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Publié le 26 novembre 2020 Mis à jour le 26 novembre 2020

Télécollaboration en Biomimétique [Thèse]

Lorsque les ingénieurs en conception se sentent pousser des ailes de biologistes

Trompe et bras souple

Votre application GPS détermine le meilleur chemin à prendre grâce à un algorithme calqué sur le comportement des fourmis . L’aérodynamisme de trains a été inspiré par les becs du martin-pêcheur ou du poisson-coffre pour certaines voitures . Le velcro a été inspiré par une plante . Un adhésif a été développé en copiant celui de la moule. L’architecture copie la structure de colonies de termites pour économiser de l’énergie . Certains parcs éoliens imitent des bancs de poissons. Des surfaces antibactériennes reproduisent la texture de la peau de requin ...

Et bien tout cela existe, et ce n’est pas la liste exhaustive. L’homme s’est longtemps servi de la nature comme source d’inspiration dans le développement d’outils et de techniques lui permettant de résoudre des problèmes se présentant à lui. Le travail doctoral d’Eliot Graeff présenté dans cet article parle de la collaboration entre la biologie et de l’ingénierie : la biomimétique.

Trouver plus facilement les modèles biologiques appropriés au problème

Dans sa thèse « Innovation bio-inspirée : modélisation d’un processus interdisciplinaire de conception biomimétique outillée et intégration d’un nouvel acteur, le Biomiméticien » Eliot Graeff explore les freins à la pratique de la biomimétique et aux stratégies pouvant être mises en place afin de les résoudre au travers de la problématique centrale : Comment optimiser les étapes centrées sur la biologie du processus de conception biomimétique en tant qu’approche de résolution de problème ?

Il s’agit donc d’étudier le développement de technologie biomimétique du point de vue des ingénieurs. Il part d’un modèle générique de la production des connaissances et technologies en biomimétique de la situation actuelle. Ce modèle met en avant une télécollaboration dans laquelle les ingénieurs explorent le champ du savoir biologique en recherche de solution à un problème donné.

Ce modèle met en évidence un frein lié à la non-expertise de ces acteurs lors de l’exploration de la littérature des divers champs de la biologie en raison de nuances sémantiques et théoriques. L’auteur part de l’hypothèse que ce problème de compréhension est un frein, et qu’un spécialiste qu’il nomme le Biomiméticien serait la solution pour développer la biomimétique hors du contexte académique.

L’étude descriptive et prescriptive se base sur la récolte de données issues de deux sources : les retours d’expériences recueillis par questionnaires d’une population de 33 étudiants effectuant des projets de biomimétiques ; et 15 projets industriels en collaboration avec Anneline Letard et le Ceebios afin de déterminer la chronologie des différentes étapes du processus de recherche et développement de technologie biomimétique dans un cadre industriel.

Pourquoi lire cette thèse

Cette thèse est à la fois éloquente, intéressante, et accessible à une large audience ce qui la rend plaisante à lire. Elle traite de manière simple et claire la relation encore difficile entre ingénierie et biologie dans le processus de recherche et développement d’innovations inspirées du vivant.

Ce qui est le plus appréciable dans ce manuscrit est la précaution prise par l’auteur pour mettre en avant la part de l’aléatoire et du complexe dans les processus de sélection du vivant, évitant tout raccourci laissant penser à une finalité de ce dernier.

Les choix évolutifs ne sont pas les meilleurs, mais les bons, c’est-à-dire qu’ils sont suffisants pour permettre aux organismes de se reproduire face à différentes pressions de sélections spécifiques à leur milieu. Quelquefois, ces derniers peuvent même constituer des handicaps comme la queue surdimensionnée des paons. L’auteur décrit également un historique des sciences de l’ingénieur, des sciences du vivant et des sciences biomimétiques. La biomimétique ne peut pas se résumer à un simple copié-collé de processus vivant selon une vision purement mécanistique telle celle de Descartes et ses animaux-machines, mais plus à une démarche intellectuelle et d’observation aboutissant à un processus cognitif permettant l’émergence d’idées nouvelles.

