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Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 18 novembre 2020

La myopie marketing : voir venir la baffe, ou pas

Quand les entreprises ne voient pas arriver la concurrence

Claque du consommateur

La myopie de l'habitude

C’était il y a plus de soixante ans. Dans un article véhément, Théodore Levitt fustige les entreprises qui se sont mises en danger, voire effondrées parce qu’elles se sont concentrées sur leur produit ou leur savoir-faire plutôt que sur les besoins de leurs clients. Il invente le concept de « myopie marketing » qui a traversé les décennies, pour illustrer des catastrophes industrielles mais aussi pour suggérer des actions préventives.

Parce qu’elles imaginent que leur succès ne repose que sur la maîtrise de facteurs techniques, des entreprises vont identifier leurs concurrents comme étant ceux qui excellent dans les mêmes domaines. 

C’est justement ce qui définit la myopie : une vision de l’activité et du champ concurrentiel concentrée sur les produits et non sur les besoins des clients. Mais « le client ne veut pas une mèche de 5 millimètres, insiste Levitt, il veut un trou de 5 millimètres ! » Et une vision limitée aux produits est une erreur de management, car la claque vient souvent de là où on ne regarde pas. On se surveille entre spécialistes, on oublie les utilisateurs ou les usagers, et le véritable concurrent, celui qui va mettre en péril l’entreprise vient d’un autre secteur. 


Ainsi... X se considérait comme spécialiste du rail, et se donnait pour objectif de maintenir son avance sur le voyage en train. Mais c’est une erreur managériale impardonnable, s’offusque Théodore Levitt. Leur métier n’était pas le rail, mais le transport.

L’ironie que donne le recul sur cette analyse de 1960, c’est qu’on pourrait sans doute reprocher à Théodore Levitt... sa myopie. La concurrence d’une entreprise de transport vient maintenant des applications de visioconférence ou de communication numérique. Le besoin n’est pas tant le déplacement que la rencontre, la possibilité de travailler ensemble ou d’échanger. L’évolution des cours en bourse de Zoom et celle des grandes compagnies aériennes sont inversement corrélées. Quand les unes baissent, les autres augmentent. Sur son exemple de perceuse, les fabricants de colles pourraient aussi lui reprocher son manque de vision !

Le concept reste néanmoins toujours pertinent, même si les exemples ont un peu vieilli. Les secteurs d’activité les plus concernés se portent bien, les clients ne semblent pas avoir le choix, et les quelques concurrents se connaissent et dépensent beaucoup d’énergie à se surveiller et à s’attaquer, en utilisant des règles admises de tous. Les managers pensent avoir les bons postes d’observation pour évaluer les évolutions du marché, et peinent à voir des menaces pourtant très proches. Nokia, leader des téléphones portables surveillait Sony, Ericsson ou Motorola... mais n’a pas vu arriver Apple ou Samsung.



Un cas très étudié est celui de Kodak. L’entreprise centenaire maîtrisait toute la chaîne de valeur pour produire des photos : les appareils, les pellicules, les espaces de commercialisation et les laboratoires de développement. Cette richesse est sa perte. Son métier repose sur la chimie, les films, l’optique, la logistique du client au laboratoire et du laboratoire au client. Autant d’éléments qui empêchent de voir émerger l’appareil photo numérique, pourtant découvert dans leurs propres centres de recherche et développement.

George Mendes précise dans un article très intéressant les erreurs qui ont conduit Kodak à disparaître du marché de la photographie. Il distingue les entreprises qui cherchent les améliorations en formalisant des procédures et en adoptant des méthodes rigoureuses. Elles avancent de façon incrémentielle, dans des logiques de démarche qualité et d’amélioration continue.

D’autres entreprises tentent de favoriser l’intuition. Innover consiste pour elles à bousculer les procédures, les méthodes, à les remettre en question. Elles avancent par saut. Elles se mettent en question régulièrement. Innover, pour ces entreprises, ce n’est pas juste progresser, mais casser les cadres de référence, pour en recréer d’autres. Les premières s’en sortent haut la main pour obtenir des certifications qualité, les secondes sont parfois mieux armées pour affronter les crises.



C’est sans doute tout le problème de la myopie marketing : quand un manager comprend qu’il a regardé dans la mauvaise direction... il est déjà trop tard. Levitt est convaincant quand il nous donne des exemples d’entreprises qui ont échoué... Il l’est moins quand il parle d’entreprises vertueuses : elles ont disparu elles aussi depuis la publication de son article ! Mais si n’importe quel étudiant de marketing peut maintenant se moquer gentiment des errements de Kodak, IBM ou Nokia, comment peut-on éviter d’être le prochain ?

Le design thinking et ses outils : des solutions concrètes pour combattre la myopie

Le design-thinking invite à déployer des méthodes et à adopter une attitude qui se concentre sur le client. Attention, ce n’est pas simplement le client vu par les statisticiens, ni même celui construit par les personas. Il s’agit souvent de clients réels, associés très en amont à la réflexion. Toute entreprise doit pouvoir identifier les signaux faibles et repérer les comportements statistiquement insignifiants, mais qui peuvent préfigurer l’avenir.

Le site kosmoss.fr présente de façon détaillée sa démarche et en particulier les design sprints, qui alternent des phases divergentes et convergentes. Les phases divergentes obligent les participants à s’éloigner de leurs domaines de connaissance et de leurs certitudes. Il détaille également le lean startup. Il s’agit de commencer petit, par la plus petite solution viable, et de travailler sur les améliorations en fonction des réactions réelles des premiers clients. L’entreprise évite ainsi de développer une solution à huis clos pendant de longs mois, en oubliant progressivement celles et ceux qui utilisent ses services.

Rester modeste, garder un œil neuf sur les comportements et les attentes des clients, les faire participer à travers des méthodes qui complètent les classiques études de marché, s’ouvrir sur des approches issues des sciences humaines et du design.... Voilà quelques pistes qui pourraient nous rétablir la vue. 

D’autant qu’il ne s’agit pas simplement de vision. Voir arriver la claque, c’est déjà bien difficile, mais c’est sans doute encore plus ardu de convaincre ses équipes qu’il faut s’y préparer, voire l’anticiper !

Illustrations : Frédéric Duriez

Ressources

Theodore Levitt : - Harvard Business Review, 1960
http://www1.ximb.ac.in/users/fac/MNT/mnt.nsf/23e5e39594c064ee852564ae004fa010/0f7c7e867eb152b465257011001ec050/$FILE/MARKETING%20MYOPIA.pdf

George Mendes -What went wrong at Eastman Kodak ? - consulté le 15 novembre 2020
https://mba.americaeconomia.com/sites/mba.americaeconomia.com/files/sin_publicar_what-went-wrong-at-eastman-kodak.pdf

Kosmoss — Définition du design sprint — consulté le 15 novembre 2020 —
https://kosmoss.fr/glossaire/definition-design-sprint

Kosmoss - Définition du lean startup
https://kosmoss.fr/glossaire/definition-lean-startup

Kosmoss —La démarche de design-sprint
https://kosmoss.fr/nos-metiers/agence-design-sprint/

Iulia-Cristina Uță Why did Kodak fail and what you can learn from its demise - consulté le 15 novembre 2020
https://brandminds.live/why-did-kodak-fail-and-what-you-can-learn-from-its-demise/


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