Les biens communs, que constituent les écosystèmes
forestiers, représentent les principaux fournisseurs de services écosystémiques
terrestres tels que la pollinisation, l’épuration naturelle des eaux, la
production d’oxygène, pouvant se révéler vitaux pour de nombreuses espèces,
dont l’Homme.
Le bilan de l’activité humaine sur la planète est facilement observable, avec une perte en quelques siècles de 60 % des forêts, en quelques
décennies de 60 % des animaux sauvages, et en quelques années de 60 % des
insectes. Le changement climatique en cours fait partie des nombreuses causes affectant les forêts. L’augmentation des taux de mortalité locale ou massive
des arbres pouvant être associée à des évènements combinant stress thermique et
stress hydrique sont observés de plus en plus fréquemment et de manière plus
intense.
Gueule de bois climatique
La mortalité d’un arbre est, comme celle de l’Homme, un
phénomène naturel pouvant être associé à plusieurs facteurs intrinsèques et
extrinsèques au sujet. Dès lors, cela est difficile d’estimer les proportions
propres à la contribution de chacun de ces différents facteurs dans ce
processus.
Dans sa thèse intitulée « Détermination de l’impact potentiel du
changement climatique sur la mortalité des principales essences forestières
européennes », Adrien Taccoen explore certains déterminants de la mortalité de
fond, qui est la mortalité observée dans un peuplement en l’absence de
perturbations extrêmes, pour les principales espèces forestières européennes au
travers de trois problématiques :
- Quelle est l’importance du changement climatique sur la
mortalité des principales espèces de la forêt européenne.
- Détermination du lien entre les conditions climatiques
moyennes auxquelles les arbres sont soumis et leur sensibilité au changement
climatique.
- Importance du statut social et du stade de développement de
l’arbre sur sa sensibilité au changement climatique.
Le but principal de cette thèse est d’évaluer l’importance
relative des différents facteurs associés à l’augmentation des taux de
mortalité pouvant être reliés au réchauffement climatique, à l’aide d’un modèle
forestier européen.
L’auteur base son travail de recherche sur l’analyse de
données d’inventaire forestier de l’Institut national de l’information
géographique et forestière (IGN) en association avec des données climatiques de
Météo France de 1961 à 2015. À partir d’une population de 372 974 arbres, dont
7 312 arbres morts recensés, l’étudiant a déterminé par modélisation les
déterminants de la mortalité de fond pour 43 espèces d’arbres représentatives
des forêts tempérées européennes.
Pourquoi lire cette thèse
Cette thèse est une compilation de travaux de recherche
présentés sous forme d’articles argumentés et discutés dans laquelle
s’entremêlent des informations climatologiques, géographiques et forestières.
On y retrouve les données habituelles relatives à l’augmentation de la
température liée à l’activité humaine, mais surtout on y découvre la forêt, la
nature de cette dernière, sa composition, son évolution, ses caractéristiques,
et plus précisément la mortalité des arbres qui la compose.
Ce manuscrit est bilingue, mais les commentaires, les
descriptions associés au chapitre/articles ainsi que la discussion finale sont rédigés en français donc, amis anglophobes, ne fuyez pas. L’auteur fait preuve d’autocritique
lors de l’abord des limitations de son travail de recherche ce qui est toujours
appréciable.
Cette thèse explore des données relatives à certaines
espèces d’arbres n’ayant encore jamais été analysées, de plus elle permet de
confronter le lecteur à l’effet du changement climatique ayant eu lieu au
cours des 60 dernières années. Nous rappelant que ce dernier n’est plus
uniquement une abstraction de projections d’un futur plus ou moins proche
discutable par les climatosceptiques, mais un phénomène en cours pouvant être
constaté localement.
Montrer de quel bois on se chauffe - Extrait
« Arbres dominants,
dominés, gros ou petits : des enjeux différents
Il est important de s’intéresser aux gros arbres, car ils
sont un fournisseur majeur de services écosystémiques. Ils ont une influence
sur les cycles biogéochimiques, la mobilisation de ressources en eaux
profondes, l’altération des conditions climatiques et microclimatiques, et
constituent un habitat pour de nombreuses espèces.
Les gros arbres sont
également de grande importance pour la séquestration du carbone et la
production de biomasse. Une étude globale basée sur l’analyse de 5 millions
d’arbres a montré que les 1 % des plus gros arbres en diamètre représentaient
près de 50 % de la biomasse forestière mondiale. Enfin, les gros arbres jouent
un rôle social et culturel très fort.
