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Publié le 15 octobre 2019 Mis à jour le 15 octobre 2019

Apprendre l'Afropolitanisme aux jeunes

Le patrimoine constructif et positif de l'Afrique

L’Afropolitanisme… ! Il n’y a aucun sujet ni concept qui me fascine autant que ce dernier.  Depuis 2013 où j’ai rencontré ce terme à un cours sur les études postcoloniales, je n’ai cessé de l’explorer, de le questionner, tourner et retourner dans tous les sens. Mon intérêt pour l’afropolitanisme s’est cristallisé avec la création d’un blog éponyme entièrement dédié à la découverte de l’afropolitanisme sous plusieurs angles, de l’économique au culturel en passant par l’éducatif et le politique[1].

Au fil du temps, je suis passé du discours à la pratique, de la pensée à l’action. C’est ainsi que mes manières d’agir ont évolué à tel enseigne que mes proches n’ont point tardé à me surnommer l’Afropolitain.

S’il est vrai que le vestimentaire est l’aspect visible de l’iceberg, il existe de nombreuses autres façons de vivre et d’exprimer son afropolitanité. Mais avant d’aller plus loin, permettez-moi de définir l’Afropolitanisme selon l’un de ses théoriciens, l’historien camerounais Achille Mbembè. Puis je vais situer ce que j’entends par afropolitanisme puis montrer en quoi cela constitue une nécessité pour l’éducation culturelle des enfants et jeunes.

  1. C’est quoi l’Afropolitanisme ?

D’après Achille Mbembè :

« Ce n’est donc pas seulement qu’il y a une partie de l’histoire africaine se trouvant ailleurs, hors d’Afrique : il y a également une histoire du reste du monde dont les Nègres sont, par la force des choses, les acteurs et dépositaires.

Au demeurant, leur manière d’être au monde, leur façon d’« être monde », d’habiter le monde, tout cela s’est toujours effectué sous le signe sinon du métissage culturel, du moins de l’imbrication des mondes, dans une lente et parfois incohérente danse avec de signes qu’ils n’ont guère eu le dossier de choisir librement, mais qu’ils sont parvenus, tant bien que mal, à domestiquer et à mettre à leur service.

La conscience de cette imbrication de l’ici et de l’ailleurs, la présence de l’ailleurs dans l’ici et vice versa, cette relativisation des racines et des appartenances primaires et cette manière d’embrasser, en toute connaissance de cause, l’étrange, l’étranger et le lointain, cette capacité de reconnaître sa face dans le visage de l’étranger et de valoriser les traces du lointain dans le proche, de domestiquer l’in-familier, de travailler avec ce qui a tout l’air des contraires – c’est cette sensibilité culturelle, historique et esthétique qu’indique bien le terme « afropolitanisme »[2]

De manière simpliste, l’afropolitanisme est la capacité de voir son visage dans la face de l’autre. C’est la rencontre de plusieurs imaginaires dormants ayant comme dénominateur commun l’Afrique, non pas en tant qu’espace géographique avec des frontières cloisonnées, mais l’Afrique, en tant qu’espace de de brassage, de mélange et de métissage interculturel.

L’Afropolitanisme est ainsi le fruit contemporain de la mobilité forcée de la population qui engendra des contacts inopinés de différentes cultures et civilisations, que ce soit à l’intérieur de l’Afrique ou au-delà. En effet, l’Afropolitanisme s’expérimente sur deux terrains différents: en Afrique et hors de l’Afrique. Mais dans l’un ou l’autre cas notre préoccupation est d’apporter une réponse crédible à la pertinente question que se pose de nombreux jeunes : à « savoir qui est « Africain » et qui ne l’est pas » dans le monde d’aujourd’hui. Est-on africain parce qu’on est né en Afrique ou peut-on se considérer « africain » bien qu’étant né hors d’Afrique ?

L’Afropolitanisme est ainsi unique en ce qu’elle constitue une nouvelle identité cosmopolite africaine, mais en même temps une force qui réévalue la mobilité à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afrique plutôt que de la considérer comme une source de déracinement et d'échec. Après tout ce « bavardage », vous allez surement vous demander l’utilité d’enseigner l’Afropolitanisme à votre enfant ?

