Le retour en grâce de la proximité
Face aux incertitudes,
la question de la proximité n’a jamais été aussi présente. Les territoires sont
parés de toutes les vertus et ils constitueraient la maille juste, pour un
développement social plus harmonieux. Ils ont fait ces dernières années
l’objet de nombreuses recherches et observations.
L’idée de territoire
apprenant fait le pari de qualités spécifiques d’apprentissage à ce niveau
d’organisation humaine. Il postule donc d’effets, tout à la fois d’organisation
et d’imagination qui permettent à des territoires d’émerger par autopoïèse
(propriété d'un système de maintenir son organisation malgré son changement de composants) et de créer des communs de la connaissance profitables à tous leurs
habitants. Les territoires se génèrent d’eux-mêmes à la condition de
coopération entre les acteurs qui y vivent d’une part et d’alignement entre les
différents niveaux qui le composent d’autre part (individus, communautés,
institutions).
L’idée de territoire
apprenant a au moins 20 ans d’âge (Jambes 2001) et le réseau
international de l’intelligence territoriale a relevé plus de 400 définitions
académiques et pratiques. Si Barthes (2019) met en avant les enjeux
d’adaptation de l’éducation aux conditions locales, il est aussi possible de
constater que l’on apprend bien plus largement qu’à l’école, chacun apprend en
effet de façon informelle tout au long de la vie (Cristol, Muller, 2013).
Je ne crois pas aux
méthodes d’ingénierie coopérative territoriale destiné à un acteur public
désireux de créer des territoires apprenants à partir de ses équipements ou de
ses établissements éducatifs en suivant des étapes normées. J’imagine plutôt
l’utilité de stimuler nos imaginations, de décrire des pratiques et des
questions clés pour réussir à coopérer et apprendre ensemble de façon formelle
ou informelle, quel que soit notre âge, à la ville comme à la campagne.
D’ailleurs, les plans d’aménagement, les projets de rénovations urbaines ou
les politiques publiques échouent à désenclaver des régions, des quartiers, des
villes quand ils ne rencontrent pas les citoyens.
Il existe de brillants
acteurs de terrains, élus et cadres territoriaux, mais les politiques publiques
connaissent des limites à leurs actions. Il y a donc d’autres leviers à
investiguer qui portent sur l’envie de mise en commun, les utopies d’un autre
vivre ensemble qui se bâtissent à l’intérieur et à l’extérieur de l’école, en
appui des politiques publiques.
« En ce sens, se
revendiquer du « territoire apprenant », c’est poser aussi ce qui peut être une
utopie éducative et politique. À l’opposé d’une logique qui confierait
l’éducation aux seules institutions légitimes, il impliquerait une forte
dynamique communautaire, fondée sur la mobilisation des savoirs de tous sans
exclusive au service du développement et de la créativité du territoire » (Bier, 2010).
Il reste à construire
une philosophie et une envie coopérative pour s’appuyer sur les individus et
les communautés humaines, principales ressources des territoires.
Il apparaît peu de
méthodes sûres pour créer les territoires. Tout au plus celle de l’intelligence
et de l’affection collective et de l’envie de faire avec les autres. Au-delà
des ressources attribuées, l’un des principaux moteurs identifié pour le
développement de territoires apprenants est celui de l’apprendre ensemble. Il
s’agit de comprendre où se situe cette envie d’apprendre ensemble, dans quel
contexte elle se développe ou bien s’étiole et la façon de la favoriser entre
usages naissants et imaginaires.
La forge de nouveaux
imaginaires
Selon le dictionnaire
Larousse “territoire” vient du latin, territorium, qui dérive de terra,
«terre». Il décrit une « étendue de pays qui ressortit à une autorité ou à
une juridiction quelconque ». C'est donc la rencontre d'un relief et de ses
occupants, guidé par le besoin de ceux-ci de se reproduire, de vivre et de s'adapter.
» C’est une portion de terre habitée et façonnée par des humains.
La notion de territoire
est polysémique. Elle fait l'objet d'une variété d'interprétations en fonction
des représentations des utilisateurs et des contextes d'usage. Tantôt le territoire
renvoie à une réalité géographique marquée par une étendue et une frontière et
assorti d'un nom ou toponyme qui le caractérise. Tantôt le territoire renvoie à
un ensemble social avec sa langue, ses marques identitaires, ou
communautaires, ses façons de perpétuer des usages et d’apprendre c'est une
construction culturelle et un héritage historique.
Dans le langage
administratif, le territoire cerne le périmètre d'intervention d'une politique
publique. Le terme s'installe en France dans les années 1970 avec l’expansion
du rôle de la D.A.T.A.R (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) et supplante la représentation jusqu’alors dominante
des “pays” et des “régions” avec une perspective
aménagiste.
Les décideurs politiques et les administrations le déclinent
pour toutes les politiques publiques sociales, environnementales, économiques,
culturelles, sportives, sanitaires, urbaines etc. Selon les périodes
historiques, le territoire est successivement qualifié de « résilient »,
« d'inclusif », « sociable » ou de « 0 chomeur longue durée
». Il lui est affecté une qualité ou une intention en fonction des
problèmes rencontrés.
