Espace, pouvoir, être
La thèse de Sylvain Riss «D'une lecture sémiologique de l'espace du formateur à son agir pédagogique» s’intéresse à un impensé de
la pédagogie : le rapport entre l’espace du formateur et sa pédagogie.
Par le moyen d’une recherche-action Sylvain Riss cherche à
décrypter les influences du formateur sur son milieu et les effets en retour.
Il s’efforce tout d’abord de décrire ce qu’il entend par milieu et se centre
sur l’espace du formateur avec les notions d’espacement, d’espace symbolique et
de creux dans la continuité.
Il rappelle la situation particulière du formateur
dans un espace de pouvoir et la construction de sa posture d’autorité. Il note
également toute l’importance de situer l’espace dans la globalité d’une
géopolitique du lieu de formation et de la place et du rôle du lieu dans un
dispositif.
Un lieu pour apprendre et enseigner
Pour Riss, l’espace contribue à la mise en tension vers un objectif d’apprentissage. Il
existe en effet une relation entre le périmètre territorial du formateur, le
périmètre d’apprentissage et l’espace de formation. Pour Riss « Cette relation n’est pas
nécessairement conscientisée, intégrée à nos esprits de formateurs, apparente,
mais catalysée par l’espace ».
Cette zone de rencontre tient de la notion d’écotone évoquée par Abbas (2012), qui est une « zone de transition
écologique entre deux écosystèmes, c’est l’espace de négociation qui ajuste
perpétuellement ses frontières et les territoires ». La notion d’écotone
est issue de l’écologie et signifie «zone de transition et de contact entre
deux écosystèmes voisins». L’écotone est donc un espace interface un milieu
hybride ou les écosystèmes floraux et animaux sont contigus. En formation c’est
un espace contingent, de friction, de négociation. Ce tiers espace se négocie progressivement se
territorialise et se naturalise. Des points de densité apparaissent.
Mais il existe aussi des « terrains-vagues »
ou espaces transitionnels, qui sont des coulisses et des espaces postérieurs
dans la présentation de soi, des espaces de contrebande, des espaces hostiles,
des espaces neutres dans les espaces de l’homme, des zones tampons, des lieux
stratégiques de repli et d’échange, ou aussi des terrains d’aventure dans
l’imaginaire.
Ces « no man’s land » (espace devant le
vidéoprojecteur, recoin, seuil ou lieu de passage, espaces indéfinis donne à
lire la liberté offerte aux apprenants et aux formateurs. Dans la multiplicité
des espaces le formateur erre, c’est-à-dire qu’il se déplace et construit une
géométrie de l’espace, cette géométrie du mouvement porte un sens. L’espace est
en effet socialement connoté entre l’espace conçu, l’espace de
représentation est l’espace vécu, qui renvoient à des registres d’objectivation
scientifique, phénoménologique voire psychanalytique.
Pour construire un diagnostic spatial , Riss s’appuie
sur le triangle pédagogique de Houssaye et décrit trois postures du formateur :
- La posture de l’artisan - le formateur
explicatif : révélateur d’une philosophie analytique des langages formels
et naturels. C’est le programme qu’inaugure le positivisme logique (1930) et qu’on
peut qualifier de théorie descriptive de la connaissance.
- La posture du jardinier - le formateur
constructiviste : tenant d’une science des systèmes cognitifs naturels et
artificiels. C’est le programme inauguré par Piaget et qui aboutit aux théories
représentationnistes de la connaissance.
- La posture du médiateur - le formateur
dialoguiste : issue d’une théorie des jeux de langage. C’est le programme
inauguré entre autres par Wittgenstein et qui débouche sur les théories
pragmatiques de la connaissance.
Puis pour bâtir sa méthode d’observation des espaces
il cherche à comprendre l’architecture, il reprend à son compte la proposition
de Marcel Mauss et de son manuel d’ethnographie qui propose le principe d’action
suivant : « Pour étudier la maison, procéder en architecte ».
Il convient donc d’étudier les fondations du terrain avant même de s’en
approcher.
Il retient ensuite 4 points de vigilances de Piveteau
et Lardon (2002) pour mener à bien ses observations :
- La traduction de phénomènes
en objet et processus spatiaux.
- L’explicitation des
modèles sous-jacents, donc la capacité à formuler, derrière l’observation d’une
régularité spatiale, un modèle explicatif et au besoin le valider.
- La combinaison ou la
capacité à mettre en relation et à analyser les cohérences entre les différents
objets et les différents processus analysés.
- L’évaluation, ou la
capacité à passer d’un modèle spatial à la formulation d’un jugement.
Sylvain Riss complète son dispositif avec 7 principes
organisateurs des espaces : appropriation, échanges, gestion, affectation,
polarisation, flux et transformation.
Riss utilise la photographie avec des prises de vues à
plusieurs moments de la journée (avant/après) en compléments d’un outil
d’observation des mouvements du formateur. La calcographie de (Deligny, 2007)
qu’il emploie est un relevé des déplacements du formateur sur un calque dans
une salle.
Pour finaliser le relevé de
traces du mouvement du formateur, il structure l’espace à observer par un
maillage (disposition spatiale, proxémie, distances et territorialités), un quadrillage
(proxémie, territoires et seuil), une hiérarchie (individu/groupe, approches
multi-référentielles, fixité spatiale, rapport aux savoirs, autorité) et des
contacts (décor, coin).
Il identifie des façons de spécifiques des formateurs
de gérer leur polarité et de théâtraliser leurs interventions à la façon de
prêtre (assurant un prêche), de citadin (réalisant un stand-up) ou de marin
(naviguant dans l’espace). Pour ces trois figures archétypiques, il analyse les
polarités, les tropismes et les dynamiques.
L’auteur reprend point par point son approche et
détaille avec bonheur sa méthodologie comprenant :
Étape n°1 : Travail sur calques - la cartographie
Étape n°2 : Instruction au sosie
Etape n°3 : Questionnaire au formateur
Une magnifique thèse bien écrite et particulièrement
documentée qui nous permet de mieux pénétrer ce que pourrait être une « clinique
de l’activité spatiale du formateur »
Sources
Riss, S. (2013). D'une lecture sémiologique de l'espace du formateur à son agir pédagogique
(Doctoral dissertation, Université de Lorraine).
https://www.researchgate.net/publication/333204450_D'UNE_LECTURE_SEMIOLOGIQUE_DE_L'ESPACE_DU_FORMATEUR_A_SON_AGIR_PEDAGOGIQUE
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