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Publié le 05 novembre 2020 Mis à jour le 05 novembre 2020

L'audace face à la complexité

Une démarche d'improvisation, réflechie et régulée, peut être efficace face à une situation complexe

Amerrissage du vol US Airways 1549 (2009)

Dans un monde complexe et incertain (les anglophone parlent de VUCA, acronyme pour Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté), nous sommes de plus en plus sollicités pour évoluer, aller de l’avant, et cela nécessite d’avoir de l’audace !

Laurent Bibard, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, propose de s'appuyer sur ce que l'on sait déjà faire pour répondre aux situations auxquelles nous sommes confrontés pour improviser dans une approche comparable à la démarche artistique et une "éthique de l'essai". Voyons comment cela peut se mettre en place dans notre quotidien.

Laurent Bibard et la complexité

Dans une vidéo réalisée dans le cadre d’un MOOC sur la complexité, Laurent Bibard présente rapidement ce que recouvre ce concept comme une série de contradictions qu’il faut affronter tous les jours. Il la compare à la simplicité et l’on peut synthétiser dans le tableau ci-dessous les oppositions entre ces deux notions.


Complexité Simplicité
Incertitude
Contradiction
Émergence
Vigilance collective
Sous contrôle
Cohérence
Visible
Leader qui sait


Ainsi, si la simplicité est une situation confortable parce que prédictible, il s’avère que notre monde est de plus en plus complexe et que cela affecte directement notre quotidien personnel et professionnel.

Pour faire face à ces situations, Laurent Bibard propose de s’appuyer sur son expérience et sa créativité pour s’adapter, en continu, à chaque situation.

Un exemple éclairant

Pour illustrer cette thèse, Il donne l’exemple du vol US Airways 1549 qui a du amerrir sur l’Hudson en 2009. Juste après le décollage, l’avion subit une panne de ses deux réacteurs après avoir traversé un vol d’oiseaux. La situation dans laquelle se trouve l’avion n’a jamais été envisagée ni prévue par aucun manuel de pilote et aucune procédure officielle ne s’applique : le pilote et son copilote se trouvent alors dans une situation éminemment complexe !

Après un jeu d’échanges entre les pilotes et la tour de contrôle pour analyser les différents protocoles connus et constater qu’aucun ne correspond à la situation vécue, le pilote décide de faire amerrir son avion sur l’Hudson. Quelle audace ! Il s’avère que le commandant de bord a piloté dans d’autres situations (planeurs et/ou hydravions, les experts ne sont pas d’accords) et cette expérience, quelle qu’elle soit, lui a été bien utile, vue la situation.

Cet exemple, que l’on ne peut souhaiter à personne, illustre la transposition réussie de compétences maîtrisées dans un contexte antérieur à une nouvelle situation complexe. Ainsi, Laurent Bibard propose d’adopter une démarche d’improvisation, comparable à celle d’un artiste, pour faire face à la complexité qui nous entoure, en nous appuyant sur ce que nous maîtrisons déjà.

Cela nécessite de repérer toutes les ressources à disposition (l’Hudson a été vue comme une ressource, ce qui n’était pas du tout évident) puis analyser "en continu"  l’effet de ses choix et agissements sur la situation pour réguler et corriger le tir, si nécessaire.

Un modèle pour réguler l’activité

Jean-Claude Coulet, dans son modèle MADDEC, présente les trois régulations de l’activité :

  • la boucle courte qui correspond à un changement des règles d’action, qui peut s’apparenter à une adaptation dans l’urgence (qui s’est vécue lors du confinement avec une situation de télétravail forcée et non préparée),

  • la boucle longue qui questionne les invariants opératoires et impacte les idées pré-définies (un avion de ligne peut-il amerrir ? Oui, sous certaines conditions !) et enfin

  • le changement de schème qui correspond à une réorganisation globale de l’activité.



Il me semble que l’audace s’appuie sur la boucle longue et nécessite un regard décalé sur la situation complexe pour y apporter une réponse adéquate.

Toute prise de décision doit ainsi s’appuyer d’une part, sur une cartographie des compétences personnelles et collectives à disposition et d’autre part, sur ce regard décalé et aiguisé sur la situation complexe, afin de trouver la meilleure réponse.

Comment faciliter cette approche au quotidien ?

Alexandre Malarewicz propose dans son article ‘Apprendre à apprendre, un processus émotionnel plutôt qu’intellectuel’ rappelle les bases pour entrer dans cette logique et faciliter ce regard décalé à partir de 3 démarches complémentaires :

  1. Attendre des idées plutôt que des résultats en impliquant les collaborateurs et partenaires à la définition de la démarche ;

  2. Transformer les imprévus en opportunité d’expérimentation ;

  3. Analyser chaque dysfonctionnement pour comprendre l’origine de l’erreur.

Cette approche nécessite d’accepter de se tromper et d’être faillible, ce qui rejoint le point de vue de Laurent Bibard qui parle d’une éthique de l’essai. Cela ne peut s’envisager sans un climat de confiance, socle incontournable d’une telle démarche.

Une audace préparée

L’audace semble donc s’appuyer sur une démarche perpétuelle d’apprenance, soutenue par une collaboration effective dans un climat de confiance. Une première étape pour initier cette dynamique peut être d’accompagner et soutenir les collaborateurs dans un processus récurrent d’analyse réflexive.

Cette approche peut permettre d’enrichir les situations de travail d’une dimension d’apprentissage qui ne peut être que bénéfique sur du long terme …

L’AFEST (Action de formation en situation de travail) qui alterne des situations de travail et des phases d’analyse réflexive semble une approche intéressante pour initier ou soutenir ces démarches d’audace et d’apprenance en contexte professionnel.

Références

Laurent Bibard, « La complexité – les contradictions objectives des organisations et des personnes», MOOC la complexité,ESSEC, consulté le 27 octobre 2020
https://youtu.be/r_6Tqi9sH_I et https://www.youtube.com/watch?v=IQ0L4sEreaU

Wikipedia, « Vol US Airways 1549 », consulté le 27 octobre 2020,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_US_Airways_1549

Jean-Claude Coulet, « Compétence, compétences transversales et compétences clés : peut-on sortir de l’impasse ? », Éducation et socialisation [En ligne], 41 | 2016, mis en ligne le 19 juillet 2016, consulté le 27 octobre 2020.
http://journals.openedition.org/edso/1708 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.1708

Alexandre Malarewicz, « Apprendre à apprendre, un processus émotionnel plutôt qu’intellectuel », Harvard Business Review, consulté le 27 octobre 2020,
https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/10/31577-apprendre-a-apprendre-un-processus-emotionnel-plutot-quintellectuel/

Qu’est-ce qu’une action de formation en situation de travail ? », ANACT, consulté le 27 octobre 2020,
https://www.anact.fr/quest-ce-quune-action-de-formation-en-situation-de-travail-afest

Crédit photo : Photo du Vol 1549 d'US Airways à New York City, Etats-Unis, CC-BY Greg L. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Airways_Flight_1549_(N106US)_after_crashing_into_the_Hudson_River_(crop_1).jpg


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