Cette série d'interviews présente des personnalités selon le même angle de vue sur le thème de la Gestion de la formation en ligne et en particulier des MOOCs. Trois personnalités ont répondu aux questions de Viginie Guignard Legros : Cécile Dejoux, Rémi Bachelet et Marco Bertolini.
Pourquoi avoir choisi Marco Bertolini ?
Marco, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Toujours cordial, prêt à rendre service ou à faire des collaborations. Déjà, il est belge et moi je suis née à la frontière Belge. Il y a une fraternité chez les gens de là-bas, ceux du Pôle Nord de Dany BOON, une sorte de famille.
J’ai croisé Marco la première fois sur ITyPA, le fameux MOOC Connectiviste. C’est aussi un innovateur, qui teste des nouvelles choses et les met en place comme pour le MOOC Dys. Il fait partie de mon réseau de gens avec lesquels imaginer des projets et j’espère que l’on y arrivera avant la fin de la décennie.
1. Si tu devais résumer ton parcours dans l’univers des MOOCs, quelle phrase voudrais-tu laisser à la postérité ?
Je ne pense pas à la postérité. Mais j’aime bien l’idée d’être un “explorateur du digital”. Je crois que nous n’en sommes qu’au début et qu’il y a encore beaucoup de choses à découvrir et à inventer… Et que les MOOC en représentent une petite partie. Personnellement, je m’investis aussi beaucoup dans d’autres formes d’apprentissage, comme le blended learning, le microlearning, le “teach out” (une formation en ligne très courte suivie de débats intenses entre participants, lancée par l’Université du Michigan).
2. Quels MOOCs gères-tu ? En quoi consistent-t-ils ?
Je suis co-fondateur du “MOOC Dys”, un MOOC sur les troubles spécifiques de l’apprentissage. C’est un projet cofinancé par Erasmus+ jusqu’en septembre de cette année. C’est un MOOC participatif, qui s’adresse en particulier aux parents et aux enseignants confrontés aux troubles “dys” (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, etc.) chez leurs enfants et/ou leurs élèves. Il a été distribué simultanément en 6 langues, ce qui est une première mondiale, je crois. Le dispositif était tel que les participants des différentes langues pouvaient dialoguer entre eux avec un outil de traduction automatique.
Je suis très influencé par les connectivistes, les vrais inventeurs des MOOC comme Stephen Downes, Dave Cormier ou George Siemens. Le MOOC Dys est en grande partie construit par les participants eux-mêmes qui apportent le fruit de leur expérience, des réflexions, des ressources. Bien sûr, nos contenus ont été validés par des experts, mais je pense que le plus important dans ce MOOC est la dynamique par et pour les participants.
Pour l’instant, nous travaillons de nouveau sur un autre projet Erasmus+ : un MOOC sur les nouveaux moyens de publication (vidéo interactive, vidéo immersive 3D, livres numériques et livres imprimés augmentés, réalité virtuelle, réalité augmentée) dans la formation professionnelle. Ce projet rassemble aussi des partenaires de cinq pays et sera distribué en autant de langues.
J’aimerais qu’il soit aussi participatif mais nous n’en sommes qu’au tout début de la conception, il devrait être en ligne l’an prochain.
3. Peux-tu nous parler de ton parcours de formateur, de ta vocation, des étapes marquantes avant de te lancer dans tes MOOCs ?
J’ai donné ma première formation en 1989, je travaillais dans une association d’accueil pour jeunes en difficulté. J’ai formé mes collègues éducateurs à l’utilisation de l’informatique, notamment pour enregistrer les dossiers des jeunes.
J’ai beaucoup travaillé avec des demandeurs d’emploi en Belgique. J’ai formé des centaines de personnes à la recherche d’emploi, à la création d’entreprise dans des missions régionales, inspirées des missions locales françaises et de la pensée de Bertrand Schwartz. J’ai d’ailleurs rédigé mon mémoire de master en “sciences du travail” sur l’adaptation en Belgique du système français des GEIQ (Groupements d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification). Cela a laissé des traces dans ma façon d’aborder la formation.
