Ce que cachent les dates clés, les héros et les génies

L’histoire d’un pays ou d’une civilisation est bien plus qu’une série de faits ou d’enchainements. C’est un récit qui construit une culture commune et qui fait parfois fi de l’exactitude. Les dates clés, les personnages illustres participent à cette construction qui s’élabore sans cesse, au gré des modes ou de l’évolution de la conscience politique.

Quelques ressources en ligne nous proposent de nettoyer les couches de vernis qui se sont progressivement fixées sur les chronologies et les personnages qui ont marqué l’histoire.

L’Histoire ? Plutôt de belles histoires

Patrick Boucheron est un médiéviste reconnu, mais il est aussi un vulgarisateur qui porte son érudition sur des époques et des thèmes variés. Il propose sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte de revenir sur les dates clés « inscrites dans les manuels scolaires et la mémoire collective ».

Ses présentations s’appuient sur des animations sobres. Aucun personnage ne vient y déclamer des sentences comme on le voit parfois hélas dans les documentaires historiques, où les coups de fusil et les hurlements ont pour fonction de réveiller le spectateur.

Il nous explique comment le personnage de Vercingetorix a cristallisé de manière opportune des valeurs de résistance après la défaite de Napoléon III à Sedan. Vercingetorix démontre qu’il peut y avoir de la noblesse dans la défaite, lorsque le chef vaincu fait le sacrifice de sa personne pour son peuple. Et cette belle et utile idée vaut bien quelques libertés avec les traces historiques de la bataille d’Alésia...

Pompéi nous fascine, parce que nous y voyons une image figée de la vie quotidienne dans une riche cité de la civilisation romaine. Patrick Boucheron nous précise cependant que cette cité n’était romaine que depuis moins de 170 ans. En -89, les habitants n’y parlaient pas latin. Les images de vie ordinaire que nous renvoient les illustrations, les films ou les romans nous cachent les combats politiques qui s’y tenaient quelques semaines avant l’explosion.

Patrick Boucheron revient sur des dizaines d’autres dates, et parvient à chaque fois à nous montrer que les récits qui mettent en scène des événements ou des personnages célèbres en disent davantage sur l’époque moderne que sur les civilisations qui les ont vus naître.

Une lecture au solvant

Pierre Vesperini est un spécialiste de la philosophie antique. Dans une interview au magazine français « Le Point », il propose une métaphore de son métier. Il travaille comme un restaurateur de tableaux. Des couches successives de vernis ont été ajoutées par des générations pour nous donner une image de la philosophie antique. Notre vision de l’antiquité est marquée par des siècles de lecteurs et par le hasard des quelques textes qui ont survécu. Ainsi, son livre sur Lucrèce n’est pas une explication de la philosophie ou de l’environnement de Lucrèce, mais « la reconstitution des mondes de savoirs par où ce texte est passé ».

À la question « qu’est-ce que la philosophie antique », il répond qu’il s’agit de la « projection dans l’antiquité de la discipline actuelle qu’est la philosophie ». Par exemple, nous voyons une distinction forte entre religion et philosophie dans l’Antiquité. Pour Pierre Vesperini, ce n’était pas le cas.

Il ne s’agit donc pas pour lui de remplacer une représentation fausse par une vérité, mais de montrer que la lecture des œuvres issues d’une civilisation peut être plurielle et surtout qu’elle est construite.

Oser poser un regard technique sur les « génies » de l’art

S’il est une chose qui nous semble impossible à remettre en question, ce sont bien les génies de l’histoire de l’art, sculpteurs, architectes et peintres. Impossible ? Dans de nombreuses vidéos, dont certaines disponibles en ligne, Hector Obalk nous donne à voir la maîtrise technique et le sens de la mise en scène des uns, et les faiblesses des autres. L’image numérique, la haute définition et la juxtaposition des images servent de fond à un tribunal du savoir-faire.

Les surréalistes qui couvrent des surfaces d’ombres sales ne lui inspirent aucune pitié. Magritte, Dali et de Chirico ? Des barbouilleurs. Hector Obalk est toujours en mouvement. Le rythme et le débit sont tels qu’on n’oserait pas murmurer une objection. Et sa caméra s’approche des œuvres pour terminer de nous convaincre.

Michel-Ange lui-même n’est pas épargné. Ses décors, ses couleurs, les volumes sont étudiés, et semblent parfois de moins bonne facture au critique que les productions de ses contemporains. Il ne s’agit pas de prendre plaisir à déboulonner des statues, mais de ne pas se laisser aveugler par l’image du génie, et de profiter de la technologie pour entrer en cuisine, et pour voir l’artiste au travail à travers les traces qu’il a laissées.

Respectueux, mais pas éblouis, nos auteurs osent aborder les œuvres à travers les récits qui se sont superposés. Pour certains, ces récits deviennent l’objet d’une nouvelle narration. Pour d’autres, en peinture, notamment, la technologie permet de passer au-delà des histoires, des mythes et des enjeux commerciaux.

Illustrations : Frédéric Duriez

Ressources

Pierre Vesperini, entretien avec Marion Bourbon à la librairie Mollat - 30 novembre 2019
https://youtu.be/Ma303Mz-O1Q?t=198

Pierre Vesperini. Lucrèce, archéologie d’un classique européen. Entretien avec Aurélia Gaillard à la librairie Mollat, 23 septembre 2018.
https://youtu.be/gXqcuh3BAAY

Hector Obalk

Hector Obalk vous fait redécouvrir le Caravage - septembre 2012
https://youtu.be/YcFdUPiZJf8

Hector Obalk : Pourquoi Cézanne maîtrise mieux son art que Dali - 2 mars 2018
https://youtu.be/qXPPx3ij5mk

Patrick Boucheron - Quand l’histoire fait date
https://www.arte.tv/fr/videos/RC-015950/quand-l-histoire-fait-dates/

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