateur et logiciel ? Si au lieu
d’être le récepteur de l’information, l’utilisateur devenait l’émetteur de
l’information à partir de laquelle le logiciel ou le jeu adapterait sa trame
narrative ?
Imaginez alors un jeu dans lequel le temps pourrait se distordre en
fonction de votre pouls ; où un personnage demanderait si vous êtes nerveux en
fonction de la crispation de votre mâchoire où, dans le contexte d’un
logiciel éducatif, les exercices proposés seraient adaptés à l’appréhension que
vous avez avant de les réaliser. Vous voici en plein dans le sujet du travail
doctoral de Viviane Gal, un voyage entre le vivant et le technologique, le réel
et le virtuel intitulé :
« Vers une nouvelle Interaction Homme Environnement
dans les jeux vidéo et pervasifs : rétroaction biologique et états émotionnels
: apprentissage profond non supervisé au service de l’affectique ».
Pourquoi lire cette thèse
Le plus appréciable dans cette thèse est la trame narrative
et la sensation que l’auteure veille sur son lecteur et l’accompagne afin de
prévenir tout accroc théorique pouvant le bloquer dans sa compréhension et
faciliter l’intrication et la compréhension de sujets aussi distants que
complexes tels que la psychophysiologie des émotions ou encore les différentes
méthodes d’analyse de signaux non supervisées.
L’un des points à la fois
positifs et négatifs de cette thèse est l’humilité de l’auteure. Cette humilité
est constante tout au long de la thèse et reste fondée la plupart du temps ;
il est en effet primordial de rester conscient que nous faisons partie d’une
communauté plus grande que soi lorsque nous faisons de la recherche. Néanmoins,
quelquefois cela tend à réduire l’intérêt et l’impact de nos travaux.
C’est un
peu le cas ici, où l’auteure rappelle que ces résultats ne sont que des
prémices de quelque chose de plus grand. Nous pouvons alors nous poser la
question suivante : est-il plus important d’ouvrir une porte ou de la
franchir ? Ce travail de recherche ouvre indéniablement une voie qui lui est
propre et trace un sillon qui permettra la réalisation de nombreux travaux de
recherche. C’est dans ça que réside la beauté de cette humble thèse.
Question de recherche
L’Homme est un organisme biologique intrigant et complexe en
recherche de moments exceptionnels, de sensations fortes ou encore de
bien-être. Pour vivre ce type d’expériences, il s’est inventé divers moyens et
activités en accord avec sa personnalité et ses attentes, plus ou moins
risquées, dont font partie les jeux vidéo.
Ainsi, il joue
afin de se divertir, prendre du plaisir, s’évader ou encore apprendre. Ces
mondes et projections d’un soi virtuels constituent des alternatives pour
atteindre des aspirations propres à chacun d’entre eux. C’est ainsi par le jeu
et sa perception sensorielle que l’utilisateur recherche des émotions et désire
vivre des moments singuliers pouvant être associés à la compétitivité, la
coopération, la curiosité, le divertissement, le défi, ou à n’importe quelles
autres sollicitations.
L’interface entre l’utilisateur et le logiciel constitue
alors le frein principal d’immersion du joueur dans cette réalité alternative.
L’auteure pose alors la problématique centrale de son travail de recherche :
comment apporter à l’utilisateur cette expérience émotionnelle unique sans
interfaces homme-machine invasives ?
L’objectif de ce travail de recherche est d’identifier et
valider des méthodes permettant d’offrir aux utilisateurs une nouvelle liaison
interactive liée à ses sens et ses états émotionnels pour permettre une immersion
singulière et intelligente en l’absence de dispositifs physiques autres que son
corps.
La finalité serait une machine capable de récolter et comprendre les
informations relatives à l’état émotionnel de l’utilisateur afin de proposer
des réponses et interactions spécifiques. L’émotion du joueur serait alors une
donnée prise en compte par le logiciel qui réagirait alors en conséquence, en
fonction de son contexte, de son histoire, de sa perception, de son analyse, de
son ressenti ou encore de son vécu.