J’ai participé au reclassement des travailleurs de la Sabena, la compagnie aérienne belge qui avait fait faillite. J’ai travaillé dans la formation des officiers pompiers ou des plongeurs de la Sécurité civile. J’ai créé ma propre entreprise de formation en 2008. Je vivais alors aux Pays-Bas, mais l’essentiel de mes clients étaient - et sont toujours - en France et en Belgique. Ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé à des formations de formateurs, de la formation d’enseignants à l’utilisation du numérique dans la classe, etc.
Aujourd’hui, je vis à Bruxelles et nous allons lancer une nouvelle entreprise qui propose du conseil en formation digitale multimodale et des outils pour la réaliser. Le Course Networking - l’entreprise qui a créé la plateforme que nous avons utilisée pour le MOOC - nous en a confié la distribution pour l’Europe.
4. Pourquoi un jour tu t’es lancé dans l’aventure ? Savais-tu vers quelle aventure tu t’avançais ? Qu’est-ce qu’il y avait comme idées, comme valeurs ou comme hasard peut-être qui t’ont mené à mettre en ligne tes cours et à être qui tu es aujourd’hui ?
J’ai senti très vite le potentiel de la formation hybride. J’ai commencé par proposer des ateliers “Apprendre à apprendre” en présentiel. Mais j’étais frustré car en une journée ce n’est pas possible de tout voir. Donc j’ai commencé par proposer du contenu additionnel sur une plateforme Moodle.
A la même époque, j’ai participé en tant que partenaire au MOOC ITyPA3 : une expérience extraordinaire avec des gens fabuleux (j’en profite pour faire un petit clin d’oeil à Simon Carolan qui était le coordinateur de ce projet).
Mes ateliers Apprendre à Apprendre attiraient de plus en plus d’adolescents qui présentaient des troubles de l’apprentissage. En entendant leur histoire et les obstacles qu’ils rencontraient, et après mon expérience avec Itypa, je me suis dit qu’un MOOC pourrait toucher beaucoup de monde. Mais il me fallait un financement. Le projet est donc resté en sommeil pendant plus de deux ans. C’est Bérenger Dupont de Logopsycom qui m’a proposé d’introduire un projet Erasmus+, ce que nous avons fait ensemble. Et le projet a été retenu immédiatement.
Mon expérience avec ITyPA3 et mes formations en ligne à destination des formateurs m’ont bien préparé à ce qui m’attendait avec le MOOC Dys : une quantité de travail impressionnante. Mais aussi, des retours exceptionnels de la part de nombreux participants.
5. Quelle est ta plus grande fierté dans le cadre de ton parcours ?
Le fait que les parents et les enseignants se soient parlés, qu’ils aient pu communiquer sans animosité sur leurs besoins, leurs manques et leurs souffrances respectifs. C’était à la fois mon pari principal et ma plus grande crainte.
Un ami avec qui je travaille régulièrement a trouvé le mot juste. Il m’a dit : “ton MOOC a été le médiateur pour ces personnes”. Je crois que c’est vrai. Le fait qu’ils aient dû travailler sur la même matière, sur les mêmes problématiques, leur a donné l’occasion de confronter leurs expériences et d’en parler de manière non-agressive, même si on ressentait souvent beaucoup d’émotions pendant ces échanges. Il y a eu beaucoup d’entraide, de respect mutuel et de courtoisie dans ce MOOC.
Les Ambassadeurs du MOOC Dys
6. Aujourd’hui tu as acquis une certaine reconnaissance dans le milieu des MOOCs. As-tu des anecdotes à partager avec nous à ce sujet ?
Je ne sais pas si je suis reconnu dans le milieu. Je suis toujours étonné quand des gens me disent “ah, mais je vous connais, je suis votre blog !”
