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Publié le 27 octobre 2019 Mis à jour le 27 octobre 2019

Comment moderniser la médecine « traditionnelle » africaine ?

Les clés pour le développement de la médecine "traditionnelle" en Afrique

Bien que l'usage soit déjà popularisé, nous sommes toujours réticents à l'idée d'employer le qualificatif "traditionnel" pour désigner la médecine africaine par opposition à la médecine occidentale qualifiée de "conventionnelle". Pourquoi faut-il employer des qualificatifs aussi manichéens qui désignent des systèmes de santé appartenant à des cultures différentes ?

En considérant, la médecine africaine de « traditionnelle », elle est implicitement placée dans un rapport hiérarchique vis à vis de celle occidentale encore appelée médecine « moderne[1] ». Je me suis donc appesanti sur les facteurs justifiant ce positionnement dichotomique entre la médecine "traditionnelle" africaine et la médecine "moderne" européenne. Nous proposons donc ici 5 composantes clés vers la modernisation de la médecine africaine.

1- Développer davantage de politiques reconnaissant la place de la médecine traditionnelle.

S'il est vrai que l'argent est le nerf de la guerre, alors le politique l'est davantage car c'est l'instance de décision qui entraîne les actions. Or, les pays africains, pour la plupart (25 sur 191 états membres de l'OMS) n'ont pas de politique qui fournit une « base solide pour définir le rôle de la médecine traditionnelle dans le cadre d'un système national de santé, en s'assurant que tous les mécanismes réglementaires et juridiques nécessaires soient créés pour encourager et maintenir une bonne pratique, que l'accès soit équitable et que l'authenticité, l'innocuité et l'efficacité des thérapies soient garanties ».

Au Sénégal comme au Cameroun et partout en Afrique, des initiatives émergent sporadiquement pour la promotion et l'institutionnalisation de ce corps de métier. La volonté politique est donc la base car, sans elle, le reste suivra difficilement.

2- Développer la scientificité de la médecine traditionnelle africaine.

Notre conception de la science et de l'épistémologie a été biaisée à la base et cela se vérifie dans la médecine traditionnelle. Lors d'une discussion avec le Dr. Pierre Célestin Mboua, enseignant de psychologie à l'Université de Dschang (Cameroun), ce dernier expliquait que la représentation de la science dans les mentalités africaines était "erronée". Certains africains préférent la pratique à la théorie, car ils pensent toujours que la "théorisation" est un champ qui ne nous concerne point. Que cela devrait davantage préoccuper la société occidentale. Il n'est pas rare de voir des enseignants recommander à leur élèves:

"Il ne faut pas te casser la tête pour comprendre les formules là, ce sont les problèmes du blanc, tout ce que tu dois faire c'est de les appliquer et cela me va"

       

Cela est visible aussi dans la médecine traditionnelle où seuls quelques initiés maitrisent la science et l'art nécessaires pour la préparation des décoctions thérapeutiques. Mais refusent obstinément d'en livrer le secret ou la recette. En Afrique, les savoirs médicinaux se transmettent de manière générationnelle et par l'oralité de père en fils. C'est d'ailleurs pourquoi Hampaté Bâ comparait un vieillard qui mourait à une bibliothèque qui brûle. Et cette assertion demeure fatalement toujours d'actualité.

Pourquoi fatalement ? Parce que l'Afrique a traversé l'ère du repli identitaire ou communautaire avec l’intensification des flux de la mondialisation. Nous vivons une ère dite mondialisée caractérisée par un intérêt accrue pour l'économie des savoirs et de la connaissance. Aujourd'hui ce ne sont plus armes qui gouvernent mais les idées. Or l'Afrique, en termes de production scientifique, est à la traîne.

Concernant les compositions des médicaments traditionnels, certains « tradipraticiens » refusent parfois à les transmettre par crainte de perdre le monopole "commercial". Oui! Contrairement à leurs prédécesseurs pour qui la santé était avant tout un "ART", les médecins traditionnels contemporains la considère davantage comme un "MARCHÉ" où ils marchandent leur produit aux populations. À défaut de pouvoir imposer des brevets, ils se claquemurent dans un silence hermétique mais éloquent !

La plupart des consommateurs de produits de la pharmacopée traditionnelle ne maîtrisent que les fonctions de ces médicaments et en ignorent complètement les soubassements. Or dans une démarche épistémologique, il est toujours important de comprendre les fondations, le fonctionnement et les fonctions des phénomènes. Or ces éléments sont jalousement conservés par les Anciens qui ne les enseignent que selon leur bon vouloir. Certains cependant se démarquent : c'est le cas pour le maître peul Dadi Diallo qui initiera une française et conduira à la création de l'Hopital Traditionnel de Keur Massar, à 25 Km de Dakar. Développer la scientificité demeure un défi.

3- Etablir une méthodologie d'évaluation uniforme des produits de la médecine traditionnelle. 