  1. Pourquoi est-ce important de l’enseigner aux enfants ?

Enseigner l’Afropolitanisme aux jeunes ou enfants – surtout ceux de la diaspora africaine ou noire américaine – leur permettra de reconnaître l’interdépendance des sphères culturelles, politiques et économiques, dans un monde moderne construit sur la base de distinctions autour de la race[3]. Les hiérarchisations et différenciations par la race sont une expérience commune aux humains et les processus de racialisation sous-tendent toute l’expérience moderne.

En outre, l’Afropolitanisme est un concept qui leur permettra de comprendre les profondes mutations culturelles que le continent africain est en train de subir sur le plan identitaire aussi bien que linguistique. Ainsi, l’Afropolitanisme est une nouvelle forme d’identité cosmopolite africaine.

  1. En quoi l’Afropolitanisme est différent des autres mouvements ou identités culturelles ;

L’Afropolitanisme se différencie de la Négritude, dans la mesure où, « le discours de la Négritude se voulait un discours sur la différence, un discours de la communauté comme différence». L’Afropolitanisme n’est pas aussi le cosmopolisme qui sous-entend la latitude d’être simplement citoyen du monde sans aucune référence identitaire particulière[4]. Il ne saurait non plus être le Panafricanisme[5]. Car, selon Tsitsi Jaji: “

Pan-Africanism is, after all, only as valuable as the human ties it allows us to feel more strongly, ties that motivate a continuing commitment to ending the intersecting oppressions of people on the grounds of race, but also of class, gender, sexuality, nationality, ethnicity, party affiliation, HIV-AIDS status, and incarceration history[6]”.

Alors, l’Afropolitanisme tenterait d’apporter des « réponses nouvelles à la question de savoir qui est « Africain » et qui ne l’est pas, selon un certain nombre de dispositions nouvelles dans le monde contemporain multidimensionnel marqué par la poussée de la mobilité des populations africaines et par conséquent, la présence des Africains dans tous les coins du globe. A l’instar donc de la Négritude, l’Afropolitanisme a aussi une origine et depuis sa naissance, le concept n’a cessé de s’élargir dans tous les sens

  1. Comment l’enseigner aux enfants ?

Enseigner l’Afropolitanisme aux enfants ne peut pleinement se faire sans un détour vers l’histoire de l’Afrique. Or, à l’exception de quelques pays qui confirment la règle, la place de l’enseignement de l’histoire en général, et celle de l’histoire de l’Afrique en particulier, est considérée comme insuffisante dans les programmes éducatifs. De surcroit, elle tend à se réduire en termes de crédit horaire[7], voire d’autonomie comme discipline avec la tendance à dissoudre son enseignement dans les sciences sociales. Or la place que l’enseignement de l’histoire africaine occupe et le rôle qu’il joue dans la construction d’une identité globale sont fortement affirmés dans la Charte de la renaissance culturelle africaine.

Vous seriez surpris de voir combien de gens parlent de l'Afrique comme d'un pays[8]. Nous devons faire comprendre très clairement à nos enfants que l'Afrique est un continent. Ils doivent le comprendre avant même de toucher à l'histoire de l'Afrique. Comprendre que l'Afrique n'est qu'une grande masse continentale les aidera à naviguer dans l'histoire dans son ensemble et à comprendre véritablement sa diversité. Il faut aussi leur faire comprendre l’histoire coloniale des pays africains. Les nations frontalières que nous voyons aujourd'hui sur le continent sont une invention, puisqu’ avant l'interruption de l'histoire africaine par l'intrusion étrangère, les pays n'existaient pas.

Enseigner l’Afropolitanisme aux enfants revient ainsi à nourrir leur prise de conscience en dévoilant les rencontres, les échanges, les influences réciproques, les brassages, les partages, les solidarités qui ont jalonné la marche des peuples d’Afrique dans le temps aussi bien dans les périodes fastes que dans les épreuves.

L’enseignement de l’afropolitanisme aux jeunes permet d’articuler l’histoire du continent à celle des régions et des pays qui la composent ; de former les jeunes citoyens afropolitain conscients, responsables, actifs et exigeants sur le respect et la promotion des valeurs de liberté et de démocratie et leur assurer la connaissance et la compréhension du passé africain et de son rapport au présent et au futur de continent.

