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Publié le 16 décembre 2020 Mis à jour le 16 décembre 2020

Territoires apprenants : d’abord un renouvellement des imaginaires

Apprendre ensemble pour mener à bien des projets et faire territoire commun.

Source Pixabay

Le retour en grâce de la proximité

Face aux incertitudes, la question de la proximité n’a jamais été aussi présente. Les territoires sont parés de toutes les vertus et ils constitueraient la maille juste, pour un développement social plus harmonieux. Ils ont fait ces dernières années l’objet de nombreuses recherches et observations.

L’idée de territoire apprenant fait le pari de qualités spécifiques d’apprentissage à ce niveau d’organisation humaine. Il postule donc d’effets, tout à la fois d’organisation et d’imagination qui permettent à des territoires d’émerger par autopoïèse (propriété d'un système de maintenir son organisation malgré son changement de composants) et de créer des communs de la connaissance profitables à tous leurs habitants. Les territoires se génèrent d’eux-mêmes à la condition de coopération entre les acteurs qui y vivent d’une part et d’alignement entre les différents niveaux qui le composent d’autre part (individus, communautés, institutions). 

L’idée de territoire apprenant a au moins 20 ans d’âge (Jambes 2001) et le réseau international de l’intelligence territoriale a relevé plus de 400 définitions académiques et pratiques. Si Barthes (2019) met en avant les enjeux d’adaptation de l’éducation aux conditions locales, il est aussi possible de constater que l’on apprend bien plus largement qu’à l’école, chacun apprend en effet de façon informelle tout au long de la vie (Cristol, Muller, 2013). 

Je ne crois pas aux méthodes d’ingénierie coopérative territoriale destiné à un acteur public désireux de créer des territoires apprenants à partir de ses équipements ou de ses établissements éducatifs en suivant des étapes normées. J’imagine plutôt l’utilité de stimuler nos imaginations, de décrire des pratiques et des questions clés pour réussir à coopérer et apprendre ensemble de façon formelle ou informelle, quel que soit notre âge, à la ville comme à la campagne. D’ailleurs, les plans d’aménagement, les projets de rénovations urbaines ou les politiques publiques échouent à désenclaver des régions, des quartiers, des villes quand ils ne rencontrent pas les citoyens.

Il existe de brillants acteurs de terrains, élus et cadres territoriaux, mais les politiques publiques connaissent des limites à leurs actions. Il y a donc d’autres leviers à investiguer qui portent sur l’envie de mise en commun, les utopies d’un autre vivre ensemble qui se bâtissent à l’intérieur et à l’extérieur de l’école, en appui des politiques publiques.

« En ce sens, se revendiquer du « territoire apprenant », c’est poser aussi ce qui peut être une utopie éducative et politique. À l’opposé d’une logique qui confierait l’éducation aux seules institutions légitimes, il impliquerait une forte dynamique communautaire, fondée sur la mobilisation des savoirs de tous sans exclusive au service du développement et de la créativité du territoire » (Bier, 2010).

Il reste à construire une philosophie et une envie coopérative pour s’appuyer sur les individus et les communautés humaines, principales ressources des territoires. 

Il apparaît peu de méthodes sûres pour créer les territoires. Tout au plus celle de l’intelligence et de l’affection collective et de l’envie de faire avec les autres. Au-delà des ressources attribuées, l’un des principaux moteurs identifié pour le développement de territoires apprenants est celui de l’apprendre ensemble. Il s’agit de comprendre où se situe cette envie d’apprendre ensemble, dans quel contexte elle se développe ou bien s’étiole et la façon de la favoriser entre usages naissants et imaginaires.

La forge de nouveaux imaginaires

Selon le dictionnaire Larousse “territoire”  vient du latin, territorium, qui dérive de terra, «terre». Il décrit une « étendue de pays qui ressortit à une autorité ou à une juridiction quelconque ». C'est donc la rencontre d'un relief et de ses occupants, guidé par le besoin de ceux-ci de se reproduire, de vivre et de s'adapter. » C’est une portion de terre habitée et façonnée par des humains.

La notion de territoire est polysémique. Elle fait l'objet d'une variété d'interprétations en fonction des représentations des utilisateurs et des contextes d'usage. Tantôt le territoire renvoie à une réalité géographique marquée par une étendue et une frontière et assorti d'un nom ou toponyme qui le caractérise. Tantôt le territoire renvoie à un ensemble social avec sa langue,  ses marques identitaires,  ou communautaires, ses façons de perpétuer des usages et d’apprendre c'est une construction culturelle et un héritage historique.

Dans le langage administratif, le territoire cerne le périmètre d'intervention d'une politique publique. Le terme s'installe en France dans les années 1970 avec l’expansion du rôle de la D.A.T.A.R (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) et supplante la représentation jusqu’alors dominante des “pays” et des “régions” avec une perspective aménagiste. 

Les décideurs politiques et les administrations le déclinent pour toutes les politiques publiques sociales, environnementales, économiques, culturelles, sportives, sanitaires, urbaines etc. Selon les périodes historiques, le territoire est successivement qualifié de « résilient », « d'inclusif », « sociable » ou de « 0 chomeur longue durée ». Il lui est affecté une qualité ou une  intention en fonction des problèmes rencontrés.

