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Publié le 19 novembre 2020 Mis à jour le 19 novembre 2020

Apprendre une langue sans voir

Apprendre une langue étrangère quand on est en situation de handicap visuel

Aveuglement

« On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux », disait le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (écrivain français et héros de guerre, 1900-1944). Mais comment faire quand on se trouve en situation de handicap, notamment de handicap visuel, et qu’on veut essayer d’apprendre une langue ?

Certes, une langue étant avant tout orale, les yeux jouent alors un rôle mineur, mais tout de même, comment un tel apprentissage peut-il se faire ? Les objectifs et les enjeux sont-ils les mêmes que pour des apprenants lambda ? C’est ce que nous essayerons de comprendre aujourd’hui. À défaut de pouvoir ouvrir les yeux, laissons-nous guider par nos autres sens et, sur les traces du Petit Prince, suivons notre cœur pour atteindre notre désir d’apprendre.

Mise en contexte

Malvoyants, non-voyants, myopes, aveugles… les handicaps physiques visuels, plus ou moins importants et graves, sont nombreux parmi la population, et, en l’occurrence, parmi le public d’apprenants.

Cependant, ces « incapacités » ne sont pas insurmontables en ce qui concerne l’enseignement car des méthodes pédagogiques et didactiques spécialisées ont été mises en œuvre depuis 1825, avec Louis Braille (1809-1852), enseignant et inventeur français du système d’écriture du même nom.

Grâce au braille, les personnes atteintes d’un handicap visuel peuvent lire, en suivant du bout des doigts, de façon tactile, des points saillants qui correspondent à des lettres. Il faut savoir que les langues qui utilisent l’alphabet latin, comme celui que nous utilisons en français, anglais, allemand ou espagnol, utilisent le même codage pour les lettres de base.

En ce qui concerne les caractères spéciaux (tels les accents, les oe, les ç…), chaque langue peut utiliser le système de matrice de six points et l’adapter à sa réalité linguistique. On parle alors de lettres diacritées. Toutefois, les alphabets japonais, coréen, chinois et cyrillique utilisent un système de braille différent. On ne peut alors pas parler de système linguistique de braille international, même si l’idée, fondamentalement, est la même.

Enseignement spécialisé des langues

Dans une étude réalisée en 2010 par Gleydiz Carolina Romero caballero et Jenny Katherine Moreno Moreno, à l’Université de La Salle, à Bogota, en Colombie, dans le cadre de leur licence en espagnol et en langues étrangères, ces deux jeunes étudiantes se sont intéressées à l'enseignement du FLE aux jeunes non-voyants de 16 et 20 ans. 

Elles nous enseignent donc que deux principaux systèmes d’enseignements sont utilisés dans un tel cadre d’éducation spécialisée : 

  • Le style auditif : uniquement à l’oral, comme son nom l’indique, avec des activités d’apprentissage basées sur des chansons, des enregistrements, de la musique et des conférences.
  • Le style kinesthésique : basé sur l’expérience, il place l’apprenant au cœur de l’apprentissage en l’impliquant physiquement dans la situation en contexte ou en favorisant des activités comme le théâtre, la musique, les dramatisations…

D’autre part, elles exposent également les travaux de Rodriguez et Feliu (1996), qui préconisent l’utilisation de compétences à vocation pédagogique. Ces compétences, au nombre de quatre, sont des « ensembles de connaissances, d’habiletés et de conduites que possède une personne et qui lui permettent la réalisation épanouie d'une activité » : 

  • Compétence communicative : habiletés pour connaître, interpréter et analyser le discours dans le but d’interagir socialement et culturellement dans une autre langue.
  • Compétence linguistique : habiletés en compréhension et application de la structure grammaticale, morphologique, syntaxique, sémantique, phonétique, phonologique.
  • Compétence sociolinguistique : habiletés à comprendre et assimiler les interventions expressives applicables à certains contextes sociaux, mais aussi à persuader, donner une explication et faire des descriptions.
  • Compétence interculturelle : habiletés à créer des espaces de négociation et de médiation entre les cultures sociales et linguistiques qui composent le monde.

Des approches variées en classe

Dans le but de toujours offrir les meilleures techniques d’éducation spécialisées, de nouvelles approches pédagogiques peuvent être utilisées dans ces classes de langue :

  • L’approche communicative, basée sur l’interaction sociale et l’usage pragmatique du langage entre étudiants et professeurs. L’accent est mis sur l’enseignement des aspects fonctionnels et la structure de la langue.

  • L’approche naturelle, utilisable seulement dans le cas des malvoyants, avec une vision limitée, car elle s’appuie sur la compréhension et la production écrite, à l’instar des autres approches traditionnelles.

  • L’approche processuelle, exclusivement basé sur l’oral, sans aucun support visuel, donc accessible aux personnes atteintes d’un handicap visuel plus important. Ici, l’idée est d’offrir un discours communicatif dans la salle de classe pour réussir une meilleure formation cognitive et personnelle, comme une identité culturelle, à l'intérieur du cadre de la compétence communicative.

  • La méthode audio-orale, exclusivement sous forme auditive, basée sur l’habitude et la répétition, qui fournit alors d’excellents résultats au niveau de la compréhension et de la production orale.

  • L’approche constructiviste, prône quant à elle une intégration naturelle des savoirs et des connaissances car l’étudiant découvre et particularise ses besoins cognitifs en même temps.

Apprendre une langue étrangère quand on est en situation de handicap visuel n’est pas évident, mais réalisable. Les étudiants handicapés visuels interviewés dans le cadre du mémoire de recherche de ces étudiantes colombiennes en sciences de l’éducation sont unanimes : Apprendre une langue étrangère leur offrira de meilleures opportunités personnelles et professionnelles, tout en favorisant leur intégration sociale. De plus, ils sont heureux de pouvoir étudier avec des outils, du matériel et des méthodes adaptés à leurs limitations visuelles, leur permettant alors de passer outre cet handicap et de pouvoir poursuivre normalement leurs études.

Ainsi, le Petit Prince avait raison ! Inutile de voir avec les yeux, car c’est bien le cœur et ses motivations qui nous permettent d’être heureux !


Sources

Le braille, Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Braille

L'enseignement du fle aux jeunes non-voyants de 16 à 20 ans, Gleydiz Carolina Romero Caballero et Jenny Katherine Moreno Moreno, 2010, https://ciencia.lasalle.edu.co/cgi/viewcontent.cgi?article=1312&context=lic_lenguas

Illustrations

Braille, Pixabay, https://pixabay.com/images/id-5496159
Écouter, Pixabay, https://pixabay.com/images/id-1187266
Loupe, Pixabay, https://pixabay.com/images/id-3068938


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