Publié le 26 avril 2020 Mis à jour le 26 avril 2020
Si nous devions résumer la question fondamentale qui se joue en politique au niveau international, il s’agirait de celle-ci : que doit-on choisir entre environnement et croissance économique? Dans les deux camps, les partisans trouvent que la réponse est évidente. Pour le commun des mortels, elle n'apparait pas si simple. Nous souhaitons à la fois que la société progresse mais nous voyons de plus en plus que nous atteignons les limites des ressources et que nous menaçons notre survie. La notion de «progrès» a besoin d'être redéfinie.
D’ailleurs, le thème était un de ceux possibles lors du bac de SES en 2019. Finalement, ce ne fut pas celui choisi mais cette émission de France Culture rappelait bien aux lycéens la situation et les éléments à se souvenir dans une potentielle dissertation. D’autant plus que cela fait longtemps que cette question est débatue par des experts.
En 1972, le club de Rome, un rassemblement d’experts de divers domaines, publiait le rapport Meadows aussi appelé « The limits of growth ». Ils avaient déjà noté que la croissance économique qui était forte à l’époque ne pouvait pas se pérenniser. Après tout, les ressources de la Terre, particulièrement celles des énergies fossiles, sont finies et ne peuvent donc pas répondre à une inflation infinie. Leurs modèles montraient que de continuer au rythme continuel allait mener à une chute brutale de la démographie et de l’industrie au 21e siècle. Or, les réponses à ce signal d’alarme ont été, au mieux, de l’indifférence et dans certains cas, du ridicule. Cette émission de Radio-Canada explique bien les réactions à ce rapport au moment de sa parution.
Et pourtant le document, sans tout prédire à la perfection, avait raison sur bien des aspects. Nous voyons bien aujourd’hui les limites atteintes et les catastrophes qui nous pendent au bout du nez si nous continuons dans cette voie. Or, le paradigme de la croissance étant tellement ancré dans notre société, il devient difficile de penser autrement ou de décroître. En effet, même le développement durable à sa base est une approche qui veut poursuivre une croissance illimitée avec des ressources limitées; une équation vraiment difficile à résoudre !
Pour certains, la solution passe donc par une continuation de l’économie de marché mais avec des mesures incitatives écoresponsables comme le fait, par exemple, l’Union européenne. Que ce soit une taxe carbone ou un durcissement des règles environnementales envers les entreprises, tout est bon pour améliorer l’empreinte écologique et poursuivre le libre-échange. D’ailleurs, le prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz a signé une tribune en 2019 qui affirmait qu’il était tout à fait possible de combiner croissance et écologie en cessant de compter sur le marché et créant des politiques publiques solides. Celles-ci pourraient investir davantage, encadrer fortement les pratiques polluantes et redonner aux plus démunis de la société.
Pour ces économistes luxembourgeois, la limite ne se situe pas dans le matériel mais dans l’intellectualité. Il est temps de réfléchir une civilisation écologique avec des infrastructures adaptées. Ils veulent sortir du conflit croissance-décroissance pour propose une a-croissance, une approche agnostique qui prendrait en compte le bien-être plutôt que le simple PIB.
À l’inverse, certains affirment qu’il faut arrêter de croire que la croissance est infinie, que ses limites n’ont jamais été aussi évidentes que maintenant et qu’il faut poser un nouveau paradigme qui privilégie le capital naturel. Pour ces gens, l’argument qui dit que les pays en forte croissance ont de meilleurs bilans environnementaux est totalement faux. En outre, ils soulignent que la supposée amélioration des conditions de vie de la croissance n’a pas été si incroyable. Selon l’indice d’extrême pauvreté, qui varie d’après les économistes, 800 millions de personnes vivent avec 1,90 $ par jour et 4 milliards ne gagnent pas plus de 7,50 $ quotidiennement. Dans les deux cas, rien de reluisant. Alors, des experts proposent, entre autres, un urbanisme plus frugal pour améliorer les choses et surtout d'adopter une décroissance.
Dans l’émission de France Culture, la dernière partie préparait les lycéens à réfléchir un monde post-croissance. Ils devaient pouvoir donner des pistes d’avenir. Cet article d’Usbek & Rica montre que des chercheurs suédois ont étudié la décroissance et sont venus à plusieurs scénarios. Déjà, elle ne serait pas nécessairement synonyme de faillites généralisées, de chômage de masse ou même de fin du capitalisme en soi. Cela mènerait plutôt divers types d’économies comme celle collaborative (partage de biens et services), circulaire (utilisation et réutilisation de la matière), de l’autosuffisance locale (baisse de la consommation et de l’importation) ou de l’automatisation à haute qualité de vie (automatisation menant à une baisse du travail et du besoin de consommation de matière). Il existe d'autres scénarios probables mais il s’agit des principaux pensés par les scientifiques.
Évidemment, la décroissance signifierait des changements radicaux de nos quotidiens. Elle imposerait des façons de faire qu’il semble encore difficile à imaginer de nos jours. Pas étonnant alors que le concept fasse peur et soit démonisé par certains commentateurs dans les médias. Il faudra toutefois y réfléchir parce que nos ressources et nos espaces sur notre planète ne sont pas infinis.
Illustration : drpepperscott230 de Pixabay
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