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Publié le 26 mai 2019 Mis à jour le 26 mai 2019

La langue affecte-t-elle nos émotions ?

Quand langue, culture et émotions sont étroitement liés...

Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle, disait :« La musique est la langue des émotions », mais pourquoi est-ce si difficile pour nous d’exprimer nos émotions par de simples mots, dans une langue, qu’elle soit maternelle ou étrangère ?

Notre fort intérieur, notre ressenti personnel, nos plus profonds sentiments ne pourraient-ils pas être traduits par des mots ? Certaines cultures et certaines langues seraient-elles plus malléables et flexibles dans l’épanchement de ces émotions, linguistiquement parlant ? Découvrez avec nous les tréfonds de notre subconscient affectif émotionnel linguistique !

Quand « Les mots manquent aux émotions »

Victor Hugo, artiste, écrivain et poète français du XIXe siècle, parle en connaissance de cause. Lui, le maître du romantisme absolu, avoue même ne plus trouver les mots quand les émotions se bousculent et il devient donc impossible de les retranscrire et de les coucher sur le papier.

Prenons un exemple simple, le verbe « aimer », qui traduit une émotion affective positive.

En français, on dira aussi bien « j’aime le chocolat » que « j’aime mon mari ». Lexicalement, il n’y a pas de différence, le même verbe est utilisé, pourtant cela s’entend que je ne peux pas aimer de la même façon, avec la même intensité, mon mari que le chocolat ! Cette nuance de vocabulaire peut toutefois se voir en anglais, puisqu’on traduira ces mêmes sentiments par : « I like chocolate » et « I love my husband ». Like et Love, bien qu’ayant la même signification que le français « aimer », exprimeront donc davantage cette nuance. On retrouve le même phénomène en allemand : « Ich mag Shokolade » et « Ich liebe meinen Mann »avec « mögen » et « lieben », mais aussi en espagnol : « me gusta el chocolate » et « amo a mi esposo ». En fait, la langue espagnole est encore plus nuancée vu qu’elle utilise « gustar », « querer » et « amar ». Ma connaissance limitée des autres langues ne me permet pas d’aller hélas au-delà de cette rapide analyse, mais n’hésitez pas à la compléter en m'évrivant !

Mais alors pourquoi ? Les mots manqueraient-ils vraiment aux émotions ? Comment la langue française, riche et romantique par excellence, ne peut-elle pas exprimer d’une façon plus nuancée un sentiment comme celui-ci ?

Une question de culture

En anglais, le verbe « to love » est employé beaucoup plus facilement et rapidement qu’en français. En japonais, le sentiment de la colère n’est ni montré, ni exprimé clairement. Mais alors, tout cela ne serait qu’une question de culture ? Notre langue pourrait-elle affecter nos émotions, ou du moins, la manière de les exprimer verbalement ? Possible.

Prenons un autre exemple, proposé par deux scientifiques psychologues américains, Stephen Chen et Qing Zhou, concernant la langue finnoise. Si celle-ci est bien la langue maternelle des Finlandais, ceux-ci parlent également, en grande majorité, l’anglais. Or, comme exprimer des émotions en finnois n’est pas commun, les Finlandais auront recours à l’anglais pour faire comprendre leurs ressentis. Un enfant Finlandais habitué à entendre ses parents parler en finnois comprendra alors immédiatement que le passage à l’anglais sera le moment de transfert de sentiments et d’émotions.

En ce sens, on peut dire que les personnes bilingues ou en situation de multilinguisme auront tendance à jongler entre les langues au moment d’exprimer des émotions, la leur ne leur permettant pas toujours de le faire, que ce soit du point de vue linguistique ou socioculturel.

En effet, on peut estimer que la culture dans laquelle nous avons chacun été éduqué aura un effet direct sur l’expression de nos émotions, qui plus est pour ceux en contexte de bilinguisme ou de relocalisation géographique et culturelle. L’environnement influe donc bien sur notre expression verbale par le biais de notre culture sociale et linguistique.

À ce sujet, il convient de mentionner la récente publication (2018) de la Dre Pia Resnik, de l’Université de Vienne (Autriche), spécialiste en psycholinguistique, qui a justement écrit un ouvrage intitulé «Multilinguals' Verbalisation and Perception of Emotions». Cet essai traite des émotions dans le contexte du multilinguisme et la Dre Resnik nous informe que « La langue fait partie de la société, c'est un élément sociétal et ils ne peuvent être dissociés (…). Parler de ses sentiments dans une langue autre que sa langue première est exigeant dans le sens où il faut extrêmement bien maîtriser l'autre langue pour pouvoir le faire sans être mal compris. »

En conclusion, nous pouvons observer que la langue affecte non seulement notre façon de communiquer, mais également celle dont nous pensons, sans oublier la façon dont nous ressentons les émotions. Les personnes bilingues ou en contexte international ne sauront que trop bien confirmer cette observation. Française vivant au Canada depuis plus de dix ans maintenant, il m’arrive bien souvent de m’étonner moi-même à chercher des mots en français pour exprimer des émotions alors qu’en anglais, celles-ci sont en effet bien plus simples à dire !

Nous terminerons sur les mots de Bernard Werber (écrivain français né en 1961) : « Une langue contient non seulement une forme d'éducation, de culture, mais aussi des éléments constitutifs d'une société : gestion des émotions, code de politesse. » Notre langue nous lie au monde, mais le monde nous lie également à notre langue !

Sources 

 

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