Voilà 7 années déjà que nous nous sommes investis dans la pratique et la promotion de l’art oratoire sur le continent africain et au-delà.
Côté pratique[1], nous avons été introduits à l’univers des compétitions de débat et de prise de parole en 2012 à l’université de Dschang lors de l’organisation d’un tournoi local. Aujourd’hui, après plusieurs périples dans cette filière des industries culturelles, nous avons beaucoup appris, désappris et réappris. En un mot, la pratique régulière de l’art oratoire en tant que débatteur, juge et formateur etc., nous a transformé de façon holistique.
Cet article vise à documenter brièvement les principales compétences et attitudes que nous pouvons tirer de notre expérience. Ces compétences et comportements sont également observables auprès des centaines d’orateurs que nous avons côtoyés ou formés. Nous espérons que cela encourage davantage de personnes (décideurs politiques, éducateurs…) a considéré davantage l’enjeu critique que constitue l’enseignement de l’art oratoire, comme outil du vivre ensemble.
- La gestion du temps, la plus précieuse des ressources.
La gestion du temps est un des traits essentiels d’un débatteur. Réussir un débat, c’est aussi pouvoir le finir dans les temps autorisé par le format adopté ! Un débatteur a donc usuellement une expression pertinente, précise et concise.
En effet, de la préparation à la présentation, le débatteur est engagé dans une course contre le temps. Durant la phase préparatoire, trouver un consensus sur la stratégie d’attaque et de défense, peut-être difficile. À l’époque, on se croyait intelligent, et ainsi, chacun tenait toujours à avoir le dernier mot. On ressent toujours un plaisir, une fierté parfois muette et diffuse lorsque son idée est retenue.
Or, dans un tournoi ou championnat de débat structuré, le temps est méticuleusement chronométré. Très vite, en moins de 15 minutes, on doit pouvoir trouver des idées, les rassembler, les organiser, les structurer et les répartir. Fermeté et concession sont les secrets pour y parvenir. Pouvoir rester ferme limite les blablateries, et la concession permet d’avancer. Concéder c’est apprendre à faire confiance et croire en la compétence de l’Autre.
- L’écoute active : parler est un besoin alors qu’écouter est un art.
S’il existe une faculté biologique universelle qui est de plus en plus sollicitée, c’est bien l’écoute active, cette capacité à écouter pour comprendre et non écouter pour répondre. Or le plus souvent, en société, la capacité et l’esprit d’écoute se perd. Il devient de plus en plus difficile de retenir ou capter l’attention des personnes.
Lorsqu’on veut faire passer un message, il faut donc d’abord comprendre ce que nous dit réellement notre interlocuteur. Une attitude qui exige un certain savoir-faire. Entendre ne nécessite aucun effort d’attention particulier : c’est simplement le sens de l’audition qui fonctionne. Ecouter, par contre, est un acte volontaire. Vous décidez de vous concentrer pour mieux connaître votre interlocuteur et vous assurer que vous comprenez bien le message qu’il vous transmet.
Tous les débatteurs ou professionnels du monde de la communication vous confirmeront que l’écoute est la première étape pour être convaincant. On ne peut bâtir une bonne argumentation ou réplique sans avoir bien écouté et compris son adversaire. Grâce au débat, nous avons ainsi aiguisé cette aptitude à savoir se taire, pour écouter ce que l’autre pense, le comprendre et pouvoir, au besoin le démontrer. Nous vous recommandons de lire cet article pour découvrir comment améliorer vos compétences d’écoute.
- L’organisation des idées.
Combien de fois vous êtes-vous dit, en plein milieu de votre prise de parole, que votre présentation était confuse, mal adaptée à votre public, ou que vous avez oublié un point essentiel ? Boileau disait : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire, viennent aisément. Le même principe s’applique à la prise de parole en public, on doit être structuré pour accroitre la charge persuasive du discours.
Lorsque votre discours est structuré, l’auditoire écoute avec d’autant plus d’attention que vous prenez le temps d’organiser vos idées dans une certaine logique. J’ai constaté que le message passait mieux lorsqu’on usait des connecteurs logiques, ces chevilles ouvrières à la cohésion et cohérence du discours. Et cela est d’autant plus vrai à l’écrit qu’à l’oral.
