Le contexte
L’apprenant peut être soit posé dans un
décor pour apprendre, soit être stimulé par un contexte. Dans le premier cas
j’utilise le mot « environnement », dans le second celui de
« milieu », car la proactivité de l’apprenant est saillante.
Même si
la littérature professionnelle utilise indistinctement les vocables de
contextes, environnement ou milieu, il semble possible de discerner trois
façons d’appréhender le milieu pour apprendre. Le milieu de formation, le milieu d’apprentissage et enfin le milieu apprenant.
Ces trois registres renvoient :
- à des préoccupations de contrôle de ce qui doit être su et de la manière
d’apprendre,
- à l’optimisation des mécanismes d’apprentissages par le moyen de dispositifs,
- au pouvoir générateur du milieu pour susciter l’action de se
transformer et de transformer son milieu.
Milieu de la formation / Milieu de formation
ou la maîtrise des moyens
Le milieu de la formation » est
une expression qui renvoie à l’idée d’un environnement piloté et agencé
par des spécialistes pour déployer des programmes répondant à des standards ou
à des référentiels de formation. Ce milieu essentiellement composé de
professionnels, fonctionne à la façon d’un groupe quasi corporatif qui connaît
les règles implicites et les codes pour organiser, financer et convaincre les
interlocuteurs de la pertinence de leur solution.
Il est marqué par un ensemble
d'habitude, d'usage, d'habitus qui se reproduisent et offrent de la stabilité
aux règles en place. Tout est prévisible ce qui rassure décideur gestionnaire
et politique. Les individus constituants de ce milieu (dirigeants d’organismes
de formations, partenaires sociaux, spécialistes juridiques, financeurs, formateurs etc. ) en garantissent
la permanence dans le temps puisqu’ils en sont constitutifs et en tirent leurs
ressources et leur raison d’être.
La dimension financière est si prégnante, tout
du moins en France, avec plus de 30 lois promulguées depuis les années 60, que
l’expression consacrée pour évoquer ce milieu est « marché de la formation ».
Il existe peu de recherches sur le « milieu de la formation » d’un
point de vue générique, mais des études paraissent régulièrement pour en
évoquer les composants, par exemple les formateurs, ou tenter d’en évaluer les
effets sur la société. Mais, un autre sens
se détache quand on rapproche milieu de formation.
Le « milieu de formation », est
composé d’un ensemble de ressources et de moyens, d’acteurs avec l’intention de favoriser des
transmissions. Ce milieu est le plus souvent défini par des programmes éducatifs
ou formatifs qui prennent la forme de parcours, d’itinéraires ordonnancés avec
des objectifs intermédiaires à atteindre et des modalités d’évaluation. Il est
aussi de plus en plus question de « formation en milieu
professionnel » (Cornier et Poizat, 2018), ou « formation en
situation de travail » (Barbier, 2020), quand un repérage des
ressources, des situations, des personnes en appui est réalisé et permet là
encore de tracer un cheminement dans l’acquisition de savoir.
Ceci vaut
également pour les « formations en ligne » qui se déploient dans un
milieu numérique fait d’écrans, de moniteurs, de caméras, de micros, de
téléphones ou de tablettes. Ce qui sous-tend cette perspective c’est que le
milieu est formatif quand il est organisé et piloté. Les problématiques qui se posent tournent alors
autour de la rencontre entre milieu de formation et milieu de travail.
La
circulation des informations, affects, représentations, identités entre ces
deux milieux produit une tension parfois réduite par l’opposition
théorie/pratique (Malglaive, 1994), ou savoirs théoriques / savoirs d’action (Barbier,
2015). Le milieu dont il est question se base sur une vision disjointe des
espaces que la pédagogie chercherait à articuler.
Milieu d'apprentissage ou la maîtrise des
processus
Le milieu d’apprentissage (Mootien et
al ; 2019) décrit comment l’apprenant est susceptible d’apprendre. Rappelons que l’apprentissage décrit le
processus d’apprendre, la façon dont un individu modifie ses croyances, sa
représentation de soi dans l’action, sa capacité à s’engager durablement
dans des tâches et sa capacité à mémoriser des nouvelles idées, pratiques,
concepts.
Le milieu est réputé faciliter l’apprentissage selon qu’il favorise
les processus de rétention, embarque des moyens mnémotechniques ou facilite la
fluidité et l'enchaînement des séquences prévues pour faire apprendre. L’apprentissage
renvoie à des processus individuel.
Le milieu d’apprentissage, quant à lui est plus ou moins affordant, c’est-à-dire
qu’il aplanit plus ou moins les difficultés de cheminement pour apprendre en
suggérant par son ergonomie les activités les plus adaptées. L’affordance décrit la capacité d’un objet de suggérer ses usages (Gibson, 2000).
Le milieu d’apprentissage est une création
explicite pour optimiser les processus caractéristiques de l’apprendre :
mémorisation de contenu, construction de son identité, renforcement de la
confiance en soi, aptitude méta cognitive pour élaborer sa stratégie
d’apprentissage.
