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Publié le 28 avril 2019 Mis à jour le 28 avril 2019

Plus loin - La créativité - "C’est la nuit que j’écrirai des soleils"

La créativité se situe-t-elle dans la souffrance ou la détresse, hors des sentiers battus de l'école ?

J’écris des articles presque toutes les semaines dans Thot Cursus pour m'immerger plus profondément dans des savoirs que j’extrais, compile et vous présente sous des points de vue qui sortent des sentiers habituels.

Ce travail est aussi une source d’inspiration pour aller toujours plus loin dans la connaissance. Ces nouvelles connaissances je les re-compile dans ma tête et j’observe le monde, mes collaborateurs, mes enfants... mes lectures et les articles de mes confrères. Ceux-ci venant toujours étoffer de plus en plus précisement mes champs d’expertises. J’aimerais de ce fait vous faire participer à cette quête par une nouvelle série d’articles disséminés à travers l’année 2019 identifiés par le titre : “PLUS LOIN”.


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Dans le monde éducatif, la normalisation semble s’opposer à la créativité. Qui est créatif dans notre monde ? Quel en est le mécanisme ? Que se passe-t-il à l’école ? Peut-on y être réellement créatifs ? Quelles solutions ?

Aujourd’hui j’aimerai revenir sur un article précédent...

...daté du 15 avril 2019 : “Plus loin - Laisser émerger la difficulté pour enrichir les savoirs” (qui venait déjà à la suite de ...daté du 15 octobre 2018 : “S'aligner avec la musique pour apprendre”).

Cet article mettait en lumière le fait que notre monde occidental tend vers le beau, vers le lisse, vers le tranquille. Etait-ce une bonne chose que celle de la monoculture du bonheur ? Quel effet sur les vies ? Sur les cerveaux ?  Quand on refuse à son enfant ou son élève le droit à être dans une quête exploratrice, en cherchant à ce que notre monde ou le sien demeure préservé de la laideur, on le limite fondamentalement.

La suite de cet article est celle-ci : si on part de la douleur, on active des mécanismes de créativité. Pourquoi ? Comment ? Comment rendre à l’école sa puissance créative ?

Les orphelins plus créatifs par leur manque de modèle familial

“On a constaté que parmis les créatifs, il y avait un nombre anormalement élevé d’orphelins et on s’est demandé quel rapport peut-il y avoir entre l’orphelinage et la créativité sous toutes ses formes ? Et, c’est parce que probablement il n’y a plus...une identité n’est plus contrainte. C’est à dire que les orphelins comme disait Jean-Paul Sartre : N’ayant pas eu de père j’avais toutes les libertés. Donc, c’est une nouvelle manière de poser le problème psychologique de qu’est-ce que l’on va faire de soi après un Trauma. Ou bien on va être mort, ce qui arrive, ou bien on se remet à vivre et qu’est ce qui nous permet de se remettre à vivre ? La littérature, l’écriture est un moyen important pour ce retour à la vie.

“C’est la nuit que j’écrirai des soleils” : C’est dans le noir que l’on espère la lumière, quand on est dans la lumière on n’espère plus, elle est là. C’est à dire qu’une fois que l’on est gavé, on n’a plus rien à gagner. Mais quand on manque, ou bien on reste dans le manque, ou on va chercher quelque chose pour remplir ce manque...

C’est dans la souffrance qu‘on est contraint à la création, mais cela ne veut pas dire que la création est contrainte à la souffrance. C’est dans la souffrance que l’on a un choix catégorique, ou bien on reste mort, ou bien on se remet à vivre. Quand on est vivant, on peut aimer une littérature, mais cette littérature est beaucoup moins pimentée, elle est beaucoup plus légère...Et, regardez, imaginez que vous être capable de faire disparaître le malheur de la condition humaine, vous supprimez le cinéma, vous supprimez les romans, vous supprimez l’opéra, vous supprimez la plupart des oeuvres d’art… Les pages de bonheur sont des pages blanches”.

Source : "Parmi les créatifs, il y a un nombre anormalement élevé d'orphelins"
Extrait de l’interview de Boris Cyrulnik sur France Inter - 12 avril 2019 -
https://www.youtube.com/watch?v=HgSBoqzwpnI

La souffrance comme source d’inspiration de la créativité, Boris Cyrulnik nous le dit, la souffrance crée un vivier de créatifs plus important qu’ailleurs sans que cela ne soit une obligation à vivre pour être créatif, mais cela forge des caractères qui seront plus forts, qui choisissent d’être plus forts, qui choisissent d’être vivants par la créativité et tout ceci va s’ancrer dans la personnalité de ces créatifs. Mais, il n’y a pas que les orphelins qui souffrent et qui sont hors les cadres. On trouve dans cette catégorie tous les handicaps scolaires comme celui des dyslexiques par exemple.

