Tout d’abord y a-t-il une fin du
management ?
Le management est une
technologie sociale datée de plus de 150 ans (Chanlat, 1998). Une vieille dame
qui a dépassé un âge canonique que bien des humains lui envierait. Malgré sa
robuste constitution, cette technologie qui régule nos organisations ne dit pas
son nom et finit par épuiser les hommes et la nature à force de renforcer
des normes technocratiques pensées pour optimiser le seul enjeu financier.
Accouplée au capitalisme cette technologie dérape souvent et produit une perte
de sens. Elle focalise l'énergie des collaborateurs vers des objectifs
quantifiés toujours plus élevés. Elle est savamment apprêtée et fardée
pour amortir chaque contestation ou éclair de bon sens. Dès que le travail réel
se rappelle au bon souvenir des organisations, s'invente le management de la
qualité ou le lean management, la RSE, ou le management agile.
Dès que
l'entreprise est attaquée pour ses relations prédatrice avec l'environnement,
se crée un management durable qui fleure trop souvent le verdissement de façade.
Le management, comme le système capitaliste qu'il sert, absorbe les critiques
et finit par en tirer de nouveaux profits (cf. Boltanski et Chiapello,
1999) jusqu'au management de soi (Texier 2015) qui nous
transforme en produit marketing personnalisé.
Nous nous vendons sur Internet
en pâle copie des Gafam. L'une des questions clés que soulève le
management réside dans le partage du pouvoir et de l'argent, souvent
traité à la marge. Les équilibres se cherchent encore entre compétition et
coopération et achoppent sur la question du partage. Si le management ne va plus de soi, il faut en
réinventer les bases. C’est l’idée d’un management constitutionnel.
Vers le management
constitutionnel….
Le management constitutionnel
se définit comme étant
« [...] un système managérial dans lequel ceux qui en
ont le pouvoir, le plus souvent les dirigeants, adoptent une constitution pour
l’organisation, laquelle régit la façon d’exercer le pouvoir à travers des
règles et des processus qui s’appliquent à tous, y compris à eux-mêmes. Ce
système permet de passer d’un pouvoir hiérarchique à un pouvoir constitutionnel
qui fait loi, c’est-à-dire encadré et distribué selon les règles de droit
définies dans la constitution choisie. Chacun devient détenteur de certains
pouvoirs selon ses rôles, qui sont encadrés et limités par des politiques qui
engagent chacun.» (Bernard Marie Chiquet, 2019).
Une forme de
management constitutionnel s’exprime depuis près de 10 ans et prend pour nom
holocratie. L’holocratie a pris forme avec les travaux de Brian Robertson.
Et s’exprime aussi de façon diffuse dans un renouveau de la pensée managériale
française, comme avec les travaux de Laloux qui ambitionnent de réinventer
l’organisation.
L’holocratie une
technologie sociale de gouvernance
Dans les essais d’instaurer
une gouvernance d’entreprise légitimée par un dialogue avec l’ensemble des
parties prenantes, l’holocratie tient une bonne place. Ce mot en provenance de
l’anglais a été imaginé par Arthur Koestler (1905-1983) dans son livre The
Ghost in the Machine. Il se compose du grec ancien holos, qui décrit
la totalité, et kratos, qui signifie pouvoir. Il vise
un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une structure de s'autoorganiser
comme une entité vivante.
Dans cette perspective tous les partenaires
de l’organisation ont un rôle à jouer dans la prise de décision. Cette approche
est une alternative au recours hiérarchique et aux organigrammes habituels qui
ne définissent pars d'avance qui fait quoi. L’holocratie est une posture mentale adaptée à des
organisations combinant « organisation – équipe – individu » qui
administre les décisions de façon fractale.