Cette thèse est un condensé de savoir et de ressources relatives à la biomimétique, restant les pieds sur terre sans jamais survendre cette discipline comme le font les médias. C’est un texte honnête et un travail bien réalisé, abordant de nombreux problèmes d’actualité. C’est une thèse qui rend moins bête comme on les aime. Écrite comme si l’auteur souhaitait faire comprendre son sujet à l’ensemble de ses proches et des personnes peu initiées.

« La capacité du monde vivant à résoudre des problèmes complexes et l’interdépendance locale entre les systèmes biologiques et leurs environnements mènent à la mise en place d’un grand nombre de solutions originales pouvant être utilisées comme sources d’inspiration »
« La vie existe sur Terre depuis au moins 3,8 milliards d’années, 3,8 milliards d’années de résilience et de survie. Chaque génération d’êtres vivants voit ainsi certains représentants survivre suffisamment longtemps pour se reproduire permettant l’émergence d’une nouvelle génération. Par le biais de mécanismes génétiques essentiellement basés sur des erreurs, du hasard, celle-ci apparaît légèrement différente. Plusieurs milliards de cycles plus tard, ces mécanismes naturels conduisent à la complexité et à la diversité des formes de vie aujourd’hui présentent sur notre planète.
Imaginons un instant le nombre incommensurable d’êtres vivants ayant vécu depuis la naissance du premier organisme jusqu’à nos jours. Prenons conscience de la diversité des scénarios que cela représente.

Par son apparition tardive, l’Homme observe cette évolution a posteriori. Il en distingue alors principalement les résultats, ces chemins évolutifs formés d’espèces s’adaptant au cours des âges sous la pression de sélection des contraintes environnementales. L’absence d’intention derrière ce mécanisme fondamental est difficilement acceptable par le raisonnement humain. Il s’agit encore aujourd’hui de l’un des grands mystères de l’univers qui nous entoure, la vie existe sans but connu.
Laissons un instant la considération biologique pour observer ces phénomènes depuis l’ingénierie. Ces trajectoires évolutives apparaissent rétrospectivement comme de remarquables défis d’innovation. L’autonomie, la structuration, l’équilibre, l’interopérabilité, l’adaptabilité, l’efficacité, etc. des systèmes et des mécanismes vivants représentent un savoir que nous commençons à peine à appréhender.

Face aux temps biologiques, la présence de l’Homme sur Terre représente moins de 0,01 % de l’histoire de la Vie. En cette courte période, l’Humain s’est développé comme aucun être vivant ne l’avait fait avant lui, exploitant son environnement jusqu’à épuisement et allant jusqu’à imaginer quitter la planète qui l’a vu naitre. Pourtant, l’Humain d’aujourd’hui et celui d’il y a 300, 000 ans possèdent une forte proximité génétique alors même que leurs modes de vie sont radicalement différents. Le moteur de cette évolution n’est donc pas uniquement biologique… »

Interdisciplinarité : nécessaire et à développer

En conclusion, la recherche scientifique sur les approches biomimétiques, en constante croissance depuis les 30 dernières années, fait aujourd’hui face à la difficulté de concrétiser sa mise en place hors du contexte académique dans les pratiques d’innovation. L’un des principaux freins à cela mis en avant par le travail d’Eliot Graeff réside dans la difficulté d’approcher le monde de la biologie pour des équipes d’ingénieurs, impliquées dans la conception, n’ayant pas de connaissances sur ce champ scientifique, et la difficulté intrinsèque de l’interdisciplinarité.

Ce travail met en exergue l’absence de professionnels formés d’une part à la conception biomimétique et d’autre part aux sciences du vivant, dans le cadre méthodologique. Les résultats, des études descriptives et prescriptives de cette thèse, et ceux de la littérature sur le sujet, permettent d’esquisser le profil type du Biomiméticien : un professionnel spécialisé en biomimétique et formé en biologie.