  1. Quels sont les retombées positives sur le comportement et l’éducation de l’enfant.

Aujourd'hui plus que jamais, les Africains doivent regarder en arrière pour aller de l'avant. Mais que voient les Africains quand ils regardent en arrière ? Ils sont souvent submergés de voir surtout les 500 ans destructeurs[9] de l'expérience déshumanisante de l'Afrique. Ils reconnaissent, apprécient, reconnaissent et promeuvent rarement l'héritage et la contribution positifs et constructifs du savoir africain que les ancêtres africains ont créé avant la période de destruction.

À travers l’Afropolitanisme, le patrimoine constructif et positif peut être ressuscité et servir à éduquer des générations, en commençant par les enfants de la maternelle jusqu'au niveau supérieur. La période négative destructrice doit être enseignée avec une pleine appréciation des données positives[10], afin que l'héritage du colonialisme, de l'impérialisme, de l'apartheid, du néocolonialisme et de toutes les formes d'oppression n'affecte plus les Africains.

L’Afropolitanisme est une invitation au dépassement des barrières identitaires et culturelles.  L'avenir de l'Afrique doit être construit à la fois avec l'imagination et la connaissance de l'histoire constructive et du patrimoine laissé par les ancêtres, mais aussi en apprenant et en surmontant les risques et les dangers qui subsistent de l'héritage de la période destructrice. L'avenir se construit en appréciant et en apprenant de l'histoire et du patrimoine constructifs et destructeurs de l'Afrique. Le système éducatif panafricain doit saisir de manière critique à la fois le patrimoine et l'avenir.

La raison pour laquelle nous devons ressusciter l'héritage positif, l'histoire et les données est que le passé africain contient de riches sources de connaissances qui sont très pertinentes pour aujourd'hui et demain, des connaissances auxquelles le monde doit être exposé, apprendre et évoluer. On peut y parvenir en intégrant systématiquement les connaissances et les valeurs afropolitaines dans les programmes scolaires.

 

[1] McKay, V. (1963). Africa in World Politics. New York: Harper; Row Publishers.
 

[2] Achille Mbembè, Sortir de la Grande Nuit, p. 228
https://www.decitre.fr/livres/sortir-de-la-grande-nuit-9782707176646.html
 

[3] Bien que le terme « race » soit souvent compris comme un concept établissant des distinctions hiérarchiques historiquement basées sur la croyance erronée en l’infériorité biologique (et culturelle) de certains groupes et la supériorité d’autres, je partage la position de Michael Omi et Howard Winant et analyse la race comme un processus. L’idée de race découle ainsi des différents processus – historiques, économiques, politiques et culturels – ayant concouru à la naissance et structuration de présupposés raciaux.
 

[4] Serequeberhan, T. (1998). “Philosophy and post-colonial Africa Talburt, T. (2017). Black Resistance and Identity: Overview of a Global Struggle.” dans Talburt, T. and Traore, M. (Ed.). Fight for Freedom: Black Resistance and Identity. Accra: Sub-Saharan Publishers.
 

[5] Esedebe, O.P. (1982). Pan-Africanism: The Idea and Movement 1776-1963. Washington DC: Howard University Press.
 

[6] Jaji, Tsitsi. Africa in Stereo: Modernism, Music, and Pan-African Solidarity. New York: Oxford UP, 2014, p. 248
 

[7] Tiffany Caesar, « Pan-Africanism And Education: An Exploratory Study Of African Centered Schools In Cameroon And South Africa », Commonwealth Youth and Development 14, no 2 (s. d.): 92‑108.
 

[8] ANU, « How to Teach Your Children African History: A 5-Step Illustrative Guide - », 15 février 2019, http://afrographics.com/how-to-teach-your-children-african-history-a-5-step-illustrative-guide/

[9] Rodney, W. (1972). How Europe Underdeveloped Africa. Abuja: PANAF Publishing, Inc.
 

[10] Adjei-Gyamfi, « Afrocentricity: An Important Feature of Pan-Africanism | Pambazuka News », consulté le 15 octobre 2019, https://www.pambazuka.org/pan-africanism/afrocentricity-important-feature-pan-africanism


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