Il fut une époque où
le nom de cette sorcière si célèbre à la Réunion résonnait haut et fort dans les cours de récréation :
« Gran
Mèr Kal, kél èr i lé? criaient les enfants.
-Il
est vingt-trois heures
- Gran
Mèr Kal, kèl èr i lé ?
-
Il est minuit. J'arrive !!!! » s'écriait la sorcière.
Chassés par la méchante sorcière (un enfant désigné pour l'occasion) , tous les enfants effrayés prenaient la fuite.
Minuit. Ah!
Cette fameuse heure fatidique de transition entre le monde sacré et le monde profane où
soudainement tout devient prétexte à se cacher: les sorcières sont de sortie, les fantômes
viennent errer, les esprits des morts traînent dehors! Gare à celle
ou celui qui à cette heure tardive n'est pas à l'abri! N'en parlons plus des croyances qui foisonnent sur l'île:
- "Ne passe pas sous un arbre le soir, c'est mauvais!" avertissaient les aînés.
Et
Gran Mèr Kal dans tout ça?
Qui donc était cette fameuse grand-mère de légende réunionnaise?
Cette légende orale de la Réunion, tout le monde sur l'île en a entendu parler, du moins les anciennes générations. Elle est à l'image d'un imaginaire flamboyant, tantôt reflétant le fantasme , tantôt empreint d'une certaine idéologie. Plusieurs versions de cette histoire existent et la
légende lui prête beaucoup d’origines . Elle serait une esclave vivant dans le Sud de l'île selon certaines sources mais cette version est contestée.
Pour d'autres elle serait une méchante femme qui maltraiterait les esclaves.
C'est du moins la version qui ressort le plus comme par exemple celle qu'on peut lire dans les "Contes et légendes de l'île de la Réunion" par Isabelle Hoareau, aux éditions Orphie.
Selon cette version, Gran Mèr Kal vivrait dans une grande plantation avec beaucoup d'esclaves. Elle était impitoyable et ses esclaves payaient le prix de sa grande méchanceté. Un jour, Mafate, un esclave de la plantation, las de cette vie de misère et d'injustice, s'en alla marron* ( s'enfuit) dans la forêt.
Il se réfugia au coeur de l'île, dans un endroit paradisiaque en pleine nature avec des rivières, des arbres centenaires, une merveilleuse nature et souhaita y faire venir les autres esclaves de la plantation. Malheureusement, le soir de l'évasion son plan échoua à cause d'un autre esclave qui le dénonça, mais il réussit tout de même à s'enfuir.
C'est ainsi que grâce à ses connaissances sur les propriétés des plantes, il prépara une mixture pour Gran Mèr. Elle se transforma en oiseau de nuit et s'enfuit dans les airs en criant "Tout Tout!" C'est ainsi que tous les esclaves furent libérés et vécurent heureux avec leur grand chef marron Mafate. La punition ultime et éternelle que reçut Gran Mèr Kal était de venir alerter chaque famille lorsqu'un danger allait se produire...
Une autre version lui attribuerait même les colères du volcan le Piton de la Fournaise sur l'île de la Réunion. Elle vivrait dans ce volcan et enlèverait des enfants sales , qui n'obéissent pas à leurs parents ou encore qui traînent dehors quand vient la nuit pour les enfermer dans le volcan...
Une sorcière aux frontières de l'imaginaire et du réel qui alimente la peur...
La version d'une méchante sorcière corrobore quelque peu la fâcheuse habitude qu'avaient les aînés en vue de faire peur aux enfants sur l'île. Aussi, il était commun d'entendre des parents dire aux enfants "Si tu n'es pas sage, Gran Mèr Kal va venir te chercher!" Cette menace n'est pas spécifique à la sorcière des légendes. En effet, les croyances foisonnent dans l'île et les "zistwar bébèt", entendez par là, les histoires qui font peur, alimentent les légendes de l'île.
Dans les croyances du peuple local à la Réunion, s'aventurer sous un arbre à certaines heures de la journée pourrait parfois conduire à vivre d'étranges expériences: ces heures sont appelées "mauvaises heures" ou encore "mové lèr" comme on le dit en créole réunionnais car les arbres seraient alors fréquentés par des esprits. Enfant, il n'était pas rare du tout d'entendre les parents mettre en garde leur progéniture: "alé" pas mars dann' boi 6 zèr" (n'allez pas vous aventurer dans les bois à 18 heures)" . Et il n'y avait pas que cette heure-là:
Midi ,
Six heures du matin,
... et bien évidemment la plus connue de toutes les heures: Minuit!
Beaucoup de croyances locales associent l'arbre comme étant un lieu très prisé par les esprits. À la Réunion, un grand nombre d'anecdotes liées à des passages sous les arbres ont marqué l'enfance de petits comme de grands, des anecdotes perpétuées par les parents, grands-parents et tous les arrières grands-parents décédés.
D’où viennent ces croyances? Il serait difficile sans une recherche plus avancée d'en définir les contours, l'état de la littérature sur le sujet étant peu abondant. Ce que l'on peut dire jusqu'à présent c'est que cette anecdote de l'arbre reposerait sur des systèmes de croyances diverses : systèmes de croyances africains, malgaches, indiens ou encore européens et qui se sont répandus dans la pensée créole [1].
Un extrait intéressant recueilli sur le lien entre cette croyance avec l'arbre positionnerait sa provenance de l'hindouisme:
[Certaines divinités possèdent à ce titre un statut ambigu en milieu Malbar. Ainsi, la fratrie de dieux dénommés collectivement Mini (qui ont la réputation de se tenir dans le feuillage de certains arbres) a engendré des croyances en des esprits du même nom, souvent assimilés à des âmes errantes. Leur dangerosité vient du fait qu’ils sont susceptibles de fondre sur l’imprudent qui passe sans protection sous l’arbre où ils sont perchés pour s’emparer de lui en le possédant.]
