Est-ce que toutes les règles grammaticales sont figées dans un bloc? Bien sûr que non. La langue française parlée de nos jours n'a rien à avoir avec celle du 17e siècle. Pourtant, si l’Académie française est prête à intégrer de nouveaux termes et revoir la grammaire, elle reste toute de même sur ses gardes. En 2017, elle a même alerté l’opinion publique d’un danger mortel : la langue inclusive ou épicène.
Une bataille politique
Pour rappel, cette langue essaie de faire sauter cette règle grammaticale voulant que le masculin prédomine sur le féminin. Depuis quelques années, le débat a grandi, particulièrement en France, sur cette question. Il faut dire qu’elle est grandement politique. En effet, chez les partis de gauche progressistes, il s’agit du combat langagier le plus important, celui qui va donner encore plus d’égalité entre les hommes et les femmes en féminisant les noms de métier, en usant de termes non genrés pour représenter une multitude, etc. À droite et dans les milieux conservateurs, cela ne passe pas du tout. Cette volonté de féminisation les énerve profondément, mettant à mal, selon eux, la sémantique française.
D’ailleurs, la bataille est tellement politique que dans les semaines suivant les municipales en France à l’été 2020, beaucoup de maires de l’EELV (Europe Écologie - Les Verts), dont celui de Lyon, ont décrété que l’écriture inclusive serait la norme des documents municipaux. Il n’en a pas fallu plus pour que le parti d’extrême droite Rassemblement national (anciennement Front national) rédige une proposition de loi pour interdire l’usage de la langue épicène chez les élus. Mais au-delà de la question progressisme/conservatisme, quels sont les arguments pour et contre?
Chez les opposants, la dangerosité repose sur le précédent que cela créerait et sur la « destruction » du français littéralement. Certains s’inquiètent aussi pour les lecteurs. En effet, devoir lire par exemple dans un texte divers fonctions ou adjectifs avec des points pour séparer le masculin du féminin (exemple : « chers élus·es ») peut devenir complexe. Elle demande donc un effort cognitif plus grand pour ceux qui feuillettent les articles comparé à ceux qui les écrivent. D’autant plus que cette approche langagière s’avère plus difficile pour les personnes ayant des difficultés de lecture, dont la dyslexie.
Différentes organisations ont dénoncé ce règlement de leur rendre plus inaccessible la politique municipale lyonnaise, entre autres. D’ailleurs, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a critiqué l’écriture inclusive citant les enfants dyslexiques. Or, quand sont interrogées certaines associations, dont celle des Dys de France, la réponse n’est pas catégorique. Certes, cela rajoute une difficulté mais elle ne se veut pas nécessairement insurmontable.
Du côté des partisans, cette priorisation du masculin crée des non-sens absolus. Ainsi, ils mentionnent, entre autres, l’écrivaine féministe Benoîte Groulx qui était choquée de voir que la phrase : « Cent femmes et un chien sont revenus contents de la plage. » devait se conjuguer au masculin à cause de la présence d’un animal de genre masculin face à cent individus féminins. Même chose pour les postes non féminisés qui peuvent mener à des phrases du type : « Le ministre est enceinte. » En fait, pour les partisans, l’écriture épicène revient au sens même du français tel qu’il l’était avant que le grammairien Scipion Dupleix affirme que le genre masculin se voulait plus noble. D’autant plus que les militants français ont un exemple dans la francophonie d’approche plus épicène : le Québec.
La féminisation au Québec
En effet, depuis plus de 40 ans, la province canadienne a féminisé les titres de fonction. Dès 1977, l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait produit un avis allant dans ce sens. Cela suivait l’élection de plusieurs femmes par le Parti québécois en 1976. Une de celles-ci, madame Lise Payette, avait exigé qu’on appelle madame la ministre. Ainsi, au Québec, une ambassadrice n’est pas la femme d’un ambassadeur mais une dame représentant un pays. Valérie Plante a été la première mairesse, et non maire, de Montréal.
D’ailleurs, l’Académie française si farouchement opposée à l’écriture inclusive a toutefois nuancé ses propos en février 2019. L’idée de féminiser les titres et professions a été acceptée par l’organisme, signe donc qu’ils ont fini par être convaincus en partie du bien-fondé d’un principe présent sur un des plus importants territoires francophones depuis des décennies sans que cela « endommage » la langue française.
