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Publié le 07 juillet 2019 Mis à jour le 07 juillet 2019

Comment apprendre à manger avec appétit tous les repas du monde?

Une approche afropolitaine de l’art culinaire

<p>Afropolitan culinary art @ Dieuveil Malonga - Free commons</p>

Voici l’anecdote d’une amie ivoirienne dénommée «Germaine[1] » qui a vécu plus d’une année au Ghana sans jamais manger un plat purement local comme le Kenké[2]ou du Shitoh, du piment noirci. En revanche, elle consomme des plats comme le Jollof, fait à base de riz, ou du Waakye, aussi à base de riz cuisiné avec du haricot, du spaghetti et de la sauce tomate ou du tapioca. Elle « tolère » ces repas parce que cuisinés à partir d’ingrédients qui lui sont familiers. Le reste de son alimentation est composée de plats ivoiriens disponibles dans certains restaurants, notamment de l’Atiéké.

Germaine n’est cependant qu’un cas parmi tant d’autres. Lors de mes voyages et rencontres afropolitaines, j’ai rencontré de nombreuses autres personnes résistantes à la différence culinaire. Face à notre appétit immédiat pour l’art culinaire local, il nous a toujours été demandé :

Comment fais-tu pour manger avec autant de délectation un plat étranger que tu découvres à peine ?

En quelques étapes, je partage avec vous des étapes simples, réalistes et réalisables pour développer votre appétence et compétence à consommer des repas de cultures différentes. L’expérience partagée ci-dessous a déjà fait ses preuves lorsqu’appliquée par d’autres personnes et dans d’autres contextes[3].

  1. Comprendre la dimension culturelle de l’art culinaire.

Au-delà de la valeur nutritive, toute nourriture a une dimension culturelle.

Fig 1: Un plat de Mbongo Tchobi du Cameroun @ Christian Elongué

Tout art culinaire s’inscrit dans un contexte culturel bien défini. Aucune recette n’a été créée ex-nihilo, car même les nouvelles recettes ou expérimentations culinaires s’appuient sur des goûts, saveurs ou pratiques culinaires antérieures. Dans chaque pays, il existe des plats nationaux, consommés par la majorité de la population. Et parfois même certaines localités ou communautés possèdent des plats locaux dont la préparation n’est véritablement maitrisée que par les originaires ou ressortissants de ladite communauté, le plus souvent de la mère à la fille.

Si vous faites un tour par le Cameroun, vous ne sauriez repartir sans déguster du bon Ndolè à la viande et du macabo, du Mbongo Tchobi avec le plantain mûr, du Koki avec de la banane, des pommes pilées avec du haricot rouge, du Topsi banana (ou banane malaxée avec des arachides) etc. Bref, si vous êtes un touriste afropolitain comme moi, je ne visite jamais un pays sans déguster au moins deux à trois plats locaux. S’il est vrai qu’il s’agit d’une pratique courante, tel n’est pas forcément le cas pour certains, qui s’adaptent très difficilement à de nouveaux repas qu’ils ne reconnaissent pas, parce que n’existant point dans leur pays d’origine.

Une autre anecdote survint lors d’une discussion WhatsApp avec une amie camerounaise :

  • Christian, j’ai découvert plusieurs photos de repas différents et parfois bizarres sur ton statut lorsque tu étais en congé au Togo et au Bénin. Les as-tu tous véritablement mangé ?
  • Oui, répondis-je, avec enthousiasme et mélancolie.
  • Etaient-ils tous bons ? Surtout le foufou noir que tu avais posté là ? continua-t-elle.
  • Oui ! Oui ! C’était du Telibo ou Amalà, de la pate noire faite à partir d’igname grillé. Je l’ai particulièrement apprécié.
  • Comment y parviens-tu ? Car je ne peux le faire, poursuivit-elle.
  • Il suffit d’avoir un regard afropolitain sur l’art culinaire, car il existe une dimension culturelle et émotionnelle dans tout repas. Dès lors que tu compris et accepté cela dans ton imaginaire, le tour est joué !

Fig 2: Un plat de Telibo ou Amalà du Bénin

  1. Comprendre la dimension émotionnelle d’un repas.

Fig3: Un plat de Ndolè du Cameroun avec des plaintains frit et du miondo @Christian Elongué

De la dimension culturelle de la nourriture nait la relation émotionnelle à un repas.

Tout repas est ancré dans une tradition locale. Ainsi les populations créent des recettes à partir des ingrédients disponibles et accessibles dans leur environnement. Et lorsqu’on est habitué à consommer un repas, on finit forcément par l’apprécier et à le trouver bon.

