Le stage est un colon
Le stage a
colonisé le monde de la formation professionnelle. Il apparaît comme un
mantra indépassable combinant un programme prédéfini, une salle de cours, un
formateur, un groupe. Ce mantra est gravé dans le marbre depuis au moins
l'après-guerre. Pourtant la stagification est décriée depuis 45 ans (Guigou
1975). Elle est une prolongation de l’esprit scolaire chez l'adulte quand
bien même les différences entre pédagogie et andragogie sont établies comme
nous le rappelle dans un numéro de la revue Savoirs jean Pierre Boutinet
chercheur en sciences de l'éducation.
Un tropisme scolaire demeurera,
nécessitant de se poser des questions spécifiques pour l’adulte :
- « La formation ne vise pas comme l’éducation les
initiations premières acquises dans le jeune âge ; elle concerne les
initiations secondes auxquelles un adulte va se familiariser ».
- « La formation n’est pas de tous les temps et de tous les
lieux. Elle se donne comme le produit original d’un environnement culturel
spécifique valorisant la mutation des savoirs et les changements dans les modes
d’adaptation, cet environnement dit de modernité tardive ou de postmodernité ».
- « Des temporalités qui se déploient sur du court terme en
continuelle alternance avec les autres temporalités existentielles et sociales
hors champ de la formation […°] des modes diversifiés d’aménagement des
temporalités, des modes qui ont pour point commun les temporalités discontinues
»
- « La relative indiscipline dans laquelle s’organisent les
pratiques de formation qui peuvent aller jusqu’à entrevoir leur propre
négation, lorsque la formation se fait non formelle ou informelle, lorsqu’elle
se dissout dans l’accompagnement ou l’explicitation d’une expérience »
Alors qu'il est établi, et prouvé régulièrement et sur une grande variété de
métiers depuis des décennies et les travaux de Tough (2002), que l'on apprend de
façon informelle et en situation, la forme canonique du stage reste l'alpha et
l’oméga ultra dominant des investissements budgétaires. Alors que 70% de ce que
nous savons provient de nos expériences, la plus grosse partie de notre
attention est portée sur les stages. Pourtant les stages posent question.
Arrêtez de perdre du temps en poursuivant la logique
des stages !
Le stage est
juste une perte de temps tellement son format empêche d’apporter des réponses
adaptées aux problèmes spécifiques rencontrés. Il a une faible valeur ajoutée
par rapport à une activité réelle, car il en réduit considérablement la
complexité et les incertitudes. Il se limite trop souvent à des apports de
contenus devenus librement accessibles en ligne. Il souffre en outre d'une faible
personnalisation et élude les historiques individuels.
Certains gestionnaires
ont avalé tout cru le remède numérique mais les formations toutes à distance
ou des hybridations forcées avec une ergonomie faible et des navigations
linéaires ont peu convaincu.
Regardez plutôt les MOOC qui conservent
moins de 10% de leurs auditeurs jusqu’à la fin des programmes. Ce qui importe
c'est de savoir qui est là plutôt que l'évaluation des acquis, trop coûteuse
pour les organisateurs. L’organisation insuffisante de la progression est
notable quand un formateur mal à l'aise avec les méthodes pédagogiques se
centre sur sa seule connaissance, évitant d'écouter les apprenants.
Les
objectifs pédagogiques sont parfois plaqués à partir des croyances des
formateurs ou des points clés définis par un tiers qui connait peu la réalité
du travail ou l'a quitté depuis de nombreuses années. Temps contraints et
rythmes imposés répondent-ils aux biorythmes des apprenants ? Difficile quand
chacun a le sien.
Le stage est une perte de temps avec des durées de
déplacement incompressibles. Et puis s'extraire de son environnement de travail
et de son équipe coupe du système d'action indispensable pour mettre en œuvre
le nouveau savoir. Le départ en formation est contrôlé par un chef, un
partenaire social, des règles budgétaires, bien souvent le moment autorisé pour
se former est un moment décalé par rapport au problème rencontré.
La
concurrence avec un tutoriel immédiatement disponible est vive. La décision
d'une formation professionnelle par un autre que soi nie le besoin d'auto direction de ses propres apprentissages d'un adulte
et ampute son autonomie. Ce qui
est complétement contraire aux habitudes d’un adulte, qui, lorsqu’il a besoin
d’apprendre une tâche pour bricoler ou cuisiner ou toute autre activité de la
vie quotidienne, s’organise pour apprendre.