L’auteur propose la mise en place d’un cursus de formation impliquant des concepts, des méthodes et des outils issus de la biologie, spécifique à la définition des compétences de ce nouveau membre des équipes de conception biomimétique : le Biomiméticien. En outre de cette spécialisation professionnelle, l’auteur propose des outils, dont une plateforme intitulée Linkage visant à faciliter et promouvoir la télécollaboration interdisciplinaire entre les équipes de conception, Biomiméticien, et biologiste.

Attention aux termes employés

Le doctorant rappelle cependant au lecteur un point essentiel pouvant porter à confusion. Dans un monde où le préfixe « bio » est associé à de nombreux termes pour des questions de marketing et d’image de marque. Les technologies issues de la biomimétique n’ont pas forcément un impact écologique neutre ou positif sur l’environnement. Tout dépend de l’intention et des propriétés de chaque projet. L’auteur distingue donc les termes bio-inspiration, bionique, biomimétisme, et biomimétique selon le consensus de la norme ISO/TC266 de 2015.

  • La bio-inspiration : « approche créative basée sur l’observation des systèmes biologiques »
  • La bionique : « discipline technique qui cherche à reproduire, améliorer ou remplacer des fonctions biologiques par leurs équivalents électroniques et/ou mécaniques »
  • Le biomimétisme : « philosophie et approches conceptuelles interdisciplinaires prenant pour modèle la nature afin de relever les défis du développement durable (social, environnemental et économique) »
  • La biomimétique : « coopération interdisciplinaire de la biologie et de la technologie ou d’autres domaines d’innovation dans le but de résoudre des problèmes pratiques par le biais de l’analyse fonctionnelle des systèmes biologiques, de leur abstraction en modèles, ainsi que le transfert et l’application de ces modèles à la solution »

Si ce sujet vous intéresse, si vous êtes à la recherche d’une collaboration, ou si vous commencez une carrière et souhaitez vous impliquer sur la thématique de la biomimétique, je vous invite à consulter la page 84 listant un ensemble de structures de recherche sur les méthodologies biomimétiques internationales. En vous rendant sur leur site internet respectif, vous pourrez trouver des offres de formations, de stages, et de carrière relative à cette thématique passionnante.

Ce travail a été soutenu le 07-07-2020 à Paris, HESAM, dans le cadre de l’école doctorale Sciences des métiers de l’ingénieur (Paris), en partenariat avec Laboratoire Conception de Produits et Innovation (LCPI) (laboratoire) et d’Arts et Métiers Sciences et Technologies (établissement de préparation de la thèse).

Illustration : tirée du vidéo de la thèse présentée.

Sources

Eliot Graeff. innovation bio-inspirée : modélisation d’un processus interdisciplinaire de conception biomimétique outillé et intégration d’un nouvel acteur, le Biomiméticien. Autre. HESAM Université, 2020. Français.

Thèse en accès libre : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02951019

Soutenance de la thèse : https://www.youtube.com/watch?v=ABNo5KWAqYk


Plateforme Linkage de collaboration interdisciplinaire de biomimétique développée par l’auteur :

https://linkage-lcpi.com/

Lien vers son école doctorale

https://www.hesam.eu/smi

Publications associées à cette thèse

Graeff, E. ; Maranzana, N. ; Aoussat, A. (Soumis le 07/24/20) : Biological fields, the missing pieces of the biomimetic puzzle Bioinspiration and biomimetics.

Graeff, E. ; Letard, A. ; Maranzana, N. ; Aoussat, A. (Soumis le 16/02/20) : From practical to an interdisciplinary process Research in Engineering Design.

Graeff, E. ; Maranzana, N. ; Aoussat, A. (2020) : A shared framework of reference, a first step towards engineers' and biologists' synergic reasoning in biomimetic design teams, Journal of Mechanical Design.

Graeff, E. ; Maranzana, N. ; Aoussat, A. (2019) : Biomimetics, where are the biologists? Journal of Engineering Design., 30, 289–310.


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