Le musée des Arts et Métiers de Paris, dédié à la technique, propose jusqu'en novembre 2010 une exposition qui fait jaser. L'exposition "Museogames : une histoire à rejouer" s'intéresse en effet aux jeux vidéos.
Le jeu vidéo digne de figurer au musée ? C'est ce que "revendique" cette exposition. Et elle avance de solides arguments...
Le jeu vidéo, déjà un objet historique
La plus vieille console de jeux n'a pas encore 40 ans d'existence, mais on constate sur cette courte période une évolution technologique et de style comparable à celle qu'a connu le cinéma sur un temps beaucoup plus long. Les frères Lumière avaient amorcé la révolution cinématographique en filmant des scènes de la vie quotidienne (un train arrivant en gare, un bébé nourri par ses deux parents). Inutile aujourdh'ui de souligner que la technique cinématographique s'est épanouie dans de multiples domaines, diversifiant à l'infini les approches, tant au niveau documentaire que dans celui de la fiction. Et nul ne conteste désormais la valeur artistique du film.
Le jeu vidéo a lui aussi commencé fort modestement. En 1972, le jeu Pong sortait sur borne d'arcade Atari, simulant un jeu de balle comme le tennis:
20 ans plus tard, des simulations de tennis nous mettent dans la peau des grands joueurs et nous transportent sur le court central de Wimbledon ou de Roland-Garros !
Cette évolution dans l'univers du jeu vidéo permet de voir et de comprendre à quel point l'être humain s'est approprié le langage informatique pour développer des objets virtuels de loisir. L'exposition du Musée des Arts et Métiers opère même des liens intéressants avec "l'archéologie du jeu vidéo", par exemple en exposant un rouleau pour piano mécanique, qui peut être considéré comme le premier logiciel de jeu !
Mais du point de vue culturel, le jeu vidéo a-t-il sa place au musée ?
Un produit composite qui sollicite plusieurs formes d'expression artistique
Le débat n'est pas neuf. Déjà en 2000, certains argumentaient que l'industrie du jeu vidéo présentait des titres dignes d'oeuvres d'art, comparables au cinéma ! Neuf ans plus tard, en août 2009, Courrier international réfléchissait encore sur la question. Le débat est donc loin d'être clos.
Comme l'expose l'article de Courrier International, les jeux vidéos font appel à différentes formes artistiques qui attirent leur propre public. Prenons l'exemple de la musique... Même ceux qui n'ont jamais touché à une manette de leur vie peuvent reconnaître la musique de Super Mario Bros:
Même les pianistes de formation classique s'en donnent à coeur joie ! Cette petite pièce musicale qui peut sembler simplette reste, pourtant, autant dans la tête que des pièces de Tchaïkovsky ou de Beethoven, ou des musiques de film comme celle de Star Wars (musique de John Williams) ou du Parrain (musique de Nino Rota). Au point que des orchestres symphoniques interprètent les oeuvres de compositeurs ayant travaillé pour le jeu vidéo, tel Nobuo Uematsu, compositeur des thèmes de la série de jeux Final Fantasy. Ecoutez par exemple l'Orchestre à Vents de Musique de Films ou encore cet orchestre japonais :
Après la musique, parlons du graphisme. Dans cet article d'Écrans, on s'intéresse, par exemple, à l'exposition Into the Pixel, entièrement accessible en ligne, qui propose aux visiteurs les dessins de pré-production et de design de jeux vidéo à venir ou déjà sortis. En parcourant les différentes éditions de l'exposition, on conçoit en effet que les artistes créateurs des oeuvres se sentent un peu déçus d'être souvent oubliés des joueurs : « Quand les gens pensent aux jeux vidéo, ils se demandent d’abord comment ça se joue. L’art et l’artiste sont toujours oubliés. On n’est pas nombreux et on est des spécialistes, alors ça n’est pas une surprise qu’on soit une des professions les moins connues du monde du jeu. », dit par exemple Ryan Stevenson.
Au niveau scénaristique et de la mise en scène aussi, le jeu vidéo s'approche de plus en plus du septième art. Plusieurs séries comme Final Fantasy ou Bioshock se démarquent non seulement par leur "jouabilité" (gameplay), mais également par la qualité de leur(s) univers et une grande richesse scénaristique. Dans certains cas, on ne parle plus de jeu, on parle carrément de films interactifs. C'est le cas du créateur français David Cage (David De Gruttola de son vrai nom) qui, avec son studio Quantic Dream, a conçu deux "jeux" marquants: Fahrenheit, un suspense fantastique (commercialisé sous le nom d'Indigo Prophecy en Amérique du Nord) et dernièrement, Heavy Rain une intrigue policière glauque rappelant un peu Seven de David Fincher :
Cette bande-annonce pourrait être celle d'un film. Et c'est exactement ce que recherchait le créateur français qui veut pousser le média plus loin. Il est d'ailleurs très intéressant d'écouter cette entrevue où il expose le parallèle entre cinéma et jeu vidéo :
L'inévitable tension entre création et produit commercial
Le parti-pris esthétique de David Cage ne plaît pas à tout le monde. Certains joueurs ont d'ailleurs reproché à Heavy Rain de tendre trop vers le film et pas assez vers le jeu. Et la dimension commerciale de l'industrie du jeu vidéo entrave souvent les aspirations créatrices des artistes conceptuels.
En matière de jeu vidéo comme de livre, de cinéma ou de musique, il convient de distinguer le langage utilisé de la dimension artistique. Tout ce qui se lit n'est pas oeuvre littéraire, tout ce qui s'écoute n'est pas oeuvre musicale de qualité. Le jeu vidéo est encore moins bien loti : il ne jouit pas d'un arrière-plan artistique incontestable, il a d'abord été créé pour distraire... et rapporter de l'argent. Et les idées plus créatives, au niveau artistique, sont parfois mises à la poubelle au profit d'idées ou de franchises plus lucratives. La vogue des casual games, jeux simplifiés accessibles gratuitement en ligne, illustre ce phénomène : moins d'investissement créatif pour une diffusion plus large et plus rentable.
Sur le site de MuséoGames, Laurent Trudel, sociologue, exprime le désir que se mènent des recherches sérieuses sur l'idée de jeu vidéo comme objet culturel. Il salue, d'ailleurs, l'idée de cette exposition qui apparaît comme le premier pas d'une telle démarche.
Alors, le jeu vidéo est-il un art ? Le débat est encore vivant, même si de plus en plus, la presse tend à considérer que certains titres peuvent avoir le statut d'oeuvres, voire de chef-d'oeuvres. Cette exposition, inscrite dans un espace technique mais qui ne néglige surtout pas la dimension artistique, en est un bel exemple.
MuséoGames, site officiel de l'exposition, qui présente de nombreux documents accessibles en ligne et une section "2.0", qui permet au visiteur virtuel de participer à l'événement.
"Sujet d'étude ou objet de divertissement, le jeu vidéo entre au musée", article du 24 juin paru dans Le Monde.
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