Publié le 27 octobre 2019 Mis à jour le 26 janvier 2023
Parmi toutes les questions que se pose le milieu pédagogique, une des plus importantes concerne l'objectif de la formation. Pour certains, l’école a une approche plus utilitaire, l’idée étant de former de futurs travailleurs dans divers domaines. D’autres y voient des laboratoires pour préparer des citoyens en devenir. Cela inclut forcément des compétences qui serviront dans les milieux professionnels mais aussi des savoirs qui ne vont que les enrichir humainement.
Or, il semble que le système scolaire s’éloigne de cette voie. Plusieurs regrettent une disparition de la culture générale dans le système éducatif, du primaire aux études postsecondaires. Une disparité qui contribue aux inégalités entre les apprenants.
Cet article du Monde raconte bien l’expérience d’une étudiante provenant d’un foyer de classe moyenne qui ne discutait pas ni de littérature, ni d'histoire, ni de cinéma. Toujours bonne élève, elle a réussi à aller en prépa littéraire et aussitôt, elle a vécu un choc : une grande partie de ses camarades de classe avait beaucoup plus de culture générale qu’elle et, en conséquence, savait mieux exprimer leurs idées.
D’ailleurs, ce texte a suscité cette tribune publiée dans Marianne par un enseignant et essayiste qui dénonce ce nivellement par le bas du système éducatif français. Il se retrouve devant des étudiants presque incapables de nommer des éléments de culture générale que ce soit sur la mythologie gréco-romaine, les arts ou l’histoire. Pourtant ceux-ci figurent dans les programmes, techniquement. Or, il sont rarement transmis. Pour lui, l’école s’est donné la mission de transmettre des compétences, de « apprendre à apprendre », mais sans aller à partager l’héritage culturel.
Conséquemment, pour les participants de cette émission de France Culture, cela contribue à une inégalité entre les élèves. Ceux dont les parents ont inculqué davantage d'éléments culturels s’en sortent mieux à l’école. Ainsi, avec des établissements transmettant moins de culture générale, une tranche d’apprenants se retrouve en déficit de savoirs. Et cette situation n’a pas lieu qu’en France. Au début de 2019, le docteur québécois en philosophie et éducation qui a enseigné au collégial a publié un ouvrage sur le besoin de culture générale dans ce domaine postsecondaire. Florian Péloquin regrette que le renouveau pédagogique du Québec ait misé davantage sur les compétences que les connaissances.
La question en effet se pose pour plusieurs. Après tout, le programme scolaire est déjà assez chargé, pourquoi intégrer des savoirs supplémentaires? D’autant plus qu’aujourd’hui, la culture semble reposer sur l’identité nationale plutôt que sur l’idéal du 17e siècle, celui de l’honnête homme. À savoir une personne qui n’est ni inculte ni pédante de connaissances. Montaigne disait d’ailleurs qu’il valait mieux une « tête bien faite qu’une tête bien pleine ». Ainsi, son principe de culture chez les enfants était de les laisser effleurer les sujets qui les intéressent et les faire voyager dans le monde afin qu’ils deviennent des gens sensibles et à l’intelligence ouverte.
Dans une époque d’hyperspécialisation, la culture générale représente un pont entre les individus. Cela peut être une façon de briser la glace, de susciter la curiosité, de sortir de conversations superficielles pour des échanges plus concrets. Pour Péloquin, la culture générale est une boussole existentielle. En acquérant diverses connaissances, les gens auront un sens du jugement plus développé puisqu’il pourra reposer sur des analogies correctes. Pour lui, les programmes collégiaux devraient tous inculquer des savoirs des sciences humaines et naturelles.
Il reste donc à savoir si le milieu pédagogique va embrasser davantage la transmission de ces connaissances «facultatives». Le personnel enseignant déplore déjà souvent des programmes chargés et un temps limité. Dans un contexte scolaire actuel plus utilitaire, cela semble difficile. Or, si la vision éducative changeait pour une plus citoyenne, il serait possible de voir la culture générale ressurgir.
Illustration : Glen Noble sur Unsplash
Références
Brighelli, Jean-Paul. « L’extinction De La Culture Générale. » Marianne. Dernière mise à jour : 31 mai 2019.
https://www.marianne.net/debattons/billets/l-extinction-de-la-culture-generale
Cornellier, Louis. « Le Temps De Se Cultiver. » Le Devoir. Dernière mise à jour : 12 janvier 2019.
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/545286/le-temps-de-se-cultiver
Dutriaux, Cécile. « À Quoi Sert La Culture Générale En 2019 ? » The Conversation. Dernière mise à jour : 6 juin 2019.
https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-culture-generale-en-2019-117135
« La Fabrique Des Inégalités : évolutions, Contradictions, Paradoxes. (1/10) : Culture Et Inégalités Scolaires. » France Culture. Dernière mise à jour : 25 novembre 2018.
https://www.franceculture.fr/emissions/etre-et-savoir/culture-et-inegalites-scolaires
« Montaigne : Donnez-leur Une Culture Générale. » MyParenthèse. Dernière mise à jour : 14 novembre 2013.
https://www.myparenthese.fr/vie-quotidienne/art-de-vivre-culture/2011/08/montaigne-donnez-leur-une-culture-generale/
Prioleau, Élise. « À La Défense De La Culture Générale En Éducation. » Portail Du Réseau Collégial. Dernière mise à jour : 17 mars 2019.
http://lescegeps.com/pedagogie/apprentissage_et_reussite_scolaire/a_la_defense_de_la_culture_generale_en_education
Raybaud, Alice. « “Je Ne Connaissais Rien, C’était Humiliant” : Le Grand Malaise De La Culture Générale. » Le Monde.fr. Dernière mise à jour : 22 mai 2019.
https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/05/22/je-ne-connaissais-rien-c-etait-humiliant-le-grand-malaise-de-la-culture-generale_5465256_4401467.html
Accédez à des services exclusifs gratuitement
Inscrivez-vous et recevez nos infolettres en pédagogie et technologies éducatives
Vous pourrez aussi indexer vos ressources préférées et retrouver votre historique de consultation
M’abonner à l'infolettreVous pourriez aussi aimer:
Les mythes horrifiques sur Internet
Internet est devenu le foyer de narrations de toutes sortes grâce à la démocratisation des outils de création. Le milieu de l'horreur bénéficie particulièrement des outils numériques. Plus que jamais, les histoires terrifiantes ont gagné leur place dans le cœur des internautes.
La musique populaire décryptée
Un musicologue et professeur à la Faculté de musique de l'Université Laval décrypte le succès de la musique populaire et sa présence accrue dans tous les différents médiums.
La vraie histoire des 1001 nuits
"Les 1001 nuits" font partie des récits les plus connus du monde arabe. Pourtant, leur origine serait différente et les traces écrites ont presque toutes disparu. Néanmoins, un manuscrit a permis à des auteurs, dont Antoine Galland, de reprendre des idées de base et de rajouter des contes, y compris certains très appréciés.
Le rap, la forme populaire de la dissidence russe
La culture du rap a toujours été celle de la dénonciation, une façon de donner une voix aux personnes marginalisées. Aujourd’hui, elle a pris sa place dans la culture populaire en Occident. Cela est aussi en train de se produire en Russie où les rappeurs se permettent de dénoncer fortement les politiques. Ainsi, les autorités de ce pays autocratique cherchent à faire taire ses avis dissidents sans frustrer une jeunesse qui adore cette musique.
