Detroit, MotorTown, serait-elle devenu Agri Town ? C’est le sentiment que l’on peut avoir lorsque l’on évoque la capitale de l’automobile américaine au XX siècle. Déclarée en faillite en 2011, la ville aux plus de 1400 fermes urbaines semble être devenue un modèle de transition et de résilience pour les villes, qu’elles soient grandes ou modestes.
Dans Chronique d’architecture, Christophe Leray, dans un billet du 3 juillet 2018, relativise l’importance et l’efficience de ce modèle de production. Il lie la renaissance de la ville à d’autres facteurs et déclare en conclusion : «les efforts de végétalisation peuvent et doivent être poursuivis mais, pour y parvenir, il ne faut pas promettre la lune.» Entre enthousiasme et scepticisme, quels sont les enjeux de l’agriculture urbaine et que dit-elle du monde de demain ?
Qu’est-ce que l’agriculture urbaine ?
La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) propose une première définition de l’agriculture urbaine et périurbaine. Elle «consiste à cultiver des plantes et à élever des animaux à l’intérieur et aux alentours des villes.» Ce n’est pas pour autant un phénomène nouveau dans l’histoire urbaine. Le maraîchage était très présent autour des villes. Il irriguait de produits frais les populations citadines. Avec l'étalement urbain, les innovations successives en matière de transport comme le ferroviaire, ou encore la mondialisation des échanges, ces espaces ont peu à peu disparu de nos horizons urbains.
Pourquoi une telle renaissance ?
Reprendre l’exemple de Détroit et le prolonger à Grande-Synthe en France offre une partie de la réponse. L’agriculture urbaine et périurbaine permet de répondre aux difficultés sociales de la population. À Detroit, à partir de 2011, c’est d’abord une culture de subsistance : une agriculture vivrière tournée vers l'autoconsommation. Pour Grande-Synthe, l’objectif est d’augmenter le pouvoir d’achat des administrés selon l’article de Jessica Gourdon pour Le Monde : Grande-Synthe, victime de la crise industrielle, veut devenir une ferme urbaine et se place dans une stratégie à long terme.
Favoriser la résilience : “l’école comme oasis de fraîcheur”
L’article de géoconfluence intitulé «Agriculture urbaine», nous aide dans notre effort de définition. Ce mode de production participe «à la sécurité alimentaire des ménages, fournir des aliments frais, créer des emplois, recycler les déchets urbains, valoriser les espaces vides et à l'abandon, contribuer à la formation de ceintures vertes, et renforcer la résilience des villes face au changement climatique». C’est-à-dire mettre en place un certain nombre de dispositifs favorisant des compétences d’adaptation à divers futurs possibles, qu’ils soient climatiques ou sociaux. La résilience urbaine favorise l’émergence des solutions afin de mieux préparer les acteurs de la ville à la transition qui vient.
L’agriculture urbaine, par son action de végétalisation des villes, favorise la rétention des eaux pluviales, capte les gaz à effet de serre. Julien Duffé, journaliste au Parisien, dans un article du 22 juillet 2018, nous éclaire un peu plus : Paris veut “débitumer” ses cours d’école. L’objectif de la municipalité, dans le cadre de la stratégie de résilience est de limiter les îlots de chaleur urbaine. Le goudron est un matériau à forte inertie. Il garde la chaleur et la diffuse la nuit. C’est un peu comme mettre le chauffage la nuit par temps de canicule. Les Écoles ne seront plus simplement école, mais jardin de fraîcheur devenant ainsi un espace partagé et peut-être, demain, des tiers lieux au service de la formation de tous.
Du low-tech et de la high-tech
Nous pouvons imaginer les bénéfices de ces jardins scolaires pour l’apprentissage des élèves qui vont utiliser plus d’huile de coude que de capteurs connectés. En poussant le bouchon un peu loin, je dirais une agriculture lowtech… peut-être frugale. A côté de cela, des entreprises cherchent et trouvent des modèles économiques comme ces conteneurs connectés pour faire pousser des fraises à l’image de la start-up Agricool. Dans le XV arrondissement de Paris, un projet de ferme urbaine de 14 000 m² est en cours de réalisation.
On parle aujourd’hui d’exploitations agricoles verticales. Imaginez un gratte-ciel consacré uniquement à l’agriculture. Cette ferme urbaine existe à Newark, dans la banlieue de New-York. Elle a une surface de 6,500 mètres carrés sur 12 étages. Toutefois, il semble aujourd’hui que ce choix technologique soit encore à la recherche d’un modèle économique. Les métiers agricoles ne sont peut-être pas tous inventés.
L’agriculture urbaine peut-elle tout ?
Un ami qui me veut du bien m’a justement fait remarqué un élément lors de ma proposition d’article. Je le résumerais sous le nom de théorème de Thot : “On a entre 1000 et 5000 habitants au km2 en ville (3 700 pour Paris) ; sachant que ça prend environ 75 m2 pour nourrir une personne, je vois mal comment caser entre 200 et 400,000 m2 de potager par km2 (1,000,000)” en plus de l'habitation et des routes. Il a raison l’agriculture urbaine ne peut pas tout.