Le territoire est aussi objet d'équipement,
d'infrastructures reliées en réseau, comme des routes, des câblages
électriques, des circuits d'eaux potable. Avec la disposition d'émetteurs
d'ondes radio, et de relais et de fibres il est alors « numérique » ou «
connecté ». Le territoire peut aussi aspirer des intentions de projet,
d'innovation ou d'apprenance. Il est alors envisagé dans ses potentialités de
développement de ses habitants, tout autant que celle de ses ressources
naturelles. Il s'agit alors de réussir, non seulement son aménagement, mais
surtout, son développement dans toutes ses dimensions.
Les nouvelles façons des
acteurs publics de se coordonner dans l'action, avec des moyens ou des agendas
politiques changent, appelant les territoires à être “agiles”,
c'est-à-dire de remettre rapidement en question leurs priorités en lien avec
leurs moyens également fluctuants. L'idée de « territoire en
transition » se situe dans un projet politique de transformation sociétale
poussant une vision du vivre ensemble plus harmonieuse de la nature et de
l'exploitation de ses ressources. L'idée s'inspire du mouvement « ville en
transition » qui voit dans la proximité locale un moyen de répondre aux
crises qui traversent la société.
Le terme “territoire”
coexiste avec d'autres comme celui de “patrie” qui ajoute à la dimension
géographique et démographique le sentiment d'une continuité de liens dans
la durée, doublée d'attachements spécifiques à une histoire et une vision
commune du contrat social qui unit les habitants du territoire. La patrie
embarque en plus une part d'imaginaire, d’habitudes, de référence à des
pratiques culturelles tout autant que de rapports interpersonnels et matériels
quant au destin commun.
Un espace à redéfinir
Parfois la notion
d'espace est aussi utilisée, elle est encore plus polymorphe et imprécise. Elle
désigne des ensembles aux contours variables. Elle mélange indistinctement une
étendue, un ensemble ou un périmètre selon les textes et les auteurs.
Deux acceptions de la
notion de territoire sont repérables selon Godelier (2010).
"Deux acceptions
duales de la notion : une acception “passive” faisant du territoire un lieu
déterminé marqué par la connectivité qui y opère, une forme d’équilibre et une
acception patrimoniale (d’un patrimoine à conserver) et une acception “active”
faisant du territoire le lieu de l’expression de la volonté d’“acteurs”
Pendant que les
entreprises évoquent le marché pour qualifier l'organisation de leurs affaires,
par exemple le marché asiatique ou nord-américain, la notion de territoire est
utilisée par les pouvoirs publics aux échelons nationaux ou locaux pour penser
le vivre ensemble ou la gestion des politiques publiques. Mais, cette
notion dépasse la seule description d'un ensemble statistique à usage
politique. Elle est dynamique. Elle ne se résout pas à seulement être un
concept d'organisation et de choix de quelques décideurs. C'est surtout une
réalité vécue par des habitants qui y reconnaissent un sens commun, ancré dans
des pratiques quotidiennes.
Le territoire porte nos
rapports au monde, car les individus sont géographiquement situés. Ils sont de
fait dans une proximité à d’autres. Si de grandes vagues d’industrialisation ou
d’immigration les ont déracinés de leurs territoires de naissance et
d’attachement, les habitants doivent apprendre à composer avec les
territoires dans lesquels ils vivent.
Les territoires actuels sont
marqués par des mouvements de recomposition, sociaux, économiques mais
également identitaires. Apprendre ensemble pour mener à bien des projets
apparaît comme un moyen de faire territoire commun.
« Autour du terme
générique « territoire apprenant », se déploient actuellement des dispositifs«
géo-pédagogiques » partenariaux, hybrides, in vivo, in situ et hors les murs.
Dans un contexte favorable à la « territorialisation de l’activité éducative »,
à l’apprentissage par la pratique et à l’approche expérientielle. ».
(Gwiazdzinski,
Drevon, 2018)
Il est donc question des « territoires apprenants
», non comme une description statique mais comme une recherche de ce qui
promeut l’apprenance avec des diversités et des anges et niveaux d’observation
différenciés.
Sources
Cristol, D. (A paraître), Pour des territoires apprenants : Usages et imaginaires
pour apprendre ensemble. Paris : Territorial Editions.
Barthes A. (2019). Quelles significations
politiques donner à la territorialisation de l’éducation? dans Champollion
(Dir). Territorialisation de l’éducation, tendance ou nécessité. Série Education,
ISTE Edition Ltd, Londres
Bier, B. (2010). « Territoire
apprenant » : les enjeux d'une définition. Spécificités, 3(1), 7-18.
Cristol, D., &Muller, A. (2013). Les
apprentissages informels dans la formation pour adultes. Savoirs, (2),
11-59.
Godelier, M. (2010). Au fondement des
sociétés humaines – Ce que nous apprend l’anthropologie, Flammarion, coll.
“champs”, n° 979, Paris.
https://www.decitre.fr/livres/au-fondement-des-societes-humaines-9782081231252.html
Gwiazdzinski, L. Drevon, G. (2018)
Territoires apprenants, la pédagogie à l’épreuve. Diversité n°191,
janvier-‐avril 2018
Jambes, J. P. (2001). Territoires apprenants: esquisses pour le développement local du
XXIe siècle. Editions L'Harmattan.
https://www.decitre.fr/livres/territoires-apprenants-9782747511674.html
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