Le territoire est aussi objet d'équipement, d'infrastructures reliées en réseau, comme des routes, des câblages électriques, des circuits d'eaux potable.  Avec la disposition d'émetteurs d'ondes radio, et de relais et de fibres il est alors « numérique » ou « connecté ». Le territoire peut aussi aspirer des intentions de projet, d'innovation ou d'apprenance. Il est alors envisagé dans ses potentialités de développement de ses habitants, tout autant que celle de ses ressources naturelles. Il s'agit alors de réussir, non seulement son aménagement, mais surtout, son développement dans toutes ses dimensions.

Les nouvelles façons des acteurs publics de se coordonner dans l'action, avec des moyens ou des agendas politiques  changent, appelant les territoires à être “agiles”, c'est-à-dire de remettre rapidement en question leurs priorités en lien avec leurs moyens également fluctuants. L'idée  de « territoire en transition » se situe dans un projet politique de transformation sociétale poussant une vision du vivre ensemble plus harmonieuse de la nature et de l'exploitation de ses ressources. L'idée s'inspire du mouvement « ville en transition » qui voit dans la proximité locale un moyen de répondre aux crises qui traversent la société. 

Le terme  “territoire” coexiste avec d'autres comme celui de “patrie” qui ajoute à la dimension géographique et démographique  le sentiment d'une continuité de liens dans la durée, doublée d'attachements spécifiques à une histoire et une vision commune du contrat  social qui unit les habitants du territoire. La patrie embarque en plus une part d'imaginaire, d’habitudes, de référence à des pratiques culturelles tout autant que de rapports interpersonnels et matériels quant au destin commun.

Un espace à redéfinir

Parfois la notion d'espace est aussi utilisée, elle est encore plus polymorphe et imprécise. Elle désigne des ensembles aux contours variables. Elle mélange indistinctement une étendue, un ensemble ou un périmètre selon les textes et les auteurs. 

Deux acceptions de la notion de territoire sont repérables selon Godelier (2010).

"Deux acceptions duales de la notion : une acception “passive” faisant du territoire un lieu déterminé marqué par la connectivité qui y opère, une forme d’équilibre et une acception patrimoniale (d’un patrimoine à conserver) et une acception “active” faisant du territoire le lieu de l’expression de la volonté d’“acteurs”

Pendant que les entreprises évoquent le marché pour qualifier l'organisation de leurs affaires, par exemple le marché asiatique ou nord-américain, la notion de territoire est utilisée par les pouvoirs publics aux échelons nationaux ou locaux pour penser le vivre ensemble ou la gestion des politiques publiques.  Mais, cette notion dépasse la seule description d'un ensemble statistique à usage politique. Elle est dynamique. Elle ne se résout pas à seulement être un concept d'organisation et de choix de quelques décideurs. C'est surtout une réalité vécue par des habitants qui y reconnaissent un sens commun, ancré dans des pratiques quotidiennes.

Le territoire porte nos rapports au monde, car les individus sont géographiquement situés. Ils sont de fait dans une proximité à d’autres. Si de grandes vagues d’industrialisation ou d’immigration les ont déracinés de leurs territoires de naissance et d’attachement, les habitants  doivent apprendre à composer avec les territoires dans lesquels ils vivent. 

Les territoires actuels sont marqués par des mouvements de recomposition, sociaux, économiques mais également identitaires. Apprendre ensemble pour mener à bien des projets apparaît comme un moyen de faire territoire commun.

« Autour du terme générique « territoire apprenant », se déploient actuellement des dispositifs« géo-pédagogiques » partenariaux, hybrides, in vivo, in situ et hors les murs. Dans un contexte favorable à la « territorialisation de l’activité éducative », à  l’apprentissage par la pratique et à l’approche expérientielle. ». (Gwiazdzinski,  Drevon, 2018)

Il est donc question des « territoires apprenants », non comme une description statique mais comme une recherche de ce qui promeut l’apprenance avec des diversités et des anges et niveaux d’observation différenciés.


Sources

Cristol, D. (A paraître), Pour des territoires apprenants : Usages et imaginaires pour apprendre ensemble. Paris : Territorial Editions.

Barthes A. (2019). Quelles significations politiques donner à la territorialisation de l’éducation? dans Champollion (Dir). Territorialisation de l’éducation, tendance ou nécessité. Série Education, ISTE Edition Ltd, Londres 

Bier, B. (2010). « Territoire apprenant » : les enjeux d'une définition. Spécificités, 3(1), 7-18.

Cristol, D., &Muller, A. (2013). Les apprentissages informels dans la formation pour adultes. Savoirs, (2), 11-59.

Godelier, M. (2010). Au fondement des sociétés humaines – Ce que nous apprend l’anthropologie, Flammarion, coll. “champs”, n° 979, Paris.
https://www.decitre.fr/livres/au-fondement-des-societes-humaines-9782081231252.html

Gwiazdzinski, L. Drevon, G. (2018) Territoires apprenants, la pédagogie à l’épreuve.  Diversité n°191, janvier-‐avril 2018

Jambes, J. P. (2001). Territoires apprenants: esquisses pour le développement local du XXIe siècle. Editions L'Harmattan.
https://www.decitre.fr/livres/territoires-apprenants-9782747511674.html


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