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Publié le 25 novembre 2020 Mis à jour le 25 novembre 2020

Halte au tout numérique en formation !

Apprendre en toute humanité

Source Pixabay

La délitement de la médiation sociale

En formation et en éducation  le tout numérique est un poison destructeur de convivialité, de liens et de désirs d'apprendre auquel nous cédons par facilité et manque d'imagination pour faire face aux contraintes sanitaires. Cette situation est délétère et produit des dégâts à court et moyen terme sur les cerveaux et la société.  Elle engage un véritable altericide, c'est à dire un appauvrissement de la figure de l'autre, quand bien même l'autre est le chemin essentiel par lequel passer pour se construire soi-même.

En voici quelques effets et symptômes de cette volonté de faire comme si les fondements même de l'éducation et de la formation ne devaient pas changer alors que l'autre se réduit à une icône en ligne :

  • survalorisation cognitive et perte d'émotion dans des relations distantes sans engagement du corps, avec une présence mentale en pointillé et la possibilité de se retirer d'une relation d'un clic sans sommation;

  • atrophie  de la richesse du non verbal dont les enquêtes de Méhrabian nous rappellent qu'il constitue 85% de la communication humaine;

  • isolement et perte de ressources sociales de collaborateurs ou d'étudiants nouveaux dans une entreprise ou dans une ville sans proche ou sans amis, solitude interactive;

  • détérioration de l'image de l'autre distant déformé, tronqué, invisible dans sa complétude et dans ses gestes;

  • exposition massive à la publicité sur écran, sur sollicitation des ressources attentionnelle, fatigue nerveuse et visuelle, décrochage, épidémie de myopie (40% de la population française);

  • dégradation des formes de médiation aux savoirs, notamment par étiolement du rôle modélisant de l'autre  car nos facultés d'apprentissage par observation et imitation sont restreintes;

  • réduction drastique des sens utilisés pour apprendre. S'il reste possible de voir et d'entendre l'odeur, le toucher les déplacements  et changement d'angles de vue sont impossibles, le cerveau est stimulé de façon routinière;

  • perte de repère par une place relative des corps dans l'espace impossible. La connaissance est littéralement désincarnée. Elle perd toute la force de la présence et de la tension du geste d'après qui maintient un suspens;

  • perte de vibration, de souffle, de respiration, de bruissement d’un groupe et des effets de résonance et de propagation qui motive pour apprendre par un effet de coaction. Et en corollaire affaiblissement du sentiment d'efficacité collectif et de la fierté d'apprendre ensemble;

  • incohérence entre : asservissement devant un écran qui réduit la vie et le mouvement et le  rythme extérieur individuel ou d'un espace personnel décalé, d'où un affaiblissement de l'empathie.

Le postulat de base du tout numérique  repose sur l'idée de la perpétuation du système avec pour seule variable d'ajustement la technologie. Pourtant les finalités éducatives, la hiérarchie des savoirs basée sur " l'excellence", l'accès aux connaissances, les sources et les formes de diffusion sont pour le moins inefficaces pour répondre aux enjeux et désordres actuels.

Plus du même système avec pour seul changement  de la technologie palliative est une illusion. À l'occasion d'une conférence auprès d'une centaine de spécialistes de l'éducation de différents ministères français  je posais la question « quelle est la tendance pour un scénario du futur de l'éducation le plus probable ? » 67% d'entre eux pointaient le scénario technologique devant un scénario social, puis un scénario de transformation des identités ou bien un scénario de mutation et de poly fonctionnalisation des lieux. Cette réponse  écrasait toutes les autres.

Mais à la question quel est le scénario le plus désirable, la majorité se portait sur le scénario d'évolution sociale à plus de 53% laissant le scénario numérique loin derrière avec seulement  7% d'approbation. Cet indice recueilli atteste d'un numérique subi  plutôt que choisi et nous incite à plus de créativité dans nos façons de vivre des liens en proximité. Ne serait-il pas temps de réhabiliter le social et les communautés de proximité dans nos modes de vie ? 

Que faire ? Désobéir ?  Résister à  l'évidence. innover pour sûr !

