Entre l'intenion et l'effet
Les formateurs, les facilitateurs, les coachs cherchent à réaliser le geste de l'acupuncteur, le juste nécessaire parfaitement dosé au bon endroit et au moment adéquat. Leurs interventions en face à face ou à distance visent la découverte soudaine d'une vérité utile par soi-même, une prise de conscience ou un apprentissage profond.
Ce geste se situerait entre protection et permission et dévoilerait la puissance d'agir. Mais malheureusement des erreurs sont parfois commises et produisent des dégâts. Il s'agit des interventions dommageables. En voici quelques-unes à éviter :
Prononcer des paroles définitives
Les paroles définitives sont le plus souvent des jugements de valeur prononcés de façon péremptoire. Lorsqu'elles sont intuitives et énoncées avec impulsivité elles révèlent une croyance sur l'autre sans filtre ni nuance. Elles vont dans les tripes, presque comme une émotion racine, une communication viscérale qu'il sera ensuite difficile de corriger avec des mots. Lorsque la communication opère en ligne, elle n'est accompagnée d'aucun signal non verbal pour en moduler le sens. Les paroles définitives, une fois prononcées, ne peuvent être effacées. En ligne la trace demeurera.
Choisir, décider à la place des autres contre leur orientation
Forcer un autre à agir selon son inclination propre plutôt que la sienne vient diminuer l'estime de soi d'un enfant mais également d'un adulte. Un adulte est par définition auto-défini; il constitue ses propres repères. Dès qu'il est réduit à obéir il se trouve infantilisé. Mais un enfant sera aussi meurtri, il cherchera de l'approbation et désapprendra à penser et parfois à sentir par lui-même. Choisir indéfiniment pour l'autre réduit ses désirs, ses envies, sa capacité à se développer par lui-même.
Attention dès lors au parcours d'apprentissage en ligne ou il suffirait de suivre un fil d'activités pour apprendre. Chaque fois que possible le concepteur d'un dispositif de formation doit rester vigilant à proposer des choix à réaliser par l'apprenant sinon il se contente de stimuler la mémoire et pas la motivation. Il éteint la curiosité et aplani la difficulté qui renforce l'estime de soi quand on l'a dépassé.
Forcer l'énergie d'un groupe
Les groupes d'apprenants vivent leurs rythmes, trouvent leur rituel, se créent selon leur durée de vie des repères, des habitudes voire une culture commune. Lorsqu'un animateur trop pressé souhaite pousser en avant le contenu, qu'il place son énergie au centre pour respecter un programme, il force le groupe dans une direction donnée. Il est centré sur la commande reçue et moins sur les besoins énergétiques du groupe de prendre du temps à un moment, de diverger ou digérer ce qui est partagé.
La question à se poser en e-formation est comment capter l'énergie d'un groupe ? Sans réponse à cette question il n'y a pas d'apprentissage. Il s'agit pour un intervenant de comprendre comment se compose cette énergie en ligne, temps de réaction à un post, qualité des messages, interpellations croisées, humour et changement de cadre de référence, nombre de messages sur un sujet, taux de rebond, envie de collaborer. Tout cela est déjà difficile en face à face mais, mal mené, s'avère destructeur de l'envie d'apprendre à distance.
Laisser un groupe sans sens
Un individu ou un groupe sont guidés par le sens d'une action. C'est la dimension conative de l'apprentissage. Sens qu'ils se créent eux-mêmes ou sens proposé par un intervenant. Lorsqu'ils ne disposent pas de sens, ils risquent de se déliter en tant que collectif. Les individualités prennent l'ascendant et la confiance dans l'efficience du collectif est affectée.
À quoi sert d'être en groupe pour apprendre ? Je perds mon temps. Des temps collectifs illisibles qui se répèteraient donneraient une image dégradée du pouvoir de soutien du collectif. Quand les échanges se produisent en ligne et que des consignes d'apprentissage sont sensées être suffisamment claires mais que finalement l'ergonomie est médiocre, apprendre avec les autres devient une contrainte pénible.
Aller à contresens des émotions et ressentis
La personne qui s'ouvre à l'autre et ne reçoit aucun signal en retour se trouve face à un mur. Certains savent escalader les murs, les briser ou encore les contourner. D'autres s'y heurtent et sont meurtris par l'expérience. Lorsque l'environnement va à contre sens des signaux attendus, l'individu peut même se mettre à douter de la pertinence de ses actions et, dans les cas les plus graves, il peut même se sentir en insécurité dans la relation à l'autre.