Des guides pour apprendre à écrire en langue épicène
D’ailleurs, de plus en plus d’établissements supérieurs et de juridiction en France, au Québec ou ailleurs adoptent petit à petit le langage épicène. Encore faut-il comprendre comment y arriver. Heureusement, il existe de nombreux documents en ligne permettant de saisir comment faire la transition. Évidemment, le guide de l’OQLF est un incontournable pour comprendre comment s’est faite la féminisation des titres dans la province. L’état de Vaud en Suisse a fait une page où sont expliqués les termes d’adresses, les formes plurielles, les doubles désignations, etc. Même chose pour le canton de Fribourg qui depuis 2001 se penche sur la question du langage épicène et a publié différents documents sur le thème. Enfin, au début de l’année 2020, l’Université de Montréal a téléversé un guide, co-écrit avec l’aide de l’OQLF, afin d’intégrer la langue inclusive dans les communications et travaux universitaires.
Le sujet de l’écriture inclusive reste encore très politique. Beaucoup des arguments reposent sur des visions du monde plutôt que sur l’effet langagier lui-même. Les opposants soulignent en effet bien les difficultés inhérentes autant à la rédaction qu’à la lecture de textes empruntant cette voie. Par contre, les partisans démontrent aussi justement toute la violence symbolique derrière la prédominance du masculin sur le féminin. Les règles grammaticales dictent, qu’on le veuille ou non, une vision du monde et de la culture. Et si le mouvement de l’approche inclusive n’était pas la mouche du coche obligeant l’Académie et les francophones à réfléchir sur l’égalité des genres?
Illustration : Gordon Johnson de Pixabay
Références :
Arbour, Marie-Ève, and Hélène De Nayves. "Formation sur la rédaction épicène." Office québécois de la langue française. Dernière mise à jour : 12 janvier 2018.
https://www.oqlf.gouv.qc.ca/redaction-epicene/20180112_formation-redaction-epicene.pdf
« Comprendre L’écriture Inclusive Et Pourquoi L’utiliser. » Aufeminin. Dernière mise à jour : 31 octobre 2019.
https://www.aufeminin.com/temoignages-de-femmes/ecriture-inclusive-s4006529.html
« Ecriture Inclusive : Galère Des Lecteur.rice.s Handicapé.e.s. » Handicap.fr. Dernière mise à jour : 20 juillet 2020.
https://informations.handicap.fr/a-ecriture-inclusive-galere-lecteur-handicape-13085.php
« Exemples Et Conseils Pour La Rédaction épicène. » Site Officiel Du Canton De Vaud. Consulté le 2 octobre 2020.
https://www.vd.ch/guide-typo3/les-principes-de-redaction/redaction-egalitaire/exemples-et-conseils-pour-la-redaction-epicene/
Frammery, Catherine. « L’écriture Inclusive, Mère De Toutes Les Batailles? » Le Temps. Dernière mise à jour : 20 février 2020.
https://www.letemps.ch/societe/lecriture-inclusive-mere-toutes-batailles
« L’écriture Inclusive Constitue-t-elle Un Enjeu Politique ? » France Culture. Dernière mise à jour : 13 juillet 2020.
https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-lundi-13-juillet-2020
« L’écriture Inclusive Est-elle Néfaste Pour Les Dyslexiques? » Lexidys. Dernière mise à jour : 5 février 2020.
https://blog.lexidys.com/2020/02/05/lecriture-inclusive-est-elle-nefaste-pour-les-dyslexiques/
Mabillot, Vincent. « Au Delà De L’écriture Inclusive, La Lecture Inclusive. » Expressions Libres. Dernière mise à jour : 13 juillet 2020.
https://vincent.mabillot.net/au-dela-de-lecriture-inclusive-la-lecture-inclusive-15211
Nadeau, Jean-Benoit. « Écriture Inclusive : La Guerre Des Sexes N’aura Pas Lieu. » L’actualité. Dernière mise à jour : 28 janvier 2020.
https://lactualite.com/societe/ecriture-inclusive-la-guerre-des-sexes-naura-pas-lieu/
Poirier, Marc. « Un Français Inclusif Sans Perdre Son Latin. » L-express.ca. Dernière mise à jour : 10 juin 2020.
https://l-express.ca/un-francais-inclusif-sans-perdre-son-latin/
« Rédaction épicène. » Site Officiel De L’État De Fribourg. Dernière mise à jour : 9 juin 2020.
https://www.fr.ch/institutions-et-droits-politiques/legislation/redaction-epicene
Sauvé, Mathieu-Robert. « L’UdeM Lance Un Guide Sur L’écriture Inclusive. » UdeMNouvelles. Dernière mise à jour : 5 février 2020.
https://nouvelles.umontreal.ca/article/2020/02/05/l-udem-lance-un-guide-sur-l-ecriture-inclusive/
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