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Publié le 25 novembre 2019 Mis à jour le 25 novembre 2019

Investir en recherche action en formation

Les apports de la recherche intervention en formation et en éducation

Pixabay

Une double insatisfaction

Selon la définition de la recherche action issue d’un colloque organisé par l’INRP 

« Il s'agit de recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations ».

La recherche-action est bien identifiée dans le monde éducatif dans ce contexte :

 «La recherche-action est un processus destiné à doter tous les participants de la scène éducative, qu’il s’agisse des étudiants, des enseignants ou d’autres intervenants, des moyens d’améliorer leurs pratiques grâce à leurs expériences éclairées et nourries des savoirs théoriques en cours. Tous les participants deviennent acteurs consentants du processus de recherche. »

Selon Perez (2008), la recherche-action ou recherche intervention serait le fruit de deux insatisfactions, celle des utilisateurs des travaux de recherche peinant à faire la jonction entre réflexion théorique et problèmes pratiques qu’ils ont à affronter au quotidien, mais également celle des chercheurs eux-mêmes, impuissants à percevoir l’impact de leurs travaux.

Pour Monjo, (1998), la «forme scolaire» imprégnerait tellement l'épistémologie des sciences de l'éducation qu’elle gênerait même toute exploration en dehors du connu. Pourtant il y aurait au moins 3 façons de construire de la connaissance

  • Le mode positif est un héritage d’Auguste Comte pour qui seuls les faits expérimentés ont une valeur universelle
  • Le mode interprétatif renvoie à l’herméneutique (art d'interpréter) de Dilthey et à sa distinction entre expliquer le monde physique et comprendre le monde humain
  • Le mode socioconstructiviste qui voie dans l’humain le co-constructeur de son savoir par interaction avec ses semblables. C’est dans ce dernier mode que se développerait la recherche action.

Le fait de s’immerger dans des activités et d’en tirer des conclusions à généraliser est une constante de l’histoire humaine. La recherche action a ainsi connu plusieurs périodes de théorisation:

À chaque fois des connaissances sont extraites des situations et sont érigées en connaissances stabilisées, jusqu’à ce que de nouvelles connaissances émergent.

L’une des caractéristiques de la recherche-action est qu’elle produit une "rationalité interactive". Cette rationalité est contextualisée, inachevée, en tension entre un dispositif d’intervention et une démarche de connaissance toujours en recherche de montée en généralité, de réfutabilité, de critique.

La recherche-action est une piste à suivre quand les formations ou les dispositifs traditionnels de résolution de problèmes sont inopérants pour faire évoluer les organisations. Si elle revient sur le devant de la scène aujourd’hui c’est probablement parce que les crises sociétales, climatiques, démographiques rendent difficiles la reproduction des solutions anciennes.

La recherche-action part de l'intention de combiner l'action et la réflexion modélisant par itérations successives des représentations du réel en train de se transformer. Le résultat spécifique est inconnu par avance. Il se découvre, s'affine et se théorise chemin faisant.

La connaissance est alors une énaction au sens de Francisco Varela théoricien de la cognition incarnée. La connaissance se crée en chemin. Sans avoir de certitude des résultats au moment de démarrer une recherche intervention, il y a donc une part de croyance dans les vertus de l'exploration au sein d'une organisation.

C'est l'idée que la mise en mouvement et l'intégration de temps réflexifs mobilisant un large panel d’acteurs en phase avec des questions théoriques, apportent un surplus d'intelligibilité aux situations et permet à chaque acteur d’apprendre sur ce qui se transforme. La recherche action procède de la transmission d’un schème génératif plutôt que dans une transmission verticale de savoir. Ce schème génératif ouvre aux acteurs leur potentiel d’apprendre seul et d’apprendre ensemble, sans schémas de connaissance préétablis. Ils ont en quelque sorte appris à apprendre dans l’action incertaine en train de se faire.

C'est déjà un point remarquable pour un manager ou un enseignant d'organiser dans le flux du travail des temps apparemment improductifs, d'introduire des questions de valeurs, d'éthique, de jugement du travail bien fait qui interpelle les changements en train de se faire. Ce type de questions qui débordent de la résolution immédiate de problème apparaît justement pour corriger des habitudes tellement ancrées que personne ne les voit plus.

Les éléments du design de la recherche

Le design ou conception de la recherche action prend en compte plusieurs éléments, tels que :

  • Des intentions : c’est le cadre politique, intention du commanditaire, références.
  • Des possibilités de l’organisation : Il s’agit du  temps/calendrier disponible, du budget, des ressources mobilisables, des participants en appui.
  • Des choix scientifiques : c’est-à-dire d’un cadre épistémologique, ensemble conceptuel, identification d'hypothèses, de terrains, choix pour des investigations qualitatives ou quantitatives, choix et modalités des rendus.
  • Des postures : La recherche action est également une posture. Tout d'abord posture d'humilité, car nul ne sait quels seront les effets produits. Le droit à l'erreur en fait pleinement parti.

