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Publié le 17 février 2020 Mis à jour le 31 mai 2022

Ni Dieu, ni maître, ni certification !

Toujours la liberté pour apprendre

La longue histoire de la normalisation pédagogique

Les normes sociales nous expliquent ce qu'il est convenable de faire. Elles renvoient d'une certaine façon à la morale, au bien au mal, au bon au mauvais au juste et à l'injuste, au blanc et au noir, au « vous avez coché la bonne case » ou « vous avez coché la mauvaise case ».

En somme elle renvoie à un monde dichotomique sans nuance coupé en deux. C'est vrai ou c'est faux. D'un côté ceux qui sont dans la norme et de l'autre côté ceux qui y sont extérieurs.  Les normes inspirent et construisent des références, des repères, des chartes, des guides censés orienter nos comportements.

Quand les normes édictées en loi s'imposent dans les métiers, elles disent les actes et jugements professionnels reconnus et éliminent les autres. Pour ma part je prétends que les métiers de formation sont des métiers de vitalisation et ne sauraient être si fortement référencés que la tendance actuelle le souhaite. Car la vie se vit plutôt qu'elle ne se met en case ou en critères.  C'est une stratégie bien connue de domination que d'édicter des règles puis de les prétendre légitimes et enfin de créer un corps de douaniers pour les faire respecter et de rejeter ceux qui disposent de moins de moyens pour faire valoir leur singularité. C’est la théorisation d’une rationalité.

Plusieurs arguments plaident pour l'évitement de référentiels en matière de formation

Argument 1 : La qualité certifiée n'est pas la qualité

Les normes qualités appliquées à la formation dans les années 90 ont elles garanti quoi que ce soit en matière d'assurance qualité ? La réponse est non.

Des organismes certifiés OPQCM ou iso 9001 ont disparu par manque de répondant à leurs clients. Ce qu'ils proposaient satisfaisait à des normes censées servir les clients, mais visiblement ceux-ci n'étaient pas au courant.

Le même phénomène est observable dans l'enseignement supérieur les normes AACSB, Equis par exemple ne protègent pas une école d'affaires de disparaître. La qualité, c'est à dire ce qui répond à des attentes d'une société et des individus qui la composent, n'est pas toujours au rendez-vous.

On pourrait aussi évoquer l'exemple des certificats remis aux coachs par exemple, Tron le fétichiste des pieds, était un coach dument certifié. Il a utilisé sa position de pouvoir de façon contestable dans ses relations aux femmes. Il a oublié qu’il était certifié. Pour la dimension éthique on a fait mieux.

Argument 2 : Les modèles basés sur la compétence s'appuient sur des notions floues. On trouve des milliers de définitions. Qui décide de la référence ? 

Contrediriez-vous votre médecin, s'il vous expliquait le fonctionnement de l'un de vos organes ? Non. Écoutez-vous votre docteur en sciences de l'éducation s'il vous dit après avoir longtemps cherché que la compétence est une notion très approximative socialement située et négociée ? Non. Il est peu écouté.

Même bancale, la notion est de forte portée pratique. Mieux vaut raisonner avec sinon vous disparaissez comme ce qui se produit actuellement pour de nombreux petits organismes de formation ou des consultants indépendants.

Sont ainsi privilégiés les grands opérateurs publics. Vous lirez avec intérêt les critiques et limites de la compétence de l'un des consultants considérés comme l'un des maîtres en la matière. Guy Le Boterf a conseillé les plus grands groupes et pourtant il dénonce désormais les limites de cette notion (Voir Savoirs 2013).

Alors un édifice basé sur une notion contestable est-il stable ?

Argument 3 : Les référentiels n'ont jamais évité les tricheurs

Il y a une différence notable entre le prescrit et le réel. Vous pouvez satisfaire magnifiquement les normes d'un dossier papier, par exemple en France le Référentiel National de Qualité,  et vous vous avérez incapable de le mettre en œuvre. Les scandales sanitaires en tous genres en attestent. 

Il y a même un marché du conseil en certification qui s'est organisé pour promouvoir des prestations. Rappelons-nous que la différence entre un désert et une oasis c'est l'homme pas l'eau. De la même façon, la différence entre une formation de qualité et un autre médiocre tient pour beaucoup dans le formateur et sa capacité à interroger la commande, pas dans une brochure qui vous vent du rêve et affiche avec fierté une certification.

Argument 4 : Les référentiels évitent l'essentiel de la vie

Tout ce qui est dit dans les référentiels est la vision morale du métier, technique dicible, un concentré de gestes professionnels dénué de contexte et d'affects. Pourtant le travail et la formation sont vivants. La mise en place de barrières est une gêne à l'innovation.

Les initiatives seront contraintes et limitées car, hors référentiels, il faut déployer une énergie considérable pour infléchir les idées admises. On renforce le consumérisme en proclamant une norme parce que le client dira « vous ne respectez pas le référentiel ». Il creusera le sillon du conformisme encouragé par la norme à atteindre.

Je rappelle qu'apprendre est une coproduction entre un esprit et un environnement. Va-t-on certifier les apprenants et leur cerveau ? Les référentiels vont limiter l'adaptation de contenus, de méthodes d'apprentissage. J'aime coconstruire avec les apprenants et partir d'une page blanche, je nomme cela « pédagogie du cadre-flou » cela devient inadmissible, pourtant je me sens héritier de Rogers et d’une pédagogie non-directive.