Le FAO nous éclaire cependant sur le sujet : “Les jardins potagers peuvent être jusqu’à 15 fois plus productifs que les exploitations des zones rurales (…)Une superficie d’un mètre carré peut fournir 20 kg de nourriture par an.” mais toutes les cultures ne sont pas adaptées à la ville surtout quand elles ont besoin d’une emprise foncière importante. Il est extrêmement difficile de cultiver des céréales. C’est un peu la même problématique pour l’élevage.
L’objectif ne serait pas alors de fonder une stratégie de l’autosuffisance mais plutôt sur les synergies. En quoi et pour quel type de produit, l’agriculture urbaine représente une plus-value ? Qu’est-ce qui doit guider les choix : l’emprise foncière, la durée de conservation, le maintien des qualités nutritives ? Là encore, la recherche et la formation des acteurs semblent être nécessaires pour affiner le modèle.
Agriculture urbaine et la sylviculture urbaine, on en parle ?
Lors de mes recherches sur le sujet, j’ai découvert les forêts urbaines participatives. Je ne vais pas faire ici l’éloge de la sérendipité mais le chemin des liens hypertextes ont permis que je découvre un projet à l’intersection entre culture numérique, open source, bien-être, économie sociale et solidaire et participation citoyenne : Mini Big Forest.
Pour en revenir aux origines, ce projet c’est la rencontre de la méthode d’un botaniste japonais Akira Miyawaki et du toyotisme développé par l’ingénieur automobile Shubhendu Sharma. Cet éco-entrepreneur développe ce concept dans une TED conférence. Il a appliqué un des éléments de la méthode de travail de l’entreprise japonaise : le Heijunka.
Ce dispositif permet la fabrication de plusieurs modèles de véhicule sur une même ligne de production. Remplacer la ligne de production en libérant 6 places de parking, les voitures par différentes essences d’arbre et imaginer planter 3 à 5 arbres au mètre carré soit 300 arbres. L’idée est simple : maximiser l’utilisation de l’espace par une forte densité de plantations. Cette mini forêt sera composée d’arbustes, d’arbres de taille moyenne et au centre de grands arbres. Les essences plantées sont indigènes afin de favoriser l’autonomie de la forêt à 3 ans. Selon Shubhendu Sharma, dans ces espaces, il y a 30 fois plus de carbone stocké, une croissance 10 fois plus rapide des plantations, et on y trouverait 100 fois plus de biodiversité qu’une forêt traditionnelle.
La philosophie est open-source puisque la méthodologie est accessible à tous. Au-delà du souci de la préservation et le développement de la biodiversité, c’est le souci de bien-être et de création de lien social qui est mis en avant. La plantation se fait avec et pour les autres. Il s’agit d’engager les acteurs de la ville dans une démarche éco-citoyenne.
C’est, d’ailleurs, l’un des principaux intérêts de l’agriculture urbaine : faire société. Il ne s’agit pas simplement de production, de rendement. C’est un projet global pour favoriser la résilience, pour créer du lien et pour participer à la transition des territoires pour être une des réponses au changement climatique qui vient.
Sources :
Paris veut «débitumer» ses cours d’école, Julien Duffé, le Parisien, 22 juillet 2018
http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-veut-debitumer-ses-cours-d-ecole-22-07-2018-7829805.php
Grande-Synthe, victime de la crise industrielle, veut devenir une ferme urbaine, Jessica Gourdon, Le Monde, 4 octobre 2018.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/10/04/grande-synthe-victime-de-la-crise-industrielle-veut-devenir-une-ferme-urbaine_5364317_3244.html
Une ferme urbaine de 14 000 m2 va ouvrir à Paris !, Lauréna Valette, Maison & Travaux, 26 mars 2019
https://monjardinmamaison.maison-travaux.fr/mon-jardin-ma-maison/actualites-jardin/ferme-urbaine-de-14-000-m2-va-ouvrir-a-paris-238545.html
Qu’est ce que l’agriculture urbaine, la rédaction de Futura,
https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/eco-consommation-quest-ce-agriculture-urbaine-4797/
L’agriculture urbaine pourrait nourrir 10 % des populations des villes, Julien Fosse, Reporterre, 20 octobre 2018,
https://reporterre.net/L-agriculture-urbaine-pourrait-nourrir-10-des-populations-des-villes
Agriculture urbaine, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
http://www.fao.org/urban-agriculture/fr/
Agriculture urbaine : ce dont elle est capable (et ce qu'elle ne pourra jamais faire), Stanislas Kraland, Huffpost, 22 février 2014
https://www.huffingtonpost.fr/2014/02/22/agriculture-urbaine_n_4831579
Detroit : ruinée, la ville de la techno revit grâce à l’agriculture urbaine, Paul Brinio, Trax, 7 juillet 2017
http://fr.traxmag.com/article/39865-detroit-ruinee-la-ville-de-la-techno-revit-grace-a-l-agriculture-urbaine
Pour en finir avec l’agriculture urbaine à Paris (et ailleurs), Christophe Leray, Chronique d’architecture, 3 juillet 2018
https://chroniques-architecture.com/agriculture-urbaine-exemple-detroit/
Mini Big Forest
https://www.minibigforest.com/
Déforestation : 40 millions d'arbres replantés avec la "méthode Miyawaki", Raphaëlle Dormieu, Positivr, 28 juin 2018
https://positivr.fr/methode-akira-miyawaki-reforestation-arbres/
Agriculture Urbaine, glossaire, Geoconfluences
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/agriculture-urbaine
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