Les
3 et 4 octobre 2008 ont eu lieu à Beaubourg
« Les
entretiens du nouveau monde industriel » à l’initiative du
philosophe Bernard Stiegler, Directeur du Département du développement culturel
au Centre Pompidou. Ces journées ont réuni philosophes, psychologues,
chercheurs en sciences économiques et sociales, spécialistes multimédias,
designers, pour débattre des enjeux technologiques et
industriels mais aussi anthropologiques et politiques des réseaux sociaux.
Dominique
Pasquier, spécialiste de la sociologie de la culture et des médias,
s’intéresse depuis de nombreuses années aux différents types de sociabilité des
jeunes et sa réflexion a naturellement évolué de l’étude de l’influence de la
télévision à celle des outils de type Facebook.
- Elle constate que ces
technologies renforcent l’agrégation des jeunes par groupe d’âge et
accusent le fossé générationnel qui existait déjà, la vie partagée
avec les pairs ne connaissant désormais plus d’interruption.
- Il ne suffit plus
d’optimiser le nombre des amis, il faut aussi afficher ce nombre et en ce
domaine les technologies rendent tout à fait visibles les sédimentations
sociales : plus on est favorisé socialement, plus on connaît de gens
(plus importants, plus éloignés géographiquement).
- Elle distingue deux types
de sociabilité depuis le début de ses enquêtes : les liens faibles et
nombreux qui seraient plutôt ceux que préfèrent les garçons et les
liens plus intenses et rares qui correspondraient à une sociabilité
féminine. Elle remarque que les technologies mettent peu en scène la valeur
et l’intensité d’une relation, que dans les réseaux sociaux, il s’agit de
« faire du chiffre », de montrer ainsi sa puissance.
Le
conformisme qu’elle constatait déjà chez les lycéens en 2003 dans Cultures
lycéennes: la tyrannie de la majorité semble avoir trouvé en ces
technologies « conviviales » son autoroute.
Alain Mille, un des concepteurs de Silex, plate-forme
éducative permettant à de jeunes apprenants d’avoir accès à tous leurs parcours
d’apprentissage à distance, explique dans ce même colloque que ces traces
peuvent alimenter un véritable moteur d’assistance ou bien aider à construire
des communautés à partir d’activités communes relevées. Il faut simplement
« avertir les gens qu’ils sont tracés », insiste Alain
Mille.
La
confrontation de ces deux interventions ramène au premier plan la question des modalités
de l’utilisation en classe ou à l’université
de ces outils de sociabilité et d’apprentissage.
Il est illusoire de vouloir arrêter le processus en marche, encore plus de
décréter que l’école doit rester à l’écart de ces changements mais il n’est pas
interdit de résister aux sirènes de la nouveauté des réseaux sociaux
en cherchant des outils susceptibles de contrecarrer cette tendance à
l’uniformité.
Puisque irrémédiablement tout le monde laisse des traces, de plus en
plus nombreuses, sur sa vie ses goûts, ses amis, ses idées, son parcours et
surtout ses désirs, puisque ces traces sont traquées pour de multiples raisons,
qu’elles soient policières, commerciales ou simplement conviviales, pourquoi ne
pas en faire le moteur d’une prise de conscience ?
Maîtriser ce que l’on laisse de soi en ligne est une compétence que l’on
commence à peine à enseigner.
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