Les stages sont coûteux et
difficiles à mettre en œuvre car il faut un nombre critique de participants
pour favoriser les échanges. Et si la communication sur la date de regroupement
est insuffisante il faut recommencer pour remplir le créneau horaire et
consacrer un temps considérable pour cela. Et au passage l’objectif de
remplissage prend l’ascendant sur la qualité de la composition d’un groupe.
Mais il y a encore pire. Il n'y a que peu d'évaluation en situation de travail
de ce qui est appris. Ce qui se passe c'est une passivation des apprenants qui
attendent qu'un programme se déroule. Ils sont placés en posture de
consommateurs. Et ces consommateurs vivent la situation comme une récompense ou
bien comme une punition sans lien avec une quelconque motivation.
Si vous croyez qu'avec l'ignorance vos problèmes
seront résolus, évitez le stage
Le stage est
le meilleur objet pédagogique qui soit. Organiserions-nous des apprentissages par
essai et tâtonnements en chirurgie comme du temps d'Ambroise Paré ? « Faisons
une ablation du foie et voyons si le patient respire mieux ». Laisserions-nous
aux pilotes d'avions le droit à l'erreur ? Pas si sûr car un atterrissage
approximatif peut s'avérer mortel.
Si l'expérience du terrain est essentielle,
les pompiers et les militaires connaissent la valeur d'un aguerrissement
progressif. On apprend d'abord à tirer à distance du danger avant d'être
éprouvé par les incertitudes du réel. Le stage est un bac à sable sécurisé ou
il est possible d'essayer avec un risque amoindri. C'est une opportunité de
rencontrer d'autres professionnels, de disposer d’un temps de retrait de sa
situation de travail. Cette possibilité de réflexivité et de mise à distance des
situations problèmes aide à envisager sans trop d'enjeux des solutions
nouvelles.
En effet le stage permet la découverte de contenus et de méthodes
innovantes. Un des points plébiscités en dehors de la qualité des services
proposés (restauration, salle, temps de détente…), c'est la dynamique de groupe
pour apprendre en particulier les échanges entre pairs. Ceux-ci ouvrent à des
conflits cognitifs qui facilitent les changements de croyances les plus
ancrées.
Le stage est aussi souvent l'occasion d'un changement de lieu et
permet de casser la routine du travail. Le droit à l'erreur (encadré), la
variété des approches proposées stimulent le cerveau et ouvre le champ des
possibles. Les possibilités d'entraînements, d'exercices, d'études de cas rares
offrent une possibilité d'aborder des points délicats inexprimables en contexte
professionnel. Enfin l’écoute attentive d'un formateur permettra la meilleure
adaptation possible.
Que reste-t-il des stages ?
Le stage
fait toujours l'objet d'un suivi de gestion : on compte soigneusement les corps
présents mais sans savoir ce que les participants ont réellement appris, ce qui
reste très aléatoire tellement le stage est une coproduction entre la situation
proposée et l’engagement ou non de l’apprenant. Si les corps sont
additionnés par les comptables, qui se soucie des esprits engagés ?
Le numérique
apporte son lot de questions, qu'évaluer quand les corps sont absents ?
La question de l’évaluation des effets des stages se repose. Incidemment le passage de la
gestion de formation à l'apprenance gagne du terrain par ce chemin
digital. C'est peut-être l'un des bénéfices principaux tellement demeure
incertain le plus des pédagogies digitales (Pas de différence significative).
Si on n'apprend ni mieux ni moins bien en ligne du moins on se repose des
questions sur la façon de le faire. Le stage a encore de beaux jours devant lui car les contacts avec d’autres que
soi reste le plus court chemin pour apprendre.
Sources
Boutinet, J.
P. (2007). Des sciences de la formation peuvent-elles exister et avec quelle
spécificité épistémologique ? Savoirs, (1), 41-44.
https://www.cairn.info/revue-savoirs-2007-1-page-41.htm
Tough, A. (2002). The iceberg of informal adult learning. New Approaches to
Lifelong Learning (NALL) working Paper, 49-2002.
Guigou, J. (1975). La stagification. Éducation permanente, 31, 3-25.
Thot Cursus – Cristol Denis – Pas de différence significative
https://cursus.edu/articles/42703/pas-de-difference-significative
Inexfor – Organiser les biorythmes pour réussir
https://www.inexfor.com/metier-formateur-organiser/les-biorythmes-pour-reussir/
C-Campus - Blog formation-entreprise - Conflits sociocognitifs
https://www.blog-formation-entreprise.fr/concept-pedagogique-principes-daction-2-le-conflit-socio-cognitif/
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