Publié le 19 avril 2020 Mis à jour le 19 avril 2020
L’Afrique a longtemps été reconnu pour sa forte tradition orale et son éventail de proverbes et devinettes originales. Les devinettes représentent un moment de distraction auquel s’adonnaient à l’occasion la plupart des jeunes, garçons et filles.
Pour la majorité des jeunes africains, surtout ceux nés avant les années 2000, les jeux de devinettes étaient des moments intenses de réflexion individuelle et collective au travers du jeu. Il n’y avait pas un moment codifié particulier qui soit plus propice qu’un autre et, s’il arrive que des devinettes soient lancées, le soir, au début d’une soirée de conte, ce n’est pas pour autant une règle.
Lors d’une séance de devinettes, chacun dit sa devinette en employant une formule d’entrée. Très souvent, quelqu’un dans l’assistance reprend la formulation de la devinette avec une intonation interrogative descendante.
« Devinette » lançait l’orateur principal pour capter l’attention de son auditoire avant de donner les différents indices de la devinette.
« Nette… ? » répondait l’assistance pour indiquer son attention ou disposition à écouter l’orateur.
Parfois lorsqu’une devinette est très connue, ce sont de multiples voix qui répondent, en chœur ou en cascade. Après confirmation par celui qui a posé la devinette que la réponse est bien la bonne, celui qui a trouvé la réponse va « prendre son tour » et dire une devinette. Voici quelques exemples de devinettes cachant une ironie, une petite particularité comique.
Les participants s’interpellent, se congratulent, s’encouragent et de nombreux rires fusent à tout moment. Ainsi se déroule la séance jusqu’à épuisement des devinettes connues pour cette fois-là des intervenants.
Au Cameroun, les séances de devinettes se pratiquaient davantage entre les jeunes et l’équipe qui réussissait à résoudre le maximum de devinettes était récompensée à travers des points ou des bonbons selon les paramètres définis avant le jeu.
Pour mieux se préparer, certains enfants étaient très attentionnés aux heures de conte, car la majorité des devinettes tiraient leurs sources dans les contes. D’autres enfants par contre, avaient des livres de devinettes dans lesquels les énigmes ainsi que leurs réponses avaient été compilées. Toutefois, étant donné que ceci retirait le gout de mystère, du jeu et de découverte collective, cette pratique n’était point encouragée et il arrivait que l’orateur qui donnait les indices de l’énigme en change l’ordre pour confondre ceux qui avaient antérieurement mémorisé ces indices et leurs réponses.
Avec le boom numérique depuis les années 2000, suivi de l’avènement des jeux vidéo et des réseaux sociaux, les jeunes se sont de moins en moins intéressés aux devinettes. Certains passaient plus de temps derrière leurs écrans sur internet, sur leurs commandes de jeux vidéo ou tout simplement sur Facebook à tchatter avec leurs amis et connaissances. Les moments de rencontres collectives et de jeu communautaires se sont raréfiés au fil du temps à tel enseigne qu’aujourd’hui, la majorité des jeunes nés après les années 2010 n’ont probablement jamais vécu une séance de devinette en famille ou en communauté.
Grace au numérique cependant, de nombreuses devinettes ont été sauvegardé sur des supports électroniques qui en facilitent la distribution et diffusé par des blogs culturels. D’autres ont été documentées et compilées dans des livres, notamment sur les devinettes du Rwanda, ou du peuple Peul au Nord Cameroun.
À la suite des effets pervers du numérique sur la culture africaine, de nombreuses associations culturelles en Afrique et en Occident, se sont lancés dans la promotion de l’usage des devinettes dans l’éducation des jeunes, autant dans le cadre familial que scolaire.
Ce plaidoyer autour des devinettes vient du fait qu’elles permettent de développer la curiosité, la concentration et la réflexion critique des jeunes.
