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Publié le 09 février 2020 Mis à jour le 09 février 2020

Des outils et des profs

De l'accompagnement technique à l'accompagnement technopédagogique

Ère numérique oblige, l’accompagnement technique a changé de figure. S’il suffisait autrefois de recourir à un technicien en informatique pour assister le prof dans les manipulations d’un artefact technologique pendant ses cours , cet accompagnement tend aujourd’hui à s’estomper au profit d’une nouvelle figure qui a fait son apparition dans le monde de la pédagogie : l’ingénieur techno-pédagogique, encore appelé ingénieur numérique éducatif dans le système éducatif français ou encore conseiller pédagogique TIC outre-Atlantique.

Un alliage de compétences en vue d’un accompagnement à l’intersection de trois univers : la pédagogie, la technologie et la discipline. La présence omniprésente d'outils technologiques dans les salles de classe a conduit à une nouvelle forme d'encadrement puisqu'on est passé de l'accompagnement technique à un encadrement technopédagogique.

L’occasion de faire un petit rappel sur les usages pédagogiques des outils technologiques ainsi que quelques modèles d’intégration des TIC dans les pratiques et leurs usages.

D’un simple outil technique à une puissance technologique

La technologie en apprentissage ne se résume pas à la seule notion d’outils et de recours à des systèmes d’apprentissage sophistiqués ou encore de connexion à un quelconque réseau Internet. En effet, la révolution technologique ne date pas d’hier, elle a eu lieu à chaque progrès technique et a donc engendré une transformation au niveau des méthodes utilisées dans l’apprentissage. Les techniques utilisées depuis le début de tout système d’apprentissage ont été nombreuses comme par exemple l’écriture, l’imprimerie, le recours au traitement de texte, etc.

Les TIC en apprentissage ont pour effet l’introduction d’un artefact, c’est-à-dire un outil technologique qui servira de média entre un l’apprenant et le contenu de formation. Cette médiation par des outils technologiques de l'activité humaine renvoie donc au terme de « médiatisation ».
La médiation qui est au cœur de la pratique médiatique est une médiation technologique et sera d'ailleurs appelée « médiatisation ». En pédagogie, le terme « médiatisation «  est définie par D. Peraya comme un  processus de « mise en média » qui relève de l’ingénierie pédagogique, introduit dans le processus de communication et de formation un dispositif médiatique.

Les termes n'ont pas manqué pour évoquer l'ampleur de l'impact des technologies dans notre vie quotidienne mais surtout en éducation où l’on fait désormais appel à des outils intellectuels définis par P. Lévy comme « un outil ou dispositif utilisé par un être humain en vue de renforcer les capacités intellectuelles ou cognitives. Dans Les technologies intellectuelles, P.Lévy ose même l'expression « dimension transcendantale de l'informatique » . On assiste à une « resacralisation » de l’outil technologique: l’outil est tantôt dénié, tantôt « resacralisé ».

On équipe !

Si la réponse à la transition numérique a été au départ traduite en termes d’équipement technologique, l’écho a aussitôt résonné quant à lui en termes de fracture. En effet, nombreux ont été ceux à parler d’abord parler de fracture numérique au départ, une fracture à triple dimension : géographique, sociale ou générationnelle. En effet, des disparités ont été observées entre pays du nord et pays du sud ainsi qu’entre zone urbaines et zones rurales. A cela s’est ajouté une fracture entre utilisateurs aisés et moins aisés et une fracture entre les publics juvéniles et les personnes âgées. Cette fracture, les pouvoirs publics en ont fait leur cheval de bataille : on se souvient encore du plan Ordinateurs portables pour tous en France.

Alors on a équipé: les écoles, les collèges et les lycées. Déploiement massif en tablettes et ordinateurs portables et pour quels résultats ? Outre-Atlantique, d’autres nouveaux instruments sont venus prolonger la liste des outils en apprentissage: serious game, environnements numériques de travail (ENT) ou encore les réseaux sociaux. Des dispositifs offrant un cadre organisateur des usages du numérique (Bruillard) mais dont l'intégration réelle et effective reste encore en suspens.

De l’outil à l’instrument : pour quels usages  du numérique ?

«  Ne leur faisons pas croire au miracle des solutions technologiques. Enseigner n'est pas un miracle mais bien un processus de construction commune. » (B. De Lièvre)

Si l’introduction des technologies en éducation a incité à s’interroger sur leur rôle exact, à savoir s’ils étaient de simples gadgets numériques ou bien s’ils constituaient de réels supports au service de l’apprentissage, la question ne se pose désormais plus en 2020. Les outils numériques ne doivent pas être utilisés uniquement pour supporter l'apprentissage, dans le sens où ils ne représenteraient que de simples gadgets au service de l'apprentissage mais ils doivent être exploités pour faire émerger la connaissance, la construire et la produire et non l'inverse autrement dit, ils se doivent d’être exploités en tant qu’outils cognitifs (cognitive tools) plutôt qu’en tant que vecteurs (D. H.Jonassen).