La dyslexie source de souffrance

“C'est un trouble durable d'acquisition du langage écrit qui touche 4 à 6 % des enfants scolarisés, soit un à deux élèves par classe. Elle est souvent associée à d'autres troubles ''dys'' (dysphasie : trouble du langage oral, dyspraxie : trouble de la coordination). On estime que quatre garçons sont touchés par la dyslexie, contre une fille. On attend beaucoup des recherches génétiques.

Comment se manifeste-t-elle ?

D'abord par des problèmes de lecture et d'orthographe. Comme toute la scolarité en découle, l'enfant peut manifester du rejet pour le travail scolaire, une grosse perte de confiance. On accuse souvent l'enfant dyslexique d'être fainéant, de le faire exprès, de ne pas travailler, alors que, bien souvent, il a fourni deux fois plus de travail.

Comment la détecter ?

Le diagnostic est long. Il faut d'abord éliminer tous les troubles psychologiques, psychiatriques, les maladies qui entravent le développement. Certains signes doivent alerter : le retard du langage oral en maternelle ou l'impossibilité à répéter des comptines, les difficultés de lecture, de dessin en CP. Les enseignants ne sont pas toujours formés, ils sont juste informés.

De quels outils dispose-t-on pour aider les dyslexiques ?

Dans le cadre scolaire, on peut mettre en place des compensations, proposer des logiciels informatiques d'aide. En dehors, l'idéal est de pouvoir travailler en orthophonie, psychomotricité et psychologie pour reconstituer l'image de soi. Seules les séances d'orthophonie sont prises en charge. Nous travaillons pour que ce trouble « invisible » soit reconnu et accompagné. La dyslexie, c'est beaucoup de souffrances : pour l'enfant qui peine à l'école, pour les parents qu'on culpabilise”.

Source : « La dyslexie : beaucoup de souffrance »
par Michèle Charnay, présidente de l'association Midi-Pyrénées de parents d'enfants dyslexiques
décembre 2010
https://www.ladepeche.fr/article/2010/12/08/965735-la-dyslexie-beaucoup-de-souffrance.html

 

La dyslexie est une souffrance réelle de non-intégration au rythme, à la réussite des apprentissages des autres camarades. C’est une source d’isolement, de complications, de culpabilisation, de difficultés qui semblent insurmontables. Il faut beaucoup de courage, d’accompagnements pour surmonter cette situation et il y a là aussi un choix possible : soit se laisser couler en tant qu’élève et devenir un cancre, soit décider d’embrasser cette différence et de trouver son chemin.

Celui-ci peut-être sera unique, il demandera beaucoup de passion et de réussite personnelle de la part de l’élève, beaucoup de tolérance et de générosité de la part de sa famille, de la part du corps professoral pour que cette réussite puisse forger un avenir lumineux à l’étudiant qui passera de l’obscurité à la lumière où il pourra “écrire des soleils” comme en a parlé précédement Boris Cyrulnik.

“À cette époque, la dyslexie était encore méconnue.

Les enseignants ignoraient qu’un dyslexique permutait, à son insu, les syllabes dans un mot ou les chiffres dans un nombre. Ils n’imaginaient pas une seconde, que les mots tordus que j’employais dans mes phrases étaient cohérents pour moi. Que mes yeux lisaient à l’endroit ce que mon cerveau écrivait à l’envers.

Je connus vexations et brimades, gifles et punitions. Je fus humilié devant mes camarades de classe, mortifié en famille. Ce fut une période de grande souffrance, je me croyais nul.  

Une blessure de plus aurait suffi à transformer mon désespoir en pathologie.

Heureusement, j’ai eu comme un sursaut. J’ai décidé de ne plus tenir compte du jugement des autres, de ne plus essayer d’apprendre selon leurs méthodes. J'ai décrété de ne découvrir que ce qui m’intéressait vraiment. Pas plus.

Les mots qui chantaient m’enchantaient. J’ai écris des poèmes phonétiquement libres. Je pouvais jouer avec des mots amis, comme il me plaisait, écrire des histoires que personne ne corrigeait...