Milieu apprenant ou l’ouverture aux
émergences
Tout est devenu apprenant, les
organisations, les équipes, les villes y compris les lycées et même les vacances,
à en croire les dernières déclarations politiques françaises pour rattraper le
temps perdu avec le Covid. Le milieu apprenant manque pourtant d’une définition
qui le démarque du « milieu de formation » et du « milieu
d’apprentissage » tels qu’ils viennent d’être décrits.
Pourtant il s’en
distingue car il s’enracine dans le concept d’apprenance et des dispositions
pour apprendre. Si le milieu de formation se caractérise par les moyens
articulés pour satisfaire les exigences d’un programme ou d’un référentiel, si
le milieu d’apprentissage se définit par son pouvoir de favoriser les
mécanismes d’apprentissage, le milieu apprenant se caractériserait par son
potentiel pour favoriser l'émulation, la coaction, l'envie d’apprendre
ensemble, de réseauter, de se soutenir. Il favoriserait le désir et la capacité à apprendre collectivement
et pas seulement les uns à côté des autres.
Un tel milieu offrirait des prises aux
apprenants qui sont autant de fonctions pour s’engager. Ce milieu se définit
comme tout espace où l’on apprend et qui offre des matériaux, une variété d’interaction
et de la liberté pour apprendre.
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Fonctions
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Les
contributions du milieu à l’apprenance
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Les
limites du milieu imposées à l’apprenance
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1
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Nourricier
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Il
offre des ressources, des contenus, de la matière
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Il
gave, il égare, il produit de l’infobésité, ou de la paresse à aller chercher
ou à construire soi-même des ressources
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2
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Protecteur
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Il
protège, il permet des essai-erreurs, la construction de soi ou d’un groupe
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Il
expose à des menaces, des remarques, des attaques, il crée des frontières
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3
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Réceptif
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Il
facilite les rétroactions, les retours
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Il
amortit, il renvoie peu
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4
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Stimulant
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Il
propose des défis, des opportunités de s’engager
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Il
produit de la sur-énergie, du stress
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5
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Orienté
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Il
permet de se construire du sens par soi-même
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Il
domine les pensées, les comportements et les croyances
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6
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Dynamique
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Il
autorise le mouvement, il ouvre à la découverte, permet des déformations
d’idées et de proposition, d’activités
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Il
crée de l’agitation ou de la stagnation
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7
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Poreux
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Il
laisse passer des idées permet des aller et retours et des circulations
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Il
est imperméable
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8
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Lié
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Il
permet des rencontres, des associations, des liens
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Il
est compliqué, intriqué, noué, impénétrable, sans prise
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9
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Spatial
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Il
situe dans le temps et dans l’espace, il cadence les activités et les
engagements, il crée des repères
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Il
perd par manque de vision d’ensemble
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En décryptant le pouvoir apprenant de la ville,
Vulbeau évoque un milieu
d’apprenance. Cette vision du milieu favorisant l’apprenance, c’est-à-dire l’attitude
positive au regard de l’acte d’apprendre apparaît stimulante dans sa capacité à
augmenter la motivation pour apprendre. Ce milieu dans lequel des prises sont
offertes sans que tout le design de formation ou d’apprentissage soit défini
par avance est un milieu génératif.
Puisque des espaces libres existent, il est
possible de les occuper et de leur donner un sens par soi-même. Le milieu est génératif
d’apprenance à la façon d’un terreau. Pour suivre une image, l'apprenant se
plante dans son milieu comme une graine dans son terreau et augmente son
pouvoir d’agir au fur et à mesure des explorations et des expériences. Il y est
probablement aidé par des tiers facilitateurs qui aident au cheminement.
Sources
Mootien,
F. K., Abbiati, M., Barbier, A. B., Groc, Y., & Poteaux, N. (2019). Huit
ans après la réforme de la formation en soins infirmiers, comment les étudiants
perçoivent-ils leur milieu d’apprentissage? Étude descriptive et comparative. Revue
francophone internationale de recherche infirmière, 5(2), e63-e72.
Cornier, C., & Poizat, S. (2018). Stage
et/ou période de formation en milieu professionnel: des modalités innovantes de
professionnalisation. Empan, (1), 90-93.
Barbier,
JM. (2020), Apprendre ”par”, apprendre ”dans”, apprendre ”à partir de” la
situation de travail. 2020. ffhal-02502573
https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-02502573/document
Malglaive, G. (1994). Les rapports entre savoir
et pratique dans le développement des capacités d'apprentissage chez les
adultes. Education permanente, (119), 125-133.
Barbier, J. M. (2015). Savoirs théoriques et savoirs d'action. Presses
universitaires de France.
https://www.decitre.fr/ebooks/savoirs-theoriques-et-savoirs-d-action-9782130741954_9782130741954_2.html
Gibson, E. J. (2000). Where is the information
for affordances?. Ecological Psychology, 12(1), 53-56.
Vulbeau, A. (2009). Chapitre 3. L'éducation tout au long de la
ville. Dans : Gilles Brougère éd., Apprendre de la vie quotidienne (pp. 43-53).
Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.
https://www.cairn.info/apprendre-de-la-vie-quotidienne--9782130572077-page-43.htm
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