En-dehors de cela, la seule reconnaissance que je perçois est celle des personnes que j’ai formées. Et c’est d’ailleurs la seule qui m’intéresse. Je fréquente très peu le milieu de la formation, des institutions académiques, etc. Je suis plutôt un franc-tireur...
7. Combien as-tu formé de gens en présentiel, et combien as-tu formé de personnes à distance ? Il y a certainement une grande différence. Quel sentiment te viens en tête quand tu y penses là, à l’instant ?
Je n’ai jamais fait le calcul. Plusieurs milliers en présentiel et plusieurs milliers à distance. Pour moi, il n’y a pas une si grande différence. Je suis toujours étonné quand les gens opposent la formation en présentiel à la formation à distance. Pour moi, il n’y a pas d’opposition, mais au contraire un continuum entre les différentes modalités de la formation. Je crois que beaucoup de gens confondent les outils (la salle, la plateforme de cours en ligne) et ce qu’y s’y passe. Une dame me disait récemment qu’il n’était pas possible qu’il y ait des émotions en ligne. Et elle me disait cela dans le fil de discussion d’un MOOC sur l’autisme dans lequel circulaient énormément d’émotions, d’échanges entre les participants, etc.
J’ai l’habitude de dire que les outils sont froids mais que c’est à nous d’y infuser de la chaleur humaine.
8. Est-ce que tu ne penses pas qu’en réalité chaque plateforme ressemble à son créateur et que c’est le cas aussi pour chaque MOOCs et formateur ou professeur qui crée le cours ?
Oui, bien sûr. Tous les artefacts humains ressemblent à leur créateur. Pour les plateformes et les formations, qu’elles soient en ligne ou non, c’est pareil.
Une plateforme ou un cours devrait être créé en fonction des objectifs pédagogiques. La première question à se poser n’est pas “comment faire”, mais que voulons-nous atteindre. C’est lorsqu’on sait ce qu’on veut atteindre à travers la formation, qu’on peut faire des choix pédagogiques (méthodes actives, participatives, etc.) ou techniques (plateformes, contenus, médias, etc.).
Et ces choix vont dépendre fortement de la personnalité du créateur de plateforme ou de formation. Ils sont la résultante de son histoire, de son expérience et aussi de sa vision de l’avenir.
9. Est-ce que tu arrives à créer des liens avec tes alumni pendant et après les MOOCs ?
Oui, justement, c’est pourquoi je pense que l’opposition présentiel - distanciel est fausse. Dans le deux cas, les émotions passent - ou pas… Dans tous les groupes que j’ai formés en présentiel, il y a des gens dont je me sens immédiatement très proche, avec qui je me sens en accord dès la première seconde. Pour d’autres, il faut plus de temps pour nous apprivoiser mutuellement. Et enfin, avec certaines personnes, au-delà des échanges de types strictements cognitifs ou fonctionnels, il ne se passe pas grand chose.
J’ai ressenti exactement la même chose lors du MOOC Dys : certaines personnes sont devenues des ami(e)s, certaines me croiseront certainement encore avec plaisir, et il y en a d’autres dont je ne soupçonnerai jamais l’existence, parce qu’elles ont peu ou pas échangé avec les autres ou avec moi, qu’elles se sont tenues comme cachées dans leur coin…
Chacun vient avec son histoire, ses richesses et ses blessures et ce que l’un vient chercher ne ressemble pas à ce dont le voisin a besoin ou envie.
10. La formation que tu as créée est une formation qui change, qui ont un impact sur la vie des personnes que tu formes, est-ce que tu sais ce que tes alumni deviennent après ? Est-ce que tu reçois des nouvelles ? De quelle façon ? As-tu des exemples à partager avec nous ?
Certains gardent des contacts informels : ils m’envoient un email, me téléphonent ou chattent sur les réseaux sociaux. Pour la formation «Créez votre cours en ligne», j’ai créé un réseau de formateurs qui ont suivi cette formation et donc nous continuons à échanger à travers ce réseau.