C’est dans cet esprit que j’ai traîné mon cartable et mes blouses réglementaires de pensionnats publics en pensionnats privés, censés me « dresser » .

À 15 ans, un « spécialiste » m’a orienté vers un lycée professionnel. On allait faire de moi un mécanicien agricole…Bien sûr, je n’ai pas obtenu le CAP. J’étais trop gauche, trop maladroit, nullement intéressé par le machinisme et le cambouis… Aujourd’hui, toujours dyslexique, j’enseigne dans plusieurs écoles supérieures, conseille des magazines grand public, forme des journalistes et des communicants. Je suis même reconnu comme un expert en communication écrite !”

Source : De la dyslexie à la créativité
par Sylvianne et Pascal  PERRAT
http://www.eveilleur-didees.com/montout_Bbis.htm

Il s'agit d'un témoignage d’espoir pour tous ceux qui naviguent dans le noir, loin des soleils. Ici, le témoignage, d’un passionné qui s’est accroché au delà de ses blocages, de ses handicaps à ce qui fonctionnait bien chez lui, à ce qui le nourrissait, lui donnait la satisfaction de la réussite, à ce qui est devenu sa passion et a nourri ses qualités de futur professionnel brillant. Aider l’enfant à trouver sa passion et accompagner celle-ci vers la réussite est la clef pour tous et surtout la planche de salut pour tous ceux qui sont en échec.

Des réalisateurs formatés à l’école comme de bons techniciens

“Virginie : La Suisse a un souci avec ses réalisateurs. Ils arrivent à l'école comme créatifs et ils en sortent formatés comme des techniciens. Pendant des années, j’ai été l’épouse d’un éditeur de DVD spécialisé dans le cinéma Suisse. On a eu des stagiaires d’écoles de cinéma qui sont venus faire des stages ou gagner un peu d’argent chez nous. La plupart étaient au début bouillonnants d’idées, tout feux tout flammes et au fur et à mesure de leurs études de cinéma, on les a vu s’éteindre pour devenir sages et rentrer dans le rang,

De créatifs ils sont devenus des techniciens. On avait édité pas mal d’années auparavant des DVD d’écoles de cinéma dans lesquels, selon l’école, la qualité était loin d’être au rendez-vous. Nous nous  sommes toujours demandés pourquoi le cinéma suisse avait d’excellents réalisateurs de documentaires et très très peu de bons réalisateurs de fiction. A priori, cela viendrait de la façon d'enseigner à l'école qui fait d'eux des hommes orchestres, du fait pratique des petits budgets alloués au cinéma, au détriment de la qualité artistique de leur production.

Ceux qui s'en sortent sont ceux qui délèguent à meilleurs qu'eux et ceux qui gardent intacte leur créativité. Les autres deviennent à terme d'excellents réalisateurs de documentaires et c’est tout. Pourquoi l'école re-formate-t-elle au lieu de soutenir ses créatifs ? Est-ce un phénomène unique en Suisse ?”

Denys : ...des techniciens et des copieurs, on en trouve. De véritables réalisateurs sont plus rares, mais je ne suis pas sur que ce soit unique à la Suisse. La formation certifiante certifie nécessairement une conformité. Certifier l'originalité et la créativité future devient paradoxal…”

Source : Discussion de travail - Thot Cursus
par Virginie Guignard Legros et Denys Lamontagne - avril 2019

Il y a un souci avec les écoles de formation professionnelle qui touchent à des activités artistiques ou créatives. Tous ces étudiants qui viennent avec leur passions devraient être respectés dans leur unicité, dans leur brillance. C’est clair que c’est plus simple pour les notations, les évaluations de formater les enseignements et les résultats. Mais les écoles de cinéma devraient être des écoles d’art dans le sens de beaux arts et non pas des écoles d’ingénieurs telles qu’elles le sont devenues aujourd’hui.

Hier, en France l’architecture faisait partie des Beaux Arts, on y formait des artistes. Aujourd’hui, de la même façon, les architectes sont formés dans les écoles d’ingénieurs. Est-ce logique ? L’ingénierie dans tous les cas est presque toujours sous la responsabilité des ingénieurs. Y-a-t-on réellement gagné quelque chose ? Rien n’en est moins sûr non plus. Quelles solutions pour sortir de cette ornière stérilisatrice de créativité ?

“Une étape pour le XXIe siècle : Prendre en compte l'imaginaire pour avoir une école créative.