Comme la sociocratie dont elle s’inspire,
elle fonctionne en gouvernance par cercles interdépendants et auto-organisés
représentants différents centres d’intérêts dans l’organisation, par doubles
liens entre deux cercles (des représentants des cercles sont présents en
réciprocité dans les autres cercles), selon une gestion par consentement (le
consensus n’est pas requis, les points non négociables sont retirés des
décisions) et élections sans candidat (peut être élu à un rôle une personne qui
ne s’est pas désignée elle-même).
L’holocratie requiert des
clarifications de rôle. Le rôle est qualifié par son nom, , sa raison d’être,
sa redevabilité : qu’est ce qui est attendu de cette personne, son domaine
d’intervention. Le rôle s’agglomère en
cercle et constitue une holarchie.
La mise en place de l’holocratie nécessite une acculturation,
par exemple une transcription de la structure initiale en cercle, et la pratique
de discussions holacratiques (visualiser une organisation en cercles).
Progressivement une structure holocratique est amenée
à s’autonomiser à partir de cercles pilotes, d’expérimentations des rôles de
second lien et d’introduction de facilitation. Elle nécessite une pugnacité du dirigeant pour s’engager dans ce chemin
car la relation au travail et à la responsabilité sont prodigieusement
modifiée.
Quid de l'holocratie en
éducation ?
Les religions, les
armées, les écoles ont organisé le pouvoir de façon verticale. A la tête
de ces grandes institutions, des hommes guident les autres et statuent sur ce
qu'il convient de faire ou d'éviter. Ils ont construit des légitimités
rationnelles, légales, économiques qui, à force d'exister, se sont constituées
comme autant d'habitudes. Elles finissent par s'autojustifier pour leur
seule perpétuation sans effort d'adaptation aux transformations du monde.
Aller
contre ces habitudes ne peut être qu'un manifeste pour innover. Quelques essais
sont repérés dans la sphère éducative pour partager les initiatives de tous les
acteurs. Comme par exemple « L’atelier des possibles » près de
Grenoble en France « Une école sans classe, sans cours obligatoires, où
les membres décident démocratiquement de leur organisation. Une école dotée d’une raison d’être, dont la vocation
profonde est de « permettre aux individus de se réaliser dans le respect de soi
et des autres ».
Pour ses bénéfices de
libération éducative, Bernard Marie Chiquet aimerait voir ce modèle adopté par toutes les écoles pour
redonner du pouvoir d’agir aux acteurs constituant la communauté scolaire en
commençant par l’éducation nationale. Sera-t-il entendu ?
Sources :
Boltanski, L., & Chiapello, E. (1999). Le
nouvel esprit du capitalisme (Vol. 10). Paris: Gallimard.
Le Texier, T. (2015). Le management de soi. Le Débat,
(1), 75-86.
http://www.letexier.org/IMG/pdf/LeTexier_Management-de-soi_Le-Debat_01.2015__183_0075.pdf
Chanlat, J. F. (1998). Sciences sociales et management:
plaidoyer pour une anthropologie générale (No. 97). Presses Université
Laval.
Managementconstitutionnel.com Bernard
Marie Chiquet - Définition du management
constitutionnel
https://managementconstitutionnel.com/definition-management-constitutionnel/
L’holocratie : une vision du
management du futur
http://ecoaustral.com/lholocratie-une-vision-du-management-du-futur
Toupie http://www.toupie.org/Dictionnaire/Holacratie.htm
Wikipédia - Holacratie https://fr.wikipedia.org/wiki/Holacratie
Brian Robertson – Holacracy the new management system
http://holacracybook.com
Happywork http://happywork.pro/
IGI Partners https://igipartners.com/
L’atelier des possibles
https://semawe.fr/une-ecole-democratique-avec-une-gouvernance-en-holacracy/
Laloux, F.
(2015). Reinventing Organizations: Vers des communautés de travail inspirées.
Diateino.
https://www.youtube.com/watch?v=NZKqPoQiaDE
Visualiser l’organisation Holacracy One
https://app.glassfrog.com/organizations/5
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