L’artefact technologique ne devient instrument au service de la pédagogie que quand il sert la pédagogie et non inversement. Par ailleurs, les utilisations des technologies en éducation se sont accrus avec la masse d'outils qui ont été déployés. Se pose donc alors la question de leur appropriation par les apprenants car mettre à disposition des outils, c’est bien, mais encore faut-il qu’ils soient utilisés à bon escient, voire utilisés tout simplement. Daele, dans Comment un "nouvel outil qu'il faut bien utiliser" devient un instrument au service d'une activité(2000) soulève cette problématique induite par l’introduction des technologies dans le domaine éducatif et de leurs usages par l’apprenant.

En clair, pour qu’il y ait usage efficace de ces outils, il va falloir adapter ces technologies aux différents acteurs du dispositif de formation en prenant en compte plusieurs variables. La théorie de l’activité grâce notamment aux travaux de Flichy et de Fazzini-Feynerol permet de rendre compte de ces usages par l’apprenant au niveau microsocial et individuel. Au niveau microsocial, les représentations partagées par chacun des acteurs d’un dispositif déterminent l’adoption de l’outil, notamment dans le cadre d’un travail collaboratif.

Au niveau individuel, l’artefact, tel qu’il est perçu par P. Rabardel ne renvoie pas uniquement à l’outil technologique mais également à son usage. Selon lui, l’appropriation de l’outil est évolutive et passe par une phase de « genèse instrumentale » durant laquelle l’individu va construire des schèmes d’utilisation des outils qui vont lui permettre d’atteindre le but visé par l’activité. Par conséquent, une phase de formation aux outils s’impose et c'est bien là que l'on retrouve les failles importantes.

Entre rupture des usages et ruptures pédagogiques

« Le numérique revêt un immense potentiel mais ce sont les usages qui feront la différence. » (T. Karsenti)

Stop! Les outils ne sont pas  la panacée.On l’aura vite compris, les outils sont vite venus en renfort pour marteler davantage le fossé numérique entre ceux qui maîtrisent et ceux qui maîtrisent et beaucoup moins, entre les convaincus et les pessimistes. Savoir manipuler un artefact technologique, quasiment tout le monde sait le faire. Cela étant, l’utilisation ne garantit pas la pertinence de l’usage , encore plus dans le cadre de ses pratiques pédagogiques. Si les uns n’ont pas hésité à parler de fracture des usages (T. Karsenti) pour ce qui relève de l’usage fait par les apprenants, d’autres vont même plus loin et n’hésitent pas à évoquer les fractures des usages pédagogiques (B. De Lièvre). En effet, les artefacts technologiques, utilisés à bon escient produisent des effets positifs sur les apprentissages mais… seulement si et seulement si ils sont utilisés pertinemment.

Les modèles sont là pour servir d’appui au professeur si tant est qu’ils soient eux-aussi en cohérence avec la discipline dans laquelle ils sont déployés.

Modèles supports d’intégration des TIC en éducation


Le modèle d’intégration des Technologies en éducation TPACK mis au point par les professeurs Koehler et Mishra (2006) a pour objectif de guider l’enseignant concernant l’intégration des technologies dans ses pratiques pédagogiques. TPACK a pour particularité de faire interagir trois dimensions qui sont d’après ses auteurs indissociables: la technologie, la pédagogie ainsi que la discipline. Il vise ainsi à mettre en exergue les relations qui existent entre les trois dimensions.A cela s’ajoutent trois autres sous-composantes :

  • TK (Technological Knowledge/ Connaissance Technologique), c’est-à-dire la connaissance liée l’utilisation d’outils technologiques et la compréhension profonde des TIC dans une visée communicative, informationnelle et la relation entre les deux.

  • PK  Pedagogical Knowledge/Connaissance Pédagogique CP) porte sur les processus, les méthodes et les stratégies pédagogiques etd ‘apprentissage et

  • CK (Content Knowledge/ Connaissance du Contenu), connaissance de la matière enseignée et qui vise à porter un regard sur la façon dont les technologies influencent l’objet à enseigner.


Enfin, au cœur des ces trois interactions, nous avons le TPACK (Technology Pedagogy And Content Knowledge) qui rassemble les connaissances technopédagogiques de ces trois dimensions et dont les interactions sont essentielles et indissociables.

En somme, le TPACK est à la base même d’un enseignement efficace avec les technologies. La force majeure inhérente à ce modèle est sa capacité à permettre de voir les effets des interactions des trois composantes que sont la discipline, la technologie et la pédagogie et non pas seulement seulement de voir la technologie comme un simple accessoire.


Cependant, certains chercheurs ont pointé du doigt ce modèle TPACK car il ne prendrait pas suffisamment en compte le rôle crucial du contexte sur les pratiques de l’enseignant notamment dans l’enseignement supérieur. (M. Glowatz, E. O’Brien, 2013).