Protocole ou processus de recherche ?

La recherche coûte non seulement le temps de l'organisation, le savoir-faire du ou des chercheurs mais également différents postes budgétaires, frais d'études, recours à des outils d'enquête numérique. Aussi, un financeur aura tendance à tout vouloir cadrer pour s'assurer d'un retour sur investissement.

Mais attention la recherche en sciences sociales ne saurait se résoudre à être un protocole à appliquer mécaniquement pour obtenir un résultat prévu par avance. Elle se déploie plutôt comme un processus chaque étape franchie influe le déploiement de la suivante. Il est possible d'identifier :

  • Les recherches déductives partent d'une intention de départ issue d'un corpus théorique ou d'une question pratique qui se formule progressivement en hypothèses, concepts puis en en variables intervenantes ou indépendantes qu'il s'agit d'observer pour démontrer un phénomène.
  • Les recherches inductives sont initiées d’un terrain désordonné où une multiplicité d'événements se produisent pour lesquels l'ambition est de donner un sens. Les inférences sont produites à partir du terrain et permettent de construire à postériori un modèle de compréhension.
  • Les recherches hypothético-déductives combinent de façon souple les deux modalités précédentes. D’une part elles s'appuient sur un cadre repère d'autre part elles captent les faits dans un ensemble dont la cohérence progresse au fur et à mesure de l'avancement de l'exploration.

La recherche n'a pas commencé que se pose déjà la question de la valorisation de ses résultats. Pour assurer la meilleure trajectoire, il entend donc disposer, comme pour un plan d'affaires, d'un calendrier, d'étapes contrôlables rassemblées dans un protocole.

Si ce cadrage est légitime, la recherche est aussi un processus avec des incertitudes, des temps forts, des temps faibles et des opportunités à saisir.

Les effets de la recherche action

La recherche action produit des effets qui dépassent le strict cadre opérationnel fixé dans l'intention initiale. Les nombreux dialogues initiés pour s'accorder sur l'objectif, le déroulement, les validations intermédiaires des questions ou hypothèses à investiguer produisent autant d'espaces qui mettent une organisation en tension sur une émergence singulière espérée ou redoutée. L'espace communicationnel de la recherche interroge les évidences et les routines et rend possible une nouvelle trajectoire. Parmi les effets induit il est possible de relever :

  • Création d'une curiosité et diffusion de pratiques d'observation d'analyse et de réflexivité.
  • Nouveau levier de motivation sur le travail.
  • Développement d'angles de vues, de perspectives, de récits partagés.
  • Modèle de compréhension du monde.

La recherche-action a un coût, celui du pari sur l’avenir qui mise sur l’intelligence humaine qui explore et apprend ensemble. Elle a aussi un bénéfice celui de remettre du collectif en action alors que nombre de décisions prises dans des grandes bureaucraties coupent les individus de leurs intuitions et de leur pouvoir de contribuer en les conformant à des normes. Elle amène au changement.

Sources

Monjo, R. (1998). La «forme scolaire» dans l'épistémologie des sciences de l'éducation. Revue française de Pédagogie, 83-93.https://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2008-3-page-101.htm

Taylor scientific management
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management--9782376870432-page-67.htm

Wikipédia Recherche action-  https://fr.wikipedia.org/wiki/Recherche-action

Observation participante https://www.cairn.info/vocabulaire-de-psychosociologie--9782749206851-page-375.htm

Fondement historique de la recherche action : Desroches  - http://www.lebret-irfed.org/spip.php?article61

Lapassade, G. (2002). Observation participante. Dans : Jacqueline Barus-Michel éd., Vocabulaire de psychosociologie (pp. 375-390). Toulouse, France: ERES.

Catroux, M  (2002), La recherche-action : un autre regard sur nos pratiques pédagogiques (2e partie) Vol. XXI N° 3 | 
https://journals.openedition.org/apliut/4276

Sciences humaines – Francisco Varela – L’homme est un corps pensant
https://www.scienceshumaines.com/francisco-varela-l-homme-est-un-corps-pensant_fr_38435.html

Bélanger, L. (1972). Les stratégies de développement organisationnel. Relations industrielles/Industrial Relations, 27(4), 633-654. 
https://www.erudit.org/fr/revues/ri/1972-v27-n4-ri2820/028330ar.pdf


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