L'impersonnalité de certains dispositifs en ligne nous renvoie à la caricature des boîtes vocales si vous avez un problème de connexion tapez 1, si vous ne comprenez pas les consignes tapez 2. En aucun cas les réponses automatiques répondent à ce besoin d'être pris en soin dans la relation comme une personne singulière.
Toucher un point de fragilité psychologique
Dans l'analyse transactionnelle, Eric Berne décrit les jeux psychologiques entre individus. Le triangle dramatique sauveteur-persécuteur-victime éclaire la mobilité des états internes et dévoile les bénéfices psychologiques des situations en apparence dysfonctionnelles. Dans un groupe la maïeutique du formateur permet d'accueillir, de faire circuler et de réguler les tensions émotionnelles.
Que se passe-t-il en ligne quand un troll s'attaque à tout ce qui bouge ? Suffit-il de ne pas nourrir le troll pour protéger un groupe de ses diatribes ? Une fois l'exclusion prononcée le venin distillé s'arrête-t-il tout seul ? Rien n'est moins sûr. Il est plutôt intéressant de voir comment le collectif peut s'organiser pour riposter créativement aux jeux psychologiques.
Castrer les idées à peine écloses
La personne a juste fini d'esquisser le début de sa pensée, qu'une autre vient le faucher en plein milieu de phrase. Non seulement il coupe la volonté de communiquer, mais en plus il pousse en avant ses vues sans respect de la relation. Ce mépris complet du lien à autrui génère deux frustrations la première est celle de la pensée empêchée, la seconde est celle de l'imposition de la pensée d'un autre. Cette irruption ne peut générer que de l'agressivité ou du mutisme ou encore provoquer un débat sans fin.
C'est aussi ce qui se produit quand l'un propose une idée en ligne et que personne ne daigne répondre. Lorsque l'un s'exprime et l'autre répond complètement à côté, un effet d'incompréhension se produit. Tout ce que l'écoute attentive peut apporter est laissé de côté. C'est comme si les émotions exprimées ne comptaient pas, comme si le projet pour le futur en train de s'esquisser ne valait pas.
Faire une mauvaise blague, tourner l'autre en dérision
Pour briller en société et mettre la bonne humeur de son côté, rien de tel que l'humour et parfois cela peut être maladroit, au détriment de l'autre et de ses valeurs. Sans vouloir blesser une personne elle est touchée sans possibilité de réponse puisque justement c'est de l'humour.
Aller contre les plis organisationnels
Je nomme "plis organisationnels" les chemins de pensée, les croyances et les habitudes qui imprègnent les structures, les écoles ou les entreprises. L'intervention qui affronte directement la réalité organisationnelle peut générer un sentiment d'inefficacité pour celui qui reçoit un conseil inapproprié.
L'orientation d'une intervention contre l'organisation est-elle à conseiller par un intervenant ? Quelle question éthique pose le fait de distiller du doute ou de la défiance face à une culture organisationnelle ou contre un programme ? Qui peut se situer en surplomb pour juger d'une situation ? Ce type d'intervention crée du ressentiment mais n'empêche-t-elle pas d'agir à partir du possible ?
Conclusion
Les interventions dommageables affectent l'apprentissage dans les groupes mais l'analyse de leur transposition en ligne montre une exaspération des effets quand les rétroactions non verbales sont rendues plus difficiles. Il existe de plus en plus de modalités audio visuelles, mais celle-ci rendent encore mal compte des jeux de regard des systèmes humains.
De la même façon les micro expressions du visage sont imperceptibles sur de petits écrans. Les odeurs corporelles, l'impact du cadre d'interactions, les distances physiques à l'autre, le toucher, le ressenti par nos viscères est encore une perspective éloignée de la formation à distance même si la réalité virtuelle et l'haptique offrent des solutions prometteuses pour demain.
Sources
Berne, E. (1983). Que dites-vous après avoir dit bonjour ? Tchou.
https://www.decitre.fr/livres/que-dites-vous-apres-avoir-dit-bonjour-9782710708025.html
Le Troll nous amuse et ensuite il nous lasse
https://cursus.edu/12583/le-troll-nous-amuse-au-debut-et-ensuite-il-nous-lasse
Bandura sentiment d'efficacité personnel https://journals.openedition.org/osp/741
Impuissance apprise https://www.hogrefe.fr/impuissance-apprise-comment-induire-la-resignation/
Wikipédia - Eric Berne https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ric_Berne
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