La mission numérique
Lorsque vous êtes
passionnés de numérique, un véritable geek, vous êtes en mission, rien ne vous
arrête. Vous êtes engagés dans votre organisation et à l'extérieur parfois même
au-delà du raisonnable. C'est grisant de sentir que vous apportez à la terre entière
votre allant et votre talent. Vous y mettez toute votre âme. Vous êtes
missionnaire prosélyte, ambassadeur de votre cause. Une opportunité de diffuser
tous les savoirs est à saisir. Tout le monde doit vous accompagner. Vous
confondez temps de travail et temps personnel.
D'ailleurs vous n'avez pas
l'impression de travailler, puisque ce qui importe c'est de convaincre, de
découvrir les nouvelles applications, les potentiels inexplorés d'en tirer
toute la substantifique moelle. Parfois vous vous surprenez à des heures
tardives à veiller à la lueur de votre téléphone portable pour tester une
nouvelle application.
Demain vous pourrez bluffer tout le monde en proposant un
peu de magie numérique des résumés ultra
pertinents à partir de textes complexes, des traductions de langues
étrangères, des éditeurs sonores, des travaux
collectifs wiki, des cartes faciles
à faire, des services alternatifs, l'accès
à des expertises etc. À vous seul vous allez faire reculer l'illectronisme et
faire avancer l'émancipation individuelle et collective.
La démission numérique
Le code d'honneur des samouraïs japonais les conduirait à faire seppuku en cas d’inconduite
ou de dilemmes moraux insolubles. Autrement dit, ils se donneraient la mort. La
traduction contemporaine est plus douce fort heureusement. Quand les
circonstances se font hostiles, que le combat est perdu, que votre organisation
se centre sur elle-même en oubliant ses clients, que vos dirigeants ne voient
dans le numérique qu'une machine à cash déshumanisante, que vous vous sentez
piétinés dans vos valeurs, vous êtes contraint de battre en retraite.
Vous
pouvez adopter la technique de la terre brûlée, détruire tous vos
fichiers ou au contraire organiser une retraite en règle. Selon votre
tempérament vous laissez des ruines ou des graines à germer. Personne n'a voulu
de votre LMS, de votre application, de votre MOOC
connectiviste, de vos idées. Vous êtes interdit de rêves, votre
organisation vous pose des problèmes insolubles en privilégiant l'ultra court
terme... qu'à cela ne tienne vous imaginez autre chose, vous glissez sur la
toile. Vous vous projetez ailleurs. Vous revenez aux méthodes anciennes.
Mais,
parfois même, il vaut mieux partir pour que fleurissent d'autres futurs. Et que
d'autres que vous s'épanouissent. Inutile de s'accrocher à des branches pesantes
qui finiront par tomber.
L'intensité de la
démission est à mettre en regard de l'intensité de la mission
Plus l'engagement a été
fort, plus vous avez travaillé de toute votre âme, plus la séparation peut
s'avérer douloureuse. Comment laisser une part de soi sans un regard en
arrière, sans un regret? Il restera bien vos compagnons d'exploration, des
traces numériques de votre passage. Des programmes, des fichiers, des
ressources, des vidéos, mais le plaisir est un peu gâché. Tout n'a pas été tout
rose. Vous avez fait au mieux, les autres aussi. Il s'agit de passer à autre
chose.
Certains vous pleurent, d'autres sont indifférents, d'autres encore
guignent votre siège encore tiède ou votre mug fantaisie. Les natures humaines
suivent leur inclination. Est-on vraiment obligé de subir des missions sans
intérêt pédagogique ? Comment
refuser de faire du remplissage ou de l’abattage juste pour satisfaire des
chiffres ? Il n’y a point de bonne pédagogie en ligne sans engagement de l’apprenant
dans son milieu et sans appui d’un médiateur qui se positionne en
facilitateur.
La rémission numérique
Le troisième temps est
celui de la rémission. Pour un malade c'est un temps de guérison. Mais dans une
entreprise c'est un temps de bilan, d'analyse, de retour sur ce qui a été
fait. Un temps d'introspection, un moment de "plus jamais ça", ou de
"Je viens de comprendre quelque chose".
Peut-être la lenteur d'un
apaisement, le gain de plus de maturité ? C'est la digestion qui se met
en place et produit une transformation. Passés les emballements de la magie où
l'on croit que sur un claquement de doigts le digital résout tous les problèmes,
on se prend à devenir plus raisonnable et à mieux identifier les justes
possibilités. Le
digital j'en prends deux doigts pas plus. Une sobriété heureuse en quelque
sorte. La rémission est affaire de dosage. Il s'agit de faire grandir les
meilleurs possibles entraperçus, de traîner à nouveau sur les forums avec un œil
neuf, de sentir les tendances, moins avec la griserie d'une abeille qui pointe
son nez insouciant dans le pollen, et plus avec la vision détachée de la nature
qui poursuit son cycle. Le numérique à haute dose finit par nous faire
suffoquer.
La permission et les
entreprises à mission
Pourquoi ne pas se donner
le droit de prendre de la distance ? Pourquoi ne pas rejoindre une entreprise à mission ?
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principes fondent de telles entreprises :
- Engagement : Adoption d’une mission engageant l’entreprise auprès de ses
parties prenantes à déployer les moyens nécessaires pour accomplir sa finalité
sociétale.
- Évaluation : Traduction de
la mission dans des engagements et
objectifs chiffrés, objectivés et évalués à un rythme annuel.
- Mission
: Formulation d’une mission,
librement définie, dotée d’un impact social, sociétal ou environnemental
positif, engageant les actionnaires (inscription dans les statuts ou tout autre
document officiel).
- Gouvernance : Intégration
des enjeux de la mission au sein de la
gouvernance de l’entreprise, soit au sein de l’organe de contrôle principal,
soit par la création d’un comité ad hoc.
Ces entreprises déclarent
s’attaquer à des problèmes sociaux ou à des causes d’intérêt général, et certaines
de grandes tailles pourraient avoir un effet. Retrouver des missions qui
comptent, s’engager pour autre chose que des rapports et des comptes rendus lus
par personne, voilà un autre programme.
Dans des environnements
incertains, dans lesquels chacun comprend la valeur de la vie, il est temps de
se réaliser dans des actions qui comptent. La soumission librement consentie a
des limites, quand la grosse machine continue à avancer sans se remettre jamais
en cause. Le digital peut être une formidable machine à broyer et à rendre
stupide ou bien permettre un « numérique
capacitant ».
C’est celui que nous pouvons appeler de nos vœux.
Sources
Entreprise à mission
https://www.entreprisesamission.com/
Caillé, A. (2010). La démission des clercs: la
crise des sciences sociales et l'oubli du politique. La Découverte.
Riposte créative https://ripostecreativeterritoriale.xyz/?PagePrincipale
Audacity https://audacity.fr/
Gogocarto https://gogocarto.fr/projects
Chatons https://chatons.org/
Numérique capacitant
https://labo-archive.societenumerique.gouv.fr/2019/03/14/a-conditions-numerique-etre-capacitant/
Les échos – Ces sociétés qui se convertissent en entreprise à mission
https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/ces-societes-qui-se-convertissent-en-entreprises-a-mission-1163357
Thot cursus - Créer un Mooc connectiviste
https://cursus.edu/11065/creer-un-mooc-connectiviste
Thot cursus edu Maux du numérique en pédagogie
https://cursus.edu/10690/maux-du-numerique-en-pedagogie
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