Extrait
Chaque chapitre a constitué une étape marquante de mes
travaux de recherche. Côtoyer l’humain sous différents angles de vision :
biologique, physiologique, psychologique… dans son environnement, sa perception
et son vécu, permet de mieux le comprendre, de répondre plus précisément à ses
attentes, d’entrer en harmonie voir en “homéostasie” avec lui. Vouloir lui
offrir du bonheur, le faire vibrer, lui procurer du rêve ou plus largement des
émotions, quelles qu’elles soient, est une de nos ambitions. L’humain est
vraiment au cœur de notre projet même si pour ce faire nous utilisons des
technologies diverses portées par l’informatique et un univers un peu restreint
pour une meilleure appréhension et compréhension que sont les jeux.
Notre but : proposer une nouvelle Interaction Homme
Environnement dans les jeux vidéo et pervasifs avec rétroaction biologique et
états émotionnels, a déclenché une vague de questions telles que :
- Peut-on
découvrir des états émotionnels à partir de mesures physiologiques issues de
bio-capteurs de contact ?
- Si oui,
ces capteurs peuvent-ils être remplacés par des dispositifs distants, donc non
invasifs, et produire les mêmes résultats ?
En résumé
Le résultat principal de cette thèse est la mise en place d’une
méthode permettant de reconnaitre des individus et de catégoriser des émotions
de manière aveugle, c’est-à-dire être capable les distinguer à partir de
données captées sans pour autant pouvoir leur attribuer un qualificatif (peur,
joie, anxiété…). Ce dispositif rend possible la distinction des profils émotifs
des utilisateurs en vue de la mise en place de rétroactions émotionnelles
Humain-Machine.
La méthode n’est certes aboutie mais le travail de
recherche de Vivianne Gal représente les prémices d'un système d’interaction
Humain-Environnement avec des technologies, non ou peu invasives, capable de
mesurer, interpréter et permettre des rétroactions biologiques spécifiques aux
états émotionnels de leurs utilisateurs.
Relevant de nombreux défis, ces travaux
permettent la mise en place d’une base de décryptage des émotions humaines, en
accès libre et pouvant être optimisée dans des travaux futurs. L’auteure
compare son travail de thèse à une simple brique constituant les fondations
d’un projet transdisciplinaire de plus grande envergure.
Pour vous convaincre d’explorer cette thèse, je me
contenterais de citer les derniers mots de l’auteure
« Les travaux menés dans
cette aventure, que constitue cette thèse, ouvrent la voie à de nouvelles
études ou applications pouvant contribuer à l’analyse des données, de nouvelles
interfaces, interactions Humain-Machine, Humain-Environnement, Humain-Humain…
et finalement à ce que je nommerais l’affectique. »
Science-fiction découlant de cette thèse
Et si nous envisagions des jeux vidéo ludiques sensibles à
nos émotions. Des élèves pourraient alors interagir avec un programme
d’enseignement capable de prévenir leurs phobies scolaires. Un logiciel de
mathématiques pourrait proposer des exercices et problèmes adaptés afin de d'aider à construire son estime personnelle et sa confiance dans
cette discipline ? Il est facile de parler avec des « et si… ».
Ce défi
technologique auquel Vivianne Gal cherche à résoudre est noble. En effet, en
cherchant des technologies peu couteuses, et accessibles à tous, ces travaux de
recherche pourraient permettre des changements sociétaux et pédagogiques plus
qu’intéressants. N’est-ce pas ce que nous appellerions le progrès ?
Bonne lecture !
Soutenue le
09-12-2019 à Paris, CNAM , dans le cadre de l’École doctorale Informatique,
télécommunications et électronique de Paris , en partenariat avec Centre
d'études et de recherche en informatique et communications (Paris)
(laboratoire) .
Sources
Thèse :
Viviane Gal. Vers une nouvelle Interaction Homme
Environnement dans les jeux vidéo et pervasifs: rétroaction biologique et états
émotionnels: apprentissage profond non supervisé au service de l’affectique.
Interface homme-machine [cs.HC]. Conservatoire national des arts et métiers -
CNAM, 2019. Français. NNT: 2019CNAM1269. tel-02477340v2.
Lien thèse :
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02477340v1
Publication associée :
Gal, V. ; Banerjee, S. and Rad, D. V. Investigation of
Emotion Instances and Class Analysis from Physiological Sensors by Unsupervised
Hybrid EMDeep Model. In Journal of Intelligent and Fuzzy Systems, 38 (5):
5999-6017, 2020.
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