Il faut dire que l'île ne manque pas d'histoires étranges. Superstitions pour les uns, réalités pour d'autres, libre à chacun de croire ou d'en sourire.
Une île sous les vents... des influences venues d'ailleurs
Ces histoires pour faire peur ont connu leur heure de gloire. En effet, avec l’avènement de la télévision, puis de l'Internet et son lot de distractions, des jeux vidéo, Gran Mèr Kal est quelque peu retournée dans l'ombre car les occupations des enfants se sont davantage tournées vers d'autres centres d'intérêts et d'autres personnages de contes de fées, de fictions au grand détriment des personnages légendaires de l'île: Ti Jean, Gran Diab, Toto.
La transmission orale s'effectue de moins en moins, ce que regrettent les conteurs. Les histoires locales, malgré qu'elles trouvent désormais un support matériel au travers des livres, peinent à se faire connaître et à être populaires parmi les plus jeunes séduits davantage par la Reine des Neiges ou encore par d'autres histoires.
De surcroît, avec le phénomène de la globalisation,
l’île de la Réunion, département français situé dans l’Océan
Indien, se voit elle aussi affectée par d'autres influences culturelles venues d'ailleurs, parfois même de très loin comme c'est le cas pour Halloween. Elle, non plus n'est pas épargnée par l'attraction des petits et des plus grands pour cette coutume d'Outre Atlantique. La
culture locale en prend un sacré coup au plus grand désespoir des conteurs locaux, des militants culturels qui déplorent le manque d'intérêt des jeunes générations pour la culture de leur île.
L'histoire de cette île de l'Océan Indien, rappelons-le, est marquée par son passé esclavagiste, ses multiples flux de migrations en provenance d'Afrique, d'Europe, de Madagascar, d'Inde et de Chine et qui ont constitué son peuplement: une population arc-en-ciel multiculturelle. Cet apport de cultures confère à sa population une grande ouverture d'esprit et une grande tolérance face aux différentes cultures, aux différentes traditions et religions. Ce mélange culturel se reflète au travers de ses légendes avec ses influences venues d'ailleurs.
Néanmoins, si l'ouverture d'esprit fait tolérer les influences extérieures, elle tolère beaucoup moins le désintérêt voire la mise à l'ombre de la culture locale comme par exemple celle qui concerne la littérature réunionnaise déjà en prise avec le manque d'investissement de certains décideurs locaux dans la prise en compte de cette réalité.
Certains écrivains font même allusion à cette "intrusion" culturelle comme l'on peut le constater dans le livre "Mais que fait donc Grand-Mère Kalle de Joëlle Ecormier (ci-jointe la capture écran de la vidéo de l"histoire racontée). L'on y voit le personnage principal Grand-Mère Kalle furieuse et lançant un coup de pied dans une citrouille. La référence culturelle ici est claire.
On peut également lire que Grand-Mère Kalle "n'aime pas qu'on raconte ses histoires juste quand c'est Halloween." De plus, dans la vidéo, la narratrice rajoute même "D'ailleurs, ça n'existait pas Halloween avant!" sous-entendu qu'à cause de cette tradition outre-Altantique, elle est placée aux oubliettes.
Les légendes ont peuplé l'imaginaire des enfants auparavant. Les souvenirs sont mémorables. Et pourtant, la tradition orale et locale peine à se faire connaître comme il se doit.
Gran Mèr Kal ou
quand une sorcière légendaire vient contrer Halloween ...
Une initiative émanant du service culturel d'une commune située dans l'est de l'île a eu pour objectif de remettre sur le devant de la scène la place de la culture réunionnaise, notamment ses contes et légendes.
En effet, un événement appelé Festikal a été mis en place depuis quelques années en vue de faire connaître ou de faire redécouvrir le patrimoine culturel littéraire de l'île et contrer par la même occasion la fête d'Halloween. La date de l'événement qui dure une quinzaine de jours coïncide avec Halloween qui connait une certaine popularité si l'on s'en tient aux nombreux événements organisés de part et d'autre sur l'île pour l'occasion.
Au programme, on peut trouver plusieurs séances d"histoires orales organisées durant sur plusieurs journées et dans différents quartiers de la commune, des contes et légendes réunionnaises racontées par des conteurs, certaines d'entre elles en créole réunionnais (langue maternelle d'une grande majorité de la population de l'île) et bien sûr les fameuses légendes qui font peur, le tout dans une ambiance parfois festive...
S'il est vrai que le côté festif l'emporte parfois et que Halloween peut toujours être dans l'imaginaire de ces petits enfants malgré l'objectif détourné, il n'empêche qu'il s'agit là d'une bonne initiative qui sert à revaloriser la culture locale.
Alors, Gran Mèr Kal, kél èr i lé?????
Illustrations:
En-tête: Sabrina Budel Affiches Festikal: Photos Commune de Saint-Paul Image Gran Mèr Kal: capture d'écran vidéo Département de la Réunion Photo: capture écran Imaz Press réunion
Notes:
*Gran Mèr: la graphie en langue créole a été maintenue car elle est tolérée à l'écrit dans le contexte de la Réunion, marqué par un fort bilinguisme créole/ français.
*Gran Mèr Kal, kél èr i lé?*= traduction créole du français "Grand-Mère Kal, quelle heure est-il?"
aller marron: s'enfuir de la plantation du maître (en parlant des esclaves)
Un marron: substantif signifiant un esclave fugitif
Références
Mais que fait grand-mère Kalle ? ( Joëlle Ecormier , Nathalie Millet)
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