Si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est également en mangeant que vient l’appétit.

Autrement dit, ce n’est qu’après avoir consommé un plat à plusieurs reprises, qu’on parvient à véritablement l’apprécier ou le savourer. Les experts en vins ou œnologues sont capable d’identifier et de reconnaitre la marque d’un vin, son époque etc., juste à travers le gouter[4]. Comment y parviennent-ils ? À travers une expérience pratique et répétitive, qui peut parfois s’étendre sur plusieurs années de consommation de ces vins. De ce fait, un profane ou amateur de vin ne peut véritablement connaitre la valeur ou le prix véritable d’un vin rien qu’à partir de l’embouteillage. Si vous offrez un champagne ou vin de luxe à un paysan du village, même si cela coûte cent fois plus que sa bière locale, comme le vin de palme au Cameroun, il ne l’appréciera jamais à sa juste valeur. Pourquoi ?

Vin de palme au CamerounLa réponse est simple : il n’a pas l’habitude de consommer ce vin rouge. Par conséquent, le lien émotionnel est très faible par rapport à son vin de palme, qui lui plonge régulièrement dans les méandres aphrodisiaques et euphoriques.

Il en est de même pour la nourriture, un étranger ne peut pleinement apprécier la saveur ou valeur d’un repas local que s’il est « initié », ouvert, prédisposé et mentalement préparé à apprécier ce repas. Les habitants locaux mangent avec délectation leur repas parce qu’il existe déjà ce lien émotionnel et culturel avec ce dernier.

  1. Étapes réalistes et réalisables.

La tactique est très simple :

  1. Je reconnais d’abord que tout ce que la nature a créé est bon et utile (1), d’une manière ou d’une autre. Par conséquent, ce qui ne se mange pas en deçà des Pyrénées, se mangera forcément au-delà. Un enseignant d’épistémologie à l’Université de Dschang, Jacques Chatué, nous disait souvent que même les herbes qu’on piétine ici sont recherchées et consommées ailleurs. Rien n’est impossible dans ce bas monde. Seul les voyages permettent d’explorer et découvrir de nouvelles pratiques culinaires, toutes plus originales les unes que les autres.
  2.  De la reconnaissance de la diversité inhérente des pratiques culinaires, nait l’ouverture de l’imaginaire (2). A partir du moment où je (re)connais que toute plante existante peut être consommée, je suis plus ouvert et préparer à découvrir et accepter la différence. Ainsi, lorsqu’il m’arrive de découvrir, lors d’un voyage, que les populations locales ont des modes de consommation ou de préparation très différents de ceux que je connais, j’accepte plus facilement cette différence parce que déjà préparé au niveau de mon imaginaire.
  3. L’ouverture de mon imaginaire facilite la communication interculturelle, c’est-à-dire une démarche vers et envers autrui. A ce niveau, c’est l’attitude qui entre principalement en jeu. Je me dis : « Si je vois des personnes consommer tel repas avec appétit, c’est qu’il est forcément bien, du moins pas nocif à la santé. Donc, il me suffit d’ordonner à mon psychisme ou de commander mon cerveau, de considérer également ledit repas comme étant bien. »

Cette attitude réceptive facilite grandement l’appréciation dudit repas. Avant de manger, je ne me demande pas si le repas est bon ou pas, mais je le considère plutôt comme étant « bien ». Le « bon », en rapport avec le gout, est relatif, cela dépendra ainsi de mon expérience dégustatrice personnelle. Mais dans la majorité des cas, j’apprécie toujours au premier essai, les plats étrangers.

Mon secret repose sur : la Poétique de la Relation, une approche globalisante des singularités culinaires.
 

Notes et référence

[1] Le nom réel a été changé.
 

[2]  Du maïs frais préparé sous forme de foufou qu’on mange avec du piment frais écrasé.
 

[3] En effet, nous avons été invité à partager nos connaissances et expérience avec les employés d’une organisation internationale d’Afrique de l’Ouest. Ces derniers sont très mobiles dans le cadre de leur travail et la capacité spontanée à consommer des repas différents est parfois sollicitée de façon impromptue. Il s’agit d’une compétence interculturelle et un facteur clé de la diplomatie culturelle, du dialogue des peuples. Le support de présentation est disponible ici : https://www.slideshare.net/christianovic/how-to-eat-any-food-in-the-world-with-appetite-afropolitan-gastronomy-arts
 

[4] pensez-vous qu’il existe un « goût universel »? Une recette dont la valeur et l’appréciation positive serait partagée par tous ?


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