L'Ecole, l'Université et l'Entreprise parlent beaucoup de « collaboration »
mais on ne sait trop ce que ce mot recouvre dans chacun de ces espaces. L'abondance de discours sur les outils de plus en plus
performants cache souvent la pauvreté des usages. Tous les modes d'emploi
enthousiastes ne changeront pas la question de fond : pourquoi avoir
besoin de collaborer ?
Lorsqu'on
veut permettre aux gens de se parler, on imagine pour eux des espaces
accueillants et confortables : c'est ce que font en principe les
bistros, les bonnes bibliothèques et certaines entreprises
« innovantes ». C'est ce que beaucoup de designers
d'intranet, de responsables d'ingénierie pédagogiques tentent de
recréer en ligne à travers des plates-formes qui se veulent de plus
en plus conviviales et souples. La qualité des infrastructures n'est
donc pas vraiment en cause, du moins pour les organisations qui
désirent faciliter la collaboration et qui s'en sont donné les
moyens.
Les
résistances au travail collaboratif sont réelles et l'arrivée du
numérique ne fait ici que révéler les blocages : échanger des
informations essentielles en vue d'un projet commun avec efficacité
est une étape supplémentaire que ne franchissent pas bon nombre
d'organisations, faute de culture du partage d'une part, et d'un
élémentaire besoin des individus d'autre part.
La
présentation de Anthony Poncier pour Eco-Lab, « Savoir et travail partagé pour l'entreprise » est à cet égard très
édifiante :
Pour
réussir à travailler avec les autres, il faut des capacités à
trouver la ou les personnes dont on a besoin, il faut aussi des
aptitudes à faire valoir ce qu'on peut apporter aux autres, mais
surtout il faut en avoir envie !
Pour collaborer, en avoir envie... et ne pas se faire sanctionner
Comme
il le dit très bien, « L’héritage managérial du XXe siècle s’oppose au collaboratif » : faire émerger le collaboratif
dans une organisation passe par la mise en place d'un contrat et
n'est donc pas « naturel ». Une fois le processus
enclenché, cette culture du travail en commun exige des moyens
techniques, humains et financiers pour être pérenne.
Les
technologies font évoluer les organisations de ce point de vue mais
pas aussi vite qu'on le prétend : passer du mail au partage sur des
espaces communs n'est pas si fréquent par exemple et la
route est longue jusqu'aux wikis et aux blogs.
On
retiendra un certain nombre de règles issues de ce que Anthony
Poncier appelle « Les lois incontournables du collaboratif »
qui peuvent nous aider dans la formation :
- Le
travail collaboratif repose sur le volontariat et ne peut être une obligation;
- On
partage ses connaissances quand on sait que ce travail est reconnu et apprécié
par les autres collaborateurs;
- Il
ne s’agit pas de « juste échanger », mais d’avoir la
bonne information au
bon moment;
- Les
outils (wiki, blog, forum, rss) ont chacun un rôle, mais ce sont
leurs usages
qui sont déterminants.
Les pratiques de collaboration existent avant les outils
Une
autre expérience éclaire cette question des origines de la
motivation, celle de professionnels du design d'espaces de
collaboration.
Sur le blog de la Fing, on peut lire un article,
« L'ingéniérie sociale à l'heure des réseaux sociaux » qui donne la parole à
Michael Johnson, responsable de la conception des outils internes de
Pixar et à Gentry Underwood d’Ideo, une entreprise de gestion de
connaissances et de réseaux sociaux.
Ici
tout est « parfait » : on est en Californie, énergie,
enthousiasme malgré la crise, créativité, jeunesse, monde de
l'animation et du cinéma, entreprises qui font de l'innovation leur
raison d'être.
Le
modèle de management est fondamentalement différent :
« Chez Pixar, la culture d’entreprise entretient une relation d’égalité entre les gens de la création et ceux de la technique. La réalisation d’un film en images de synthèse est fondamentalement collaborative. Elle nécessite une culture critique constructive, pour faire évoluer tous les éléments d’un film, trouver les bonnes idées, faire les changements qui s’imposent au bon moment. Les studios sont véritablement dirigés par les réalisateurs et le réalisateur doit communiquer le film qu’il a dans la tête à l’ensemble des collaborateurs. »
- Premier
point : la collaboration est ici intrinsèque, il n'y a aucun moyen
de faire autrement.
- Deuxième
point : les outils ne font que se couler dans les flux des usages
les plus massifs.
- Dernier élément : la récompense (par le recrutement, l’évolution de
carrière).
"Prendre la voie la plus utilisée : c’est-à-dire qu’il faut intégrer les flux de travail existants afin de profiter des endroits où les résistances sont les moins grandes. Si on peut donner de nombreuses options aux utilisateurs, il faut surtout utiliser les valeurs par défaut des systèmes à votre avantage, comme par exemple utiliser les e-mails pour apporter à tous les employés les nouveautés des blogs de chacun. “Peu importe la façon dont vos outils sont conçus, vous ne pouvez pas demander aux gens de sortir de leur manière de les utiliser.”
Si
on compare les deux approches, on constatera que le volontariat n'est
pas une option mais une obligation dans une culture plus créative.
Dans le domaine de la formation, cela impliquerait des contenus
adaptés à une telle donne.
Si on ne laisse d'autre choix que de
coopérer, encore faut-il donner des armes pacifiques. Enseigner, ce
serait aussi dans ce cas aider à développer des compétences
d'écoute, d'esprit critique, de mise en contexte, des capacités à
entrer en relation avec les autres, à comprendre les différences
culturelles dans la façon de travailler en groupe, comme l'a
envisagé le remarquable programme FILIPE à destination des étudiants étrangers "obligés" d'apprendre le français.
Travail collectif en groupe projet
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