Il nous est indiqué que le numérique est la solution ultime quand il est impossible de se déplacer et de se  rapprocher les uns des autres physiquement. Cette facilité intellectuelle empêche d'imaginer des solutions créatives. Non content d'appauvrir les relations et d'enrichir des géants d'Internet, les solutions  numériques sont finalement rarement innovantes et ne font la plupart du temps que singer le monde analogique. La formation numérique n’est ni mieux ni pire en matière d'apports de contenus mais indéniablement moins humaine, moins sensuelle, et moins collective. Proposons des alternatives:

  • Se munir de tenue de protection intégrale
    Si les virus se développent dans le futur, pourquoi ne pas miser sur des tenues de protection plus étudiées ? Des textiles intelligents ne sont-ils pas souhaitables pour anticiper des situations dégradées ? Des deuxièmes peaux tueuses de virus sont-elles possibles?

  • Tourner son  regard vers soi plutôt que vers un écran
    Les lunettes de réalité virtuelle, les écrans à n'en plus finir finissent de nous troubler la vue, alors pourquoi ne pas faire preuve d'introspection et tourner son regard vers l'intérieur de soi. Les bénéfices de la méditation ne sont plus à démontrer. Bien avant que Matthieu Ricard ou Christophe André ne professent l'art du silence et de la respiration les exercices proposés au XVe siècle par Saint Ignace de Loyola aidaient à développer sa force de discernement, une meilleure emprise sur soi.

  • Apprendre dans les micros communautés familiales ou de voisinage
    Pourquoi ne pas profiter pour apprendre en famille ou en proximité avec des voisins (cf les hypervoisins)? La cellule familiale est intergénérationnelle partage des espaces, une histoire commune, a du temps à passer ensemble, pourquoi ne serait-elle pas une équipe apprenante au service d’un projet commun? A quelle condition cela pourrait-il être possible ? Le temps des contes et transmission de tradition à la veillée est-il revenu ?

  • Interroger le potentiel des situations de travail
    Apprendre en situation de travail reste une opportunité exceptionnelle à la condition de prendre le temps d'envisager les relations avec les fournisseurs, les clients ou les collègues comme le moyen d'apprendre.

  • Déployer de nouveaux usages du coaching et de toutes les relations duales
    L'éloignement des individus n'est pas absolu, il y a toujours la possibilité d'utiliser les pratiques du dialogue à deux ou de l'observation d'un expert pour apprendre de nouvelles choses en proximité. C'est la bonne occasion d'explorer les puis de sciences à proximité de les interroger de les observer d'accepter leur transmission. Et si des maîtres inactifs étaient près de chez soi?

  • Utiliser le génie des lieux
    Se vêtir chaudement, et se retrouver en extérieur ou pourquoi pas sous l'eau ? Pourquoi ne pas utiliser le geni loci pour apprendre. De nombreuses leçons de vie sont dans la nature dans ses reliefs prêt à être saisies. À l'écart des flux humains quelques-uns peuvent arpenter une montagne se réfugier dans la nature pour continuer à apprendre.

  • S'organiser en micro groupes de proximité
    L'un des meilleurs moyens demeure de créer autour de soi de micro groupes ou cercles d'apprentissage de choisir un thème d'intérêt commun et de s'enseigner mutuellement. Un groupe de 3 ou 4 complices est suffisant pour amener la chaleur humaine et le surplus de motivation nécessaire.

Adapter nos pratiques et rester nous-mêmes

La résistance à la fatalité est une constante humaine. L'adaptation aux situations même les plus désespérantes reste possible. Lorsque des empêchements de se regrouper ou de partager surviennent  il s'agit d'adopter les armes des résistants et des clandestins, d'augmenter la proximité sociale de jouer de la solidarité familiale et de voisinage. De devenir son propre enseignant tout en partageant ses ressources avec les autres.

Plus que jamais la manière d'apprendre dénote la manière de vivre ensemble. Passer sa journée devant un ordinateur ne rend pas spécialement plus humain. Nous avons le choix d'aérer nos cerveaux d'approfondir le sens de nos apprentissages, de résister aux fausses évidences et ainsi d’être moins dépendants et plus résilients.

Sources

Nouvel Obs - La mort de l'autre 
https://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20071204.BIB0428/la-mort-de-l-039-autre.html

Wikipédia Saint Ignace de Loyola

Wikipédia Mehrabian https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Mehrabian

Youtube Mathieu Ricard méditation https://www.youtube.com/watch?v=euk0I9g4k9E

CDEACF Cercle d'apprentissage
http://cdeacf.ca/actualite/2016/01/15/cercle-dapprentissage-apprendre-ensemble

Facebook Hypervoisins https://www.facebook.com/hypervoisins/


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