Affolement
Les crises transforment
radicalement nos façons de vivre. Crises sociales, crise climatique, crise
sanitaire, crise migratoire, crise sécuritaire, etc. augmentent en fréquence et
en intensité médiatique et deviennent l’état habituel de nos sociétés connectées, plus de pic ou de
paroxysme, mais des états instables et manipulables, défiant systématiquement
les normes.
Ceci génère des incertitudes qui deviennent habituelles. Les
repères traditionnels s’érodent le pouvoir, l’argent, la reconnaissance sociale
perdent de leur capacité à réguler les situations et offrent des sécurités
relatives. Avec les ruptures de normalité, de nouvelles façons d’appréhender la
valeur et la richesse sont en train de s’inventer.
Changer la boussole de nos valeurs et de
nos richesses
Nous confondons l’argent et la richesse. Patrick
Viveret brosse un autre portrait de la valeur que sa seule expression monétaire.
Dans son ouvrage « Reconsidérer la richesse », le philosophe nous
décrit avant tout les valeurs humaines au-delà des systèmes de mesure tellement
réducteurs.
Jean François Noubel se choisit un destin de « terrien
open source » et décide de faire de sa vie une expérience dans laquelle
il place très haut la logique du don. Il avance dans une vision « évolutionnaire »
du monde et essaye de construire une théorie économique alternative. Il imagine
une échelle multidimensionnelle de la richesse pour sortir du seul tropisme de
l’argent. Pour discerner une « richesse intégrale », il distingue 5
formes de richesse :
- Richesse
mobile
Il s’agit des biens et des services qui
circulent chez les humains ou dans les écosystèmes. Ce type de richesse s’organise
dans une économie extractive de croissance et de compétition qui finit par peser sur la terre.
- Richesse
mesurable
Elle vise la réalisation de mesures
objectives et quantifiées. Elle identifie par exemple l’efficience des système.
- Richesse
ordonnable
Celle qui distingue les phénomènes entre
eux par exemple le plus rapide d’une course. Cette richesse repère la
performance.
- Richesse
énonçable
Elle consiste en déclaration subjective
des individus, leur ressenti sur ce qui a de la valeur. A partir de la
subjectivité, elle permet d’identifier l’harmonie d’un système. C’est par
exemple le bonheur national brut du Bouthan, c’est aussi une monnaie de
réputatio.
- Richesse
potentielle
Elle est liée à la mise en mouvement et
au potentiel d’une action c’est par exemple la décision de créer une entreprise
qui porte un pouvoir évolutionnaire pour le futur.
Pour prendre un exemple
avec l’idée d’apprendre, la première forme de richesse s’inscrit dans la logique
du lien entre le diplôme et son monnayage auprès d’un employeur, la seconde
répond à l’idée d’un savoir stock dont on peut mesurer la quantité (QCM des
MOOC par exemple), la troisième est un classement du major de promotion jusqu’au
dernier, la quatrième est un savoir qui a du sens pour soi et sa vie, une passion
d’apprendre, la cinquième est tous les usages mobilisables et imaginables d’un
savoir en cours d’élaboration.
Le seul repère de l’argent
fait donc oublier toutes les dimensions de la richesse humaine et du capital
social, la confiance, la qualité de l’air ou de l’eau, la bienveillance au sein d’un réseau le bien-être
et la santé et consiste à mettre le corps vivant sous hormone, en économie il s’agit
de doper la croissance par l’injection de liquide.
Noubel appelle ces richesses
des «monnaies». Pour Noubel, les indicateurs de richesse doivent intégrer les nouvelles monnaies pour aller vers des
constellations monétaires qui intègrent plus de sens à la richesse et rendent
mieux compte du vivant.
Des algorithmes pourraient rendre compte des activités qui
contribuent à la vie. Pour faire progresser cette idée de richesse du vivant,
Noubel préconise de ne pas attaquer le système qui mettra toute sa force pour
se maintenir, selon un principe d’homéostasie, mais de faire mieux à côté. Internet
est un moyen extraordinaire de faire circuler cette richesses de pair à pair.
Certaines entreprises s’efforcent par le moyen de label à reconnaître les
bonnes pratiques en lien avec le vivant (ex : Becorp label).
Crédit mutuel et monnaies complémentaires
Il existe une variété de
monnaies complémentaires dont l’un des enjeux et de créer plus de liens et de
solidarité à l’échelle d’un territoire. Par construction une monnaie est un
accord sur des valeurs attribuées à cette monnaie, comme par exemple l’environnement,
le développement local, ou l’inclusion sociale. Le cycle des échanges et des
circulations peut affecter l’une de ces dimensions en récompensant des gestes
vertueux, ou en en ralentissant des gestes non vertueux.
À côté des monnaies
nationales qui constituent de véritables bien publics, il existe:
- Des monnaies affectées, par exemple les Airmiles,
pour acheter des trajets d’avion et des objets de luxe (il en existe des centaines d’exemples).