Un discours structuré est plus facile à comprendre, crédible, agréable et l’auditoire s’en souvient aisément.
Même un mensonge, lorsqu’il est structuré, devient crédible (Je ne vous y encourage point cependant !).
- L’esprit de compétition, un prérequis à l’excellence.
L’esprit de compétition, interne entre les membres de la même équipe, et externe à l’égard de l’équipe adverse, est l’un des ingrédients qui épicent un championnat de débat.
En effet, chaque orateur, au regard de ses performances individuelles, obtient un score lui permettant de concourir pour le titre de meilleur débatteur/orateur. Par ailleurs, c’est la somme des scores de deux coéquipiers qui permet d’obtenir la note moyenne de la meilleure équipe. Cette dualité entre compétition et collaboration, quoique ludique, a aussi une dimension pédagogique : apprendre à collaborer en conservant ses différences.
Le débat s’inscrit ainsi dans une vision capitaliste avec cette société de compétition et de concurrence érigé en modèle dominant. Bien que je ne partage pas totalement cette philosophie sociale de la compétition, j’adhère cependant à la compétition individuelle qui est un facteur émulant et stimulant qui pousse à l’action, à la réalisation, à l’accomplissement d’un acte. Et partant, booste la confiance en soi.
- L’esprit critique et de discernement.
Voilà un autre atout que nous avons aiguisé par la pratique régulière du débat. Au cours d’une compétition de débat, on doit, séance tenante, faire une analyse critique du discours de son adversaire pour en identifier et démontrer les failles.
Suivant un mode d’intervention croisé, un membre du « Gouvernement » intervient toujours après celui de « l’Opposition » et vice versa. Donc, il faut sérieusement se remuer les méninges pour comprendre, décrypter et exposer les faiblesses de l’argumentaire adverse, directement après qu’il l’ait fait. Les avocats et acteurs du droit sont passés maitre dans cet art au regard des exigences de leur métier à travers le plaidoyer.
Dans un monde actuel globalisé et interconnecté, développer l’esprit critique relève d’un enjeu majeur au service de la construction de l’émancipation sociale, professionnelle et citoyenne. Construire une pensée critique implique une posture intellectuelle nécessitant curiosité et distanciation face au monde qui nous entoure. Cela repose sur l’acquisition de compétences transversales visant à développer la capacité à argumenter et à débattre, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances, et à respecter la pensée des autres.
- Le travail d’équipe, essentiel au vivre ensemble.
Le travail collaboratif est une des compétences clés de ce siècle. Une aptitude que chacun se doit d’acquérir, de murir et de perfectionner.
À travers notre expérience dans l’univers du débat structuré, nous avons été amené à collaborer avec des personnes ayant des caractères différents. J’ai compris que la clé du travail en équipe c’est la gentillesse ou encore l’existence d’un climat caractérisé par la confiance interpersonnelle et le respect mutuel. Cette compétence est transversale puisque le travail en équipe est aussi essentiel à la réussite de l’entreprise qu’il l’est au succès d’une équipe de football.
Un travail harmonieux en équipe sollicite parfois des violences internes. Car on est parfois amené à faire des compromis ou concessions afin de maintenir la dynamique collective, on passe d’une pensée unique à une pensée-racine. Pratiquer l’art oratoire peut ainsi vous permettre d’écouter avec bienveillance et sans jugement, se mettre à la place de l’autre, ne pas catégoriser, ne pas confondre être et avoir, passer du « tu » au « je »... : autant d’actes qui permettent de restaurer l’humanité en chacun d’entre nous.
Voilà ainsi présentés, les six compétences acquises et renforcées par la pratique du débat structuré. Si vous êtes un praticien d’un métier de l’oralité, vous devriez certainement vous retrouver dans l’une de ces compétences.
Notes et références
[1] Nous avons délibérément choisi de nous limiter à l’expérience pratique. Pour ce qui de l’expérience dans la promotion du débat structuré en tant que Président du Réseau International pour l’Art Oratoire en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique (RIPAO), vous pourriez trouvez plus de renseignements ici : www.ripao.org
Voir plus d'articles de cet auteur