La curiosité puisqu’il arrive très souvent que les enfants jouant aux devinettes posent des questions à leurs parents pour trouver les réponses à certaines devinettes complexes ; ou alors qu’ils se lancent dans une exploration créatrice et figurative de leurs environnements pour en déceler ce qui peut être l’objet d’une devinette. Car la beauté du jeu de devinette résidait dans le fait qu’il était possible d’en créer de nouvelles à partir d’une observation minutieuse de l’environnement. Certains enfants créaient donc de nouvelles devinettes qui étaient rapidement adoptées et ajoutées au répertoire de celles existantes.
La concentration et l’esprit d’écoute puisqu’il est impossible de trouver la réponse à une devinette sans l’avoir écouté attentivement puis visualiser dans son imaginaire afin de trouver le déclic.
La réflexion critique car les devinettes donnent lieu à des remues méninges. Voici des exemples:
Comme on peut s’en rendre compte, l’image retenue pour définir l’élément à trouver fait appel à une conception culturellement motivée.
Tout simplement parce que les enfants apprennent bien mieux quand ils sont les acteurs ou héros de leurs apprentissages. Les méthodes classiques de type verticale ou l’enseignant déverse le savoir vers des apprenants, ne fonctionnent pas véritablement. Les enfants qui reçoivent des connaissances de manière « passive » utilisent peu leurs capacités d’apprentissage. Or les jeux de devinettes ont ceci d’intéressant qu’ils impliquent activement les enfants dans le processus d’apprentissage à travers des défis et énigmes. C’est d’ailleurs l’une des méthodes utilisées par l’Odyssée pédagogique.
Au-delà d’être une distraction collective qui permet à tous de se replonger dans les spécificités de la culture qu’ils partagent, les devinettes ont également un fort potentiel pédagogique pour développer l’esprit critique et la curiosité des apprenants. La devinette apprend aux enfants les règles de la vie en société et les instruit du monde naturel.
Au travers des devinettes sont exprimées des idées, des sentiments, des fantasmes qui, ne peuvent apparaître clairement dans la parole courante. Ils permettent de dénouer certaines tensions sociales, d’aborder avec moins de passion les problèmes dans les relations familiales et d’atténuer des conflits entre générations et classes d’âges.
Les devinettes, quoique culturellement ancrées, sont exprimées dans un langage de l’universel, de la transversalité, sans limites dans le temps et dans l’espace. Beaucoup de thèmes communs provenant de cultures très différentes et très éloignées les unes des autres apparaissent dans les devinettes. Et les enseignants ou éducateurs sont encouragés à s’en servir dans comme support pédagogique.
Illustration : https://iwaria.com/photo/NDU5Ng==/
Le patrimoine immatériel du Togo : voyage à travers des aventures imaginaires / Alexandre Kodjona Kadanga / Lomé : Presses de l'IRES-RDEC , 2015. URL : http://www.sudoc.fr/200495143
Folklore oral des enfants malgaches / Sambo Clément ; sous la direction de Pierre Vérin. URL : http://www.sudoc.fr/07371769X
Recueil de proverbes et devinettes Tome 1, idàáshà / rassemblés et ordonnés par Odun Kouyomou Dieudonné / [Cotonou] : Centre National de Linguistique Appliquée (CENALA) , 1990. URL : http://www.sudoc.fr/031235158
Folklore oral des enfants malgaches / Sambo Clément / Paris : Institut des langues et civilisations orientales , 1988. URL : http://www.sudoc.fr/022190988
1500 proverbes, devises, serments, cris de guerre et devinettes du Gabon / André Reponda-Walker / Versailles : les Classiques africains , 1993. URL : http://www.sudoc.fr/048938505
Les devinettes du Cameroun / Sop Nkamgang Martin. URL : http://www.sudoc.fr/145951545
Devinettes bambara, Georges Meyer, avec la collaboration de Jean-Pierre Onattara et de Issa Diarra / Paris : Éditions l'Harmattan , 1978. URL : http://www.sudoc.fr/000175005
Contes, proverbes, devinettes ou énigmes, chants et prières ngbaka-ma'bo (République centrafricaine) / [recueillis et traduits par] Jacqueline M. C. Thomas ; avec la collab. de Simha Arom et Marcel Mavode / Paris : Klincksieck , 1970. URL : http://www.sudoc.fr/002017385
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