- L'imaginaire des élèves : c'est la façon de reconnaître leur unicité, leur originalité, leur valeur, leur capacité de création ; et qu'en définitive ils sont des personnes et pas seulement des individus isolés les uns des autres dans un collectif classé en sous-ensembles : âge, sexe, origine sociale… L'élève comme personne garde ses caractéristiques individuelles, mais c'est dans son histoire personnelle, dès l'enfance, que s'est construit un stock d'images avec leurs arrangements en scénarios efficients par les peurs et les désirs qu'ils engendrent : c'est ce qui a façonné son imaginaire...; C'est, en effet, lui qui est à l'origine de sa créativité.

Nous avons bien besoin en France de développer cette dimension dans notre école pour l'utiliser dans notre pays et faire face à la mondialisation… Les programmes pourraient être plus ouverts, plus souples, constitués de grandes orientations et non une liste de savoirs...

- L'imaginaire des enseignants qu'on doit laisser s'épanouir dans des initiatives innovantes multiples ( voir le film " Dans les murs "…), dans des méthodes d'apprentissage multiples adaptées aussi bien à la personnalité de l'enseignant qui les pratique qu'aux élèves qu'il a en face de lui. Car c'est à travers son imaginaire que l'enseignant véhicule ses choix suffisamment investis pour intéresser les élèves et les amener à un apprentissage et non par des " bonnes pratiques " ou des " gestes professionnels " impersonnels. C'est son imaginaire qui le motive à devenir enseignant et à faire ses choix pédagogiques... L'évaluation qui enferme dans des catégories, sous-catégories et sous-sous-catégories... stérilise définitivement toute créativité des enseignants.

- L'imaginaire dans l'aide individualisée pour comprendre la source des difficultés des élèves… Sinon le risque est grand que l'enseignant se contente de répéter avec un élève en difficulté ce qu'il a dit et expliqué déjà à toute la classe : cela restera très probablement sans effet pour cet élève. On en resterait alors à de l'enseignement individuel et non à l'accompagnement personnel de l'élève ce qui demande une capacité créatrice de l'enseignant pour s'adapter à la singularité de l'élève qui est en face de lui… Dans tous ces cas c'est autoriser une parole de la personne de l'élève dans ce qu'elle a de plus unique mais souvent aussi de ce qui lui fait peur et le gêne dans son apprentissage alors qu'elle peut devenir créatrice de désir d'apprendre. Laisser cette parole s'exprimer c'est dédramatiser ce noyau unique de la personne et l'inviter à s'en servir pour développer sa créativité plutôt que pour nuire à ses études.

- Prendre en compte l'imaginaire dans l'orientation, c'est permettre aux filles et aux garçons d'accéder à des métiers qui feront la part à leurs rêves (produits par leur imaginaire) et à la réalité. La plupart des difficultés d'orientation viennent peu d'un manque d'information, mais le plus souvent d'une difficulté de l'élève à exprimer ce qu'il veut : quel est son rêve et comment adapter ce rêve à la réalité. Le plonger directement dans des documents sur des métiers, des expériences professionnelles c'est tarir son désir de créer son propre cheminement vers un rêve qu'il est nécessaire d'entendre au préalable pour qu'il puisse s'adapter à la réalité. "

Le déploiement des outils innovants mis en place par l'Onisep au printemps dernier : "Mon orientation en ligne" et le "Webclasseur", devenu maintenant un Passeport pour l'orientation" (Le café) peuvent être utile dans la mesure où ils sont interactifs et donnent une possibilité d'expression aux jeunes”.

Source : La créativité à l'école: comment l'introduire?
par Jacques Nimier - 2009
http://pedagopsy.eu/creativite_ecole.html

 

Depuis presque 10 ans, les idées sont posées, mais, y-a-t-il vraiment des actions faites dans ce sens ? Oui, certaines écoles comme celles Montessori prennent plus de places, mais de façon classique, l’école gère des masses d’étudiants par silos professionnels, bien formatés, cadré dans des disciplines. Est-ce encore viable ? Les jeunes changent à l’opposé des systèmes en place. Est-ce encore valable ? Les emplois de demains vont demander plus d’agilités professionnelles qu’hier, il va falloir casser ces même silos professionnels pour s’adapter aux nouveaux marchés de l’emploi.

 

Et, formatés pour formatés, les robots seront toujours moins coûteux que les salariés. C’est la créativité qui fera la différence.

Source image : Pixabay Geralt
 


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