Et ma collègue qui crée des "voyages en terre inconnue " pour des apprenants que pourra-t-elle faire ?  Elle ne dit pas où ils vont et ce qu’ils vont faire. Ils découvrent. Ils improvisent. Ils réagissent à quelque chose de hors norme. Les meilleures formations sont celles qui émergent des situations et de l'énergie des participants et non pas celles qui sont stagifiées, prévues, maîtrisées par un référentiel. On éborgne tout potentiel de facilitation en prétendant tout maîtriser. La facilitation c'est ce qui permet de créer des cadres d'action ensemble pas simplement d’entrer dedans.

À force de glisser dans des moules on devient tarte.

Argument 5 : Pourquoi la formation professionnelle plutôt qu'un autre secteur d'activité ?

Pourquoi un secteur devrait-il être normalisé par la loi et référencialisé à ce point ? Qui a peur de la liberté en éducation ? Parmi les plus grands pédagogues on trouvera pas mal de libertaires comme Paolo Freire, des résistants comme Joffre Dumazedier. Qui oserait dire à ces guides qu’ils sont allés dans la mauvaise direction ?

Comment se fait-il que ce ne soit pas le métier réel et ses conditions d'exercice qui en dictent la conduite ? Qui oserait édicter aux Compagnons du devoir et aux artisans la façon dont ils travaillent dont ils apprennent ou évoluent dans leur métier ? « Avez-vous un référentiel cathédrale » s'il vous plait ?

Si les compagnons avaient dû disposer des plans complets ils n’auraient rien bâti de grandiose (rappelons que les cathédrales se bâtissent sur plus de 100 ans sans plan préalable).  Depuis des siècles les apprentissages des compagnons ont excellé. Ils sont guidés par la main, l'outil, l'imagination, le projet et leurs matériaux. En formation l'apprenant est simultanément la main, l'outil, l'imagination, le projet et le matériau de sa propre édification. Et je prétends que tout cela ne tient pas dans un référentiel.

Mais alors que faire ?

Personne n'enserrera l'essentiel de l'apprendre dans un référentiel, car ce qui compte vraiment c’est la posture et l'intention des personnes-ressources et des personnes-projets qui se rencontrent. On voit la détresse de l'éducation nationale où nombre d'enseignants souffrent d'obéir aux circulaires de toutes sortes qui ne cessent de changer.

Ils exercent de façon normée un métier d'appreneurs (en tout cas c'est ce qu'on voudrait qu'ils fassent) au lieu de puiser dans des forces vocationnelles disponible en eux. Ou mettre de l’énergie ? Allons par exemple vers des finalités sociales élevées comme la possibilité de se grandir voire de s'émanciper par la construction de sa propre direction, ce sont les effets induits du rapport au savoir qui se développent dans l'apprendre ensemble. Pourquoi l'école 42 attire elle du monde ? Parce qu'elle permet d'accéder à un emploi valorisant, pas parce qu'elle délivre un parchemin estampillé.

Ce qui devrait nous guider c'est plus la liberté pour apprendre et pour offrir des environnements capacitants. L'accent devrait porter sur l'encouragement des formateurs  ou faisant-fonction-de à apprendre les fondements pédagogiques, plutôt que d'investir dans la fabrication de prescrit. Je préconise de rendre gratuites les formations de formateurs et les formations à la pédagogie.  Je préconise de renforcer des communs pédagogiques pour améliorer les façons d'apprendre et d'enseigner.

Cela me semble plus profitable que l'effort de normalisation entrepris qui va coûter une fortune en réunions, en interprétations des textes de loi, en journée d'actualité pour savoir comment remplir et maintenir des dossiers dont le lien avec le réel est relatif.

J'ai certifié à 2 reprises des activités formation dans ma carrière et je perçois les limites de l'exercice vécu bien souvent par les équipes comme un pensum administratif extérieur à leur réalité et les règles qu’elles se donnent, sans contextualisation ni réflexivité sur le métier.

Sources

Le livre noir des DRH - Jean François Amadieu 
https://www.dailymotion.com/video/xwo5j1

OPQCM - https://dossier.isqualification.com/page-opqcm-presentation.htm

France Certification - ISO 9001
http://www.france-certification.com/les-certifications/iso-9001/Référentiel national qualité

AFNOR - https://certification.afnor.org/qualite/referentiel-national-qualite-decret-2019-formation-professionnelle

Dix ans de recherches en formation des adultes : 2003-2013 Savoirs 2013/3 (n° 33)
https://www.cairn.info/revue-savoirs-2013-3.htm

Thot Cursus – Joffre Dumazedier (1915-2002) Pédagogue visionnaireet engagé https://cursus.edu/13044/joffre-dumazedier-1915-2002-pedagogue-visionnaire-et-engage

The conversation.com - Paolo Freire
http://theconversation.com/les-enseignements-de-paulo-freire-un-pedagogue-toujours-actuel-73079

France 2  Voyages en terre inconnue -  https://www.france.tv/france-2/rendez-vous-en-terre-inconnue/

Compagnons du devoir -  https://www.compagnons-du-devoir.com/

École 42 -  https://www.42.fr/

CGE – Livre blanc accréditations internationales des business school
https://www.cge.asso.fr/wp-content/uploads/2017/06/2013-01-livre-blanc-accreditations-internationales-des-business-schools.pdf

Chevalier, G. (2008). Rationalités, référentiels et cadresidéologiques. SociologieS, 2023. https://journals.openedition.org/sociologies/2023

Wikipédia – Qualité - https://fr.wikipedia.org/wiki/Qualit%C3%A9

Oudet, S. F. (2012). Concevoir des environnements de travailcapacitants: l’exemple d’un réseau réciproque d’échanges des savoirs. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (119), 7-27. https://journals.openedition.org/formationemploi/3684

Educsol - Les communs de la connaissance
https://eduscol.education.fr/numerique/dossier/competences/communs-information-connaissance/introduction-biens-communs/notions-essentielles/communs-de-la-connaissance-theorie-et-constats


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