L’efficacité clinique des médicaments à base de plantes a été démontrée de façon probante et est maintenant reconnue dans le monde entier. C’est le cas avec l’Artemisia annua qui permet de traiter le paludisme ou le  Roi des herbes qui  intervient dans la composition de plusieurs coctions médicinales. Mais les usagers savent-ils seulement la dose exacte à employer ? En effet s'il est vrai qu'aucune plante n'a qu'une seule vertu thérapeutique, il est aussi évident qu'un médicament peut devenir un poison en fonction des conditions de préparation et de la posologie. On débouche donc régulièrement sur des cas de complications : intoxication, empoisonnement... qui peuvent aboutir à la mort. D'où le problème de la qualité, de l'innocuité et de l'efficacité de ces produits.

Et partant la nécessité d'une mise en place de systèmes nationaux de surveillance et d'évaluation car les pratiques de médecine traditionnelle en Afrique sont fortement rattachée aux cultures et systèmes de croyance différents. Il faut donc qu'il y ait également le développement de normes, méthodes, nationales ou internationales, pour les évaluer. Cette difficulté à évaluer l'efficacité et la qualité les médicaments traditionnels rend difficile l'identification des thérapies les plus sûres appelées à être promues.

Ce déficit de norme d'évaluation est par ailleurs lié à:

« L’oralité des enseignements prodigués par les anciens, marqués en outre par un caractère ésotérique particulier et constituant un obstacle important à la diffusion des connaissances, à leur harmonisation, à leur confrontation et donc à leur perfectionnement. C'est la raison pour laquelle on se trouve en présence non pas d'une, mais de plusieurs pharmacopées africaines.[2]»

4- Accroitre l’éducation et formation au rôle de la médecine traditionnelle. 

À ce niveau, il faut s'assurer que les connaissances, les qualifications et la formation des prestataires soient adéquates. E

n effet, l'on retrouve beaucoup trop d'imposteurs dans ce corps de métier. Ils décrédibilisent et détruisent les efforts réalisés par les tradipraticiens professionnels. En effet, il suffit qu'un imposteur compose un mauvaise médication pour que cela affecte la vision que l'on a de cette discipline. Les règlementations au niveau des pays africains doivent donc être strictes et bien définies et l'on devrait prévoir des sanctions pénales pour les potentiels usurpateurs.

S'agissant de la formation, il faut amener les tradipraticiens et les allopathes (médecine occidentale) à comprendre la nécessité d'une coopération et collaboration dans la prise en charge des patients. Il faudrait aussi intensifier la recherche-développement sur les pratiques de la médecine traditionnelle, comme c'est d'ailleurs le cas avec l'ONG Prometra.

4- Des questions intellectuelles, éthiques et économiques 

L’être humain a toujours été enclin à fournir le moindre effort ou à dépenser peu pour avoir un service. Au Cameroun, on dit souvent que « le moins cher est cher ». L’un des facteurs de réussite de la médecine traditionnelle est le coût qualifié d’abordable. Mais on ignore que la santé c’est la vie et par conséquent n’a pas de prix.

Les statistiques de l’OMS démontrent de manière écrasante que ce sont les pays les plus pauvres du monde qui ont le plus besoin de traitements peu onéreux et efficaces pour les maladies transmissibles. Plus de 50% des décès d’enfants dans les pays en voie de développement sont dus à tout juste cinq maladies infectieuses. De même, 99% des deux millions de décès causés par la tuberculose chaque année ont lieu dans les pays en voie de développement et 90% des 30 millions de cas actuels de VIH/SIDA se trouvent en Afrique subsaharienne.

Vous avez peut-être déjà été témoin de la perte d’un être cher par suite des complications de la prise de médicaments traditionnels. S'il est donc vrai que l'accès à la médecine traditionnelle doit être accru, il faudrait penser à la protection des matières premières. D'une part, la protection des ressources naturelles qui tendent à s'épuiser avec la déforestation en ville et d'autre par la protection intellectuelle et la question des droits de brevet.

 

Voilà ainsi présentés, quelques-uns des défis qui, d'après moi pourraient permettre de moderniser la médécine africaine. Pour prétendre au caractère de science, la médecine africaine doit être davantage théorisée, les ingrédients actifs des plantes qui sont responsable de la guérison doivent être clairement identifiés et étudiés pour en faciliter la reproductibilité.

Au delà des craintes, la reproductibilité des savoirs africains ne retirera rien à son originalité mais c'est un prérequis pour rendre la médecine traditionnelle africaine, universelle et "moderne".

Notes et références

[1] Et partant, on pourrait parler de néo-colonisation linguistique. En effet, le mot occupe une très grande place dans la construction de l'imaginaire et de l'identité d'un individu. Si nous acceptons toujours le paradigme statique de "traditionnel", il y'a de faible chance que nous puissions évoluer car c'est la pensée qui conditionne l'action, l'agir. URL : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/031051.pdf
 

[2] Colloque du CAMES sur la Pharmacopée et la Médecine Africaine Traditionnelle, Lomé, nov 1974, p. 2


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