La révision du modèle TPACK proposé par O’Brien et M. Glowatz fait entrer une autre composante qui est celle du contexte qui, comme on le sait, a une influence significative sur l'apprentissage. On y retrouve alors l’enseignant, son style pédagogique, l’apprenant avec son environnement culturel, son profil, les ressources à disposition, les objectifs assignés ainsi que les expériences.

Un autre modèle proposé par J. Bachy(2013) se propose d’intégrer aux modèles développés par ses prédécesseurs (Mishra & Koehler, Shulmann) la dimension épistémologique (E) personnelle. Il a pour objectif de représenter le savoir technopédagogique disciplinaire des enseignants (STPD), c’est-à-dire les relations entre les différentes relations (T,P,E et D) pour enseigner un contenu de la discipline enseignée par l’enseignant. L’étude menée par S. Bachy a montré l’existence d’une compétence dite technopédagogique. L’étude menée auprès d’enseignants universitaires a mis en exergue une corrélation forte entre connaissances pédagogiques et connaissances technologiques. En revanche, elle a également confirmé l’absence de corrélation de la technologie seule.

 Dans Le numérique en formation. Oui, mais pour changer quoi ? , F. Duriez nous propose trois analyses de l'utilisation des technologies numériques en formation. Il revient notamment sur le modèle ASPID pour une intégration des TIC en contexte éducatif proposé par Thierry Karsenti , l’un des rares à pointer le risque de régression des technologies en éducation.

Avec son modèle d’intégration des technologies SAMR, Ruben Puentedura propose une intégration des technologies basée sur la taxonomie de Bloom et constitué de quatre phases allant de la Substitution jusqu’à la Redéfinition en passant par l’Augmentation puis la Modification.

Selon l’auteur, les niveaux les plus élevés de la taxonomie de Bloom que comprennent « créer » et « évaluer » renvoient au stade de « redéfinition du modèle SAMR. Les niveaux les plus bas tels que » comprendre- appliquer et analyser correspondent aux stades d'«augmentation» et de «modification».

Enfin, un troisième modèle nous est présenté dans l'article de F. Duriez, celui de Marcel Lebrun : le modèle IMAIP. A partir des travaux de Combs, 1976 Saljo (1979) Biggs & Telfer ‘1987) Savoie (1994) et Laurillard (1993) , Marcel Lebrun a dégagé 5 facettes du processus d’apprentissage pour constituer son propre modèle d’apprentissage IMAIP, un modèle qui se veut pragmatique. Cinq facettes constituent ce modèle : Information– Motivation – Activité – Interaction – Production.

Veille technologique et Communautés de pratiques

Parce que le soutien technique passe par une bonne manipulation des outils, il convient également de prendre en compte la pratique dans l’appropriation des artefacts technologiques eux-même. Mettre en place sa propre veille technopédagogique est devenu incontournable pour l’enseignant. En effet, si l’objectif premier est de fournir le veilleur en contenu informationnel, l’intérêt est que la veille amène également l’enseignant à se former sur l’utilisation de nouveaux outils par exemple via des tutoriels sur les chaînes éducatives YouTube.

Parmi les ressources sur les outils TICE, l’on pourra citer entre autres:

Par ailleurs, certaines initiatives prises ont le mérite comme les rencontres entre pais enseignants en vue d’échanges de pratiques réflexives,etc. On citera par exemple les ateliers du 10>20>Trente de l’Université Paris Sorbonne dont le but est de proposer un accompagnement pour enseigner avec le numérique.

Illustrations:  En-tête: Adobe par vectorfusionart
Schémas: S. Budel

Références

Bruno De Lièvre, « Le numérique aujourd'hui pour former des adultes de demain », Alsic [En ligne], Vol. 22, n° 1 | 2019

http://journals.openedition.org/alsic/3607

https://twitter.com/Brunodelievre/status/1225724291901247488/photo/1

- Le numérique en formation. Oui, mais pour changer quoi ?
Trois analyses de l'utilisation des technologies numériques en formation (F. Duriez)
https://cursus.edu/11194/le-numerique-en-formation-oui-mais-pour-changer-quoi

- Le modèle ASPID (T. Karsenti) http://www.karsenti.ca/aspid/

- Pratiques pédagogiques, Médias, médiations, médiatisations (C. Belisle)

- Quelques modèles d’intégration des TICE (Eric Vekout)
 http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article231

- Un modèle-outil pour représenter le savoir technopédagogique disciplinaire des enseignants
(Sylviane Bachy)
https://journals.openedition.org/ripes/821?lang=en#tocto1n4


- Technology as Cognitive Tools : Learners as designers de D.H. Jonassen

- Academic Engagement and Technology: Revisiting the Technological, Pedagogical and Content Knowledge Framework (TPACK) in Higher Education (HE): The Academics’ Perspectives (M. Glowatz & O. O’Brien)
https://www.researchgate.net/publication/319158518_Academic_Engagement_and_Technology_Revisiting_the_Technological_Pedagogical_and_Content_Knowledge_Framework_TPACK_in_Higher_Education_HE_The_Academics'_Perspectives



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