Concernant le statut social des arbres,
dans le cadre d’une gestion irrégulière, des arbres de toutes classes de
diamètre et statut social doivent être présents dans le peuplement. Les petits
arbres et les arbres dominés sont ceux qui constituent la régénération et les
populations d’arbres matures futurs. Ainsi, il est important, pour des raisons
différentes, de comprendre la réponse des arbres dominés comme des dominants au
changement climatique en cours. Malgré les enjeux, l’importance relative du
statut social et de la taille des arbres dans leur sensibilité au changement
climatique, en termes de mortalité, reste peu connue. »
Conclusion
Parmi les facteurs
associés à la mortalité, 80 % de ces derniers sont associés à la compétition,
au stade de développement, la structure et composition du peuplement ainsi que
l’intensité des travaux sylvicoles. Les facteurs de mortalité environnementaux qui peuvent être reliés directement à l’augmentation des températures
et à la baisse des précipitations constatées dans la fenêtre d’observation des
données étudiées, ne représentent que 6% de ces facteurs et affectent uniquement 45 % des
espèces de l’échantillon.
Lors de son étude approfondie des possibles liens existants
entre la position des arbres le long des gradients environnementaux et la
sensibilité aux changements de températures et de régimes de précipitations,
Adrien Taccoen a pu constater pour des conditions climatiques moyennes chaudes
et sèches, une augmentation de la mortalité causée par la hausse des
températures et la baisse des précipitations pour 9 espèces sur 12.
Le travail
d’analyse effectué permet de mettre en évidence le fait que les arbres évoluant
vers les limites chaudes et sèches de leur aire de distribution présentent une
vulnérabilité exacerbée.
L’évaluation des potentiels liens entre sensibilité au
changement climatique et statut social ainsi que la taille moyenne des arbres a
permis de montrer que :
- Les arbres dominés sont plus sensibles aux augmentations de
température que les dominants ;
- Les arbres dominants sont plus sensibles aux baisses de
précipitations, avec un effet maximal atteint pour les dominants de gros
diamètre;
- La mortalité due aux augmentations de température ou aux
diminutions de précipitations est nettement plus importante pour les arbres
dominés que pour les dominants;
- Le statut social de l’arbre joue un rôle plus important que
la taille de l’arbre.
Grand abatteur de bois
En plus de révéler de nombreuses informations jusqu’ici
encore inconnues pour certaines espèces d’arbres, l’ensemble de ce travail de
recherche d’analyse aboutit à un triple constat. Premièrement, il valide
l’existence d’un lien entre les augmentations de température, les baisses de
précipitations et les taux de mortalité observés chez 45 % des espèces arborées
de la forêt française. Deuxièmement il démontre une augmentation des effets de
ces facteurs pour les arbres évoluant à proximité des limites chaudes de leur
aire de distribution. Et troisièmement, il met en avant que les variations de
sensibilité au changement climatique observables puissent être corrélées avec
le statut social et la taille des arbres étudiés.
Bref, touchons du bois !
Le travail d’Adrien Taccoen mis en perspective avec ceux de
sa communauté permet de mieux comprendre l’effet des changements climatiques à venir sur les forêts françaises et européennes. Les projections proposées contribuent à mieux anticiper les effets de ces changements par le développement et la mise en place de stratégies de gestion
sylvicole adaptées. L’auteur ajoute une brique à nos connaissances en nous
rappelant la complexité des interconnexions entre les facteurs abiotiques comme
la température, et les facteurs biotiques comme les rapports sociaux dans la
dynamique des populations d’arbres constituant une forêt.
Ce travail a été soutenu le 07-07-2020 à Paris, dans le
cadre de l’obtention du grade de docteur délivre par l’Institut des Sciences et
Industries du Vivant et de l’Environnement (AgroParisTech) et a été réalisé par
collaboration de AgroParisTech, l’université de Lorraine et l’INRA : UMR1434.
Sources
Adrien Taccoen. Détermination de l’impact potentiel du
changement climatique sur la mortalité des principales essences forestières
européennes. Sylviculture, foresterie. AgroParisTech, 2019. Français.⟨NNT
: 2019AGPT0004⟩. ⟨tel-02433527v2⟩
Thèse en accès libre :
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02433527
Publication associée à cette thèse :
Taccoen Adrien, Piedallu Christian , Seynave Ingrid, Perez
Vincent , Gégout-Petit Anne, Nageleisen Louis-Michel, Bontemps Jean-Daniel and
Gégout Jean-Claude (2019) Background mortality drivers of European tree
species: climate change mattersProc. R. Soc. B.286 :20190386 - https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2019.0386
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