- Des monnaies complémentaires qui se
développent à un échelon local et qui fonctionnent sur une logique de
compensation mutuelle . Le crédit mutuel est un façon d’organiser des
compensations mutuelles.
Ces monnaies locales ont
pour ambition d’atteindre des objectifs de proximité au service des gens, des
petites et moyennes entreprises et des territoires. L’une des plus anciennes
date de 1934. Il s’agit du Wir,
qui a cours en Suisse et qui a été adopté par 60 000 entreprises en particulier des PME. Il est possible de mieux comprendre les
enjeux des monnaies complémentaires et de leurs effets de développement en s’initiant
par exemple grâce à un MOOC
du CNFPT. Ces monnaies ont des points communs avec le troc.
Le troc 11 000 ans d’histoire : le plus
vieux métier du monde ?
Les échanges sans contrepartie financières ont précédé les monnaies. L’échange
de grains d’orge ou de cauris en Afrique pour faciliter le commerce est
identifié de longue date.
Les anthropologues ont d’abord décrit le « potlach ».
Il s’agit d’une forme de troc par le moyen duquel des tribus entrent en
communication. Aux confins du territoire, une tribu dépose un présent à une
autre, s’éloigne et observe. Puis la seconde tribu s’approche prudemment,
observe prend le présent et vient ou non en déposer un autre en retour. La
succession de temps d’échange avec des présents symboliques ou de valeurs attribuées,
plus ou moins fortes, permet d’adresser des messages et d’établir des liens.
Le troc (barter en anglais) participe d’une logique un peu différente. « Le
Barter (ou bartering),
peut se traduire par « troc ». Il se définit par l'échange de biens
ou de services sans contrepartie d'argent numéraire. Dans sa version moderne,
le Barter est un système d'échanges inter-entreprises ; échanges
multiparties et différés dans le temps, associé à une technique commerciale
dites de « paiement
par compensation de factures » (Définition
de France Barter)
L’organisation de réseaux de trocs ressort à l’occasion de crises, comme
pour la
crise de 29, ou plus récemment, la crise en Argentine. Le troc concerne aussi
bien les particuliers que les entreprises qui s’organisent en réseaux.
- Réseaux
communautaires : par exemple
les échanges entre particuliers de mytroc.fr qui ont pour unité de compte « la noisette ».
- Réseaux
interentreprises : ces
réseaux visent un développement local, un soutien à une langue des territoires
ou des générations. Deux exemples Français:
- France Barter qui réunit déjà 1500 entreprises
qui échangent dans un écosystème numérique (market place digitale) par exemple
des cartes de visite versus comptabilité versus repas traiteur etc. Le troc
donne lieu à une facturation déclarée.
- Active agence de troc qui s’adresse à des
grandes entreprises pour échanger des services de campagne de communication par
exemple des surplus de stock (afin d’éviter l’obsolescence de valeur) ex
chambre d’hôtel versus campagne de communication. Le prêt de personnel n’est
pas autorisé. Cette solution de troc limiterait la destruction de 600 M euros
de produits finis.
Les logiques de troc nécessitent de la confiance d’une part et bénéficient
d’autre part de la puissance de connexion.
Le don contre don - Mauss
Peut-être que l’orientation
générale pousse à aller encore plus loin vers une logique du don et du contre
don développée par Marcel
Mauss qui décrit des sociétés ou le fait social est total. Pour Mauss le
don est agoniste dans le sens où il oblige celui qui l’a reçu à le restituer. Il
ne peut se libérer de cette dette morale que par un contre don.
Le cercle
vertueux est enclenché. Et il se pourrait bien qu’internet soit un accélérateur
de don, car ce que l’on donne en ligne on ne le perd pas, on en garde une
trace. Troquer du temps et des services va engager de nouveaux apprentissages.
Il est important de se rappeler qu’être riche de sa
santé, de ses amis, de ses projets est un don à chérir et partager, car les
liens valent plus longtemps et plus surement que les biens.
Sources
Marcel Mauss https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Mauss
France Culture Patrick Viveret https://www.franceculture.fr/personne-patrick-viveret.html
APM Live https://www.youtube.com/watch?v=EceOHd_sGC4
France Barter https://www.francebarter.coop/notre-metier
Jean François Noubel https://www.youtube.com/watch?v=GLDO-MvlOSo&list=PLMgJ9UQjGoTGs4QQxk0Jd2ZTFKiKCTzD8
Chaine Jean François Noubel https://www.youtube.com/user/jfnoubel
France Barter https://www.francebarter.coop/
Jean François Noubel – Terrien open source https://noubel.com/
Bartering https://fr.wikipedia.org/wiki/Bartering
FUN Monnaies complémentaires, un nouvel outil au
service des territoires https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:CNFPT+87014+session04/about
Wikipédia – Potlach https://fr.wikipedia.org/wiki/Potlatch_(anthropologie)
Active International https://www.activeinternational.com/contact-us
Wikipédia – Certification B Corp https://fr.wikipedia.org/wiki/Certification_B_Corp
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