Pour le MOOC Dys, j’ai également constitué un réseau d’Ambassadeurs et donc à travers lui je peux aussi avoir des informations sur ce que ces personnes sont devenues, si elles ont utilisé ou non les notions vues ensemble.
Je sais par exemple que certains participants ont créé une association “Dys” dans leur département. Qu’une autre participante lance une formation en ligne en graphothérapie. Qu’un autre groupe a envie de se lancer dans la classe virtuelle pour former leur personnel enseignant après avoir participé aux classes virtuelles organisées pendant le MOOC. Des participants se sont inscrits à d’autres MOOC, comme celui sur l’intégration des élèves Dys dans l’enseignement supérieur de FUN.
Nous avons donc réussi à semer quelques petites graines qui deviendront peut-être des plantes vivaces.
Visuel de la brochure du MOOC Dys
11. Un MOOC, c’est un gros paquebot avec un commandant. En es-tu le commandant ? Délègues-tu le management ? Quel genre de management y est appliqué ? Comment cela se passe ? Qui est ton équipe ? Combien sont-ils pour manager un MOOC ?
Dans le cas du MOOC Dys, je n’étais pas le commandant. Par contre, j’étais le seul avec une expérience significative de la formation à distance et des MOOC. J’ai donc pu influer dans une certaine mesure sur la structure du MOOC, sur la façon d’aborder les relations avec les apprenants, sur les façons d’évaluer la participation à travers la gamification, etc.
Nous avions une équipe à géométrie variable. Comme le projet est soutenu par Erasmus+, il y a une équipe internationale composée d’associations portugaises, d’une école professionnelle italienne, d’un service d’appui aux étudiants originaire de Grèce, d’une université roumaine, et de deux entreprises belge et française. Nous avons défini les grandes lignes ensemble avec des partenaires associés comme la FFDYS (Fédération Française des Dys) et d’autres institutions originaires des six pays d’origine et Dyspraxia Ireland, qui a d’ailleurs fourni un fort contingent d’apprenants anglophones. Nous avons aussi eu le soutien de Course Networking qui nous a sponsorisé en nous offrant à la fois la plateforme et le service technique.
Notre langue de travail était l’anglais : nous avons donc conçu tous les contenus dans cette langue avant de tout retraduire dans les langues nationales des partenaires. Certains contenus ont été adaptés ou recréés (transcréation) par rapport au contexte local, c’est le cas par exemple, des contenus légaux ou qui concernent les aides nationales. Pour chaque équipe, il y avait au moins deux représentants qui se réunissent dans un comité de direction. Quant à la gestion des participants eux-mêmes, les Ambassadeurs nous ont beaucoup aidé (je leur suis extrêmement reconnaissant pour tout ce travail bénévole).
Mais la magie des grands nombres a aussi joué : quand vous avez 15 participants dans une formation, vous avez peu de questions. Si vous en avez 120, vous êtes bombardé en permanence. Quand vous en avez 5.000, ils prennent soin les uns des autres : un participant aura probablement répondu à la question d’un autre avant même que vous ayez eu le temps de réagir. C’est souvent ce qui s’est passé pendant le MOOC Dys.
12. Si tu avais quelque chose à changer, quelle serait-elle ?
Je crois que je rendrais le MOOC Dys encore plus participatif, plus connectiviste. J’ajouterais à la semaine 0 (la première semaine, pendant laquelle les participants se familiarisent avec la plateforme, font connaissance avec l’équipe et les autres participants), j’ajouterais plus d’éléments d’explication sur cette philosophie d’apprentissage collectif, sur la valeur de l’expérience partagée. Les participants ont tous un morceau du savoir collectif : en les regroupant on reconstruit un puzzle de la connaissance et rendons l’expérience bien plus intéressante.
Je demanderais peut-être davantage de choses à faire en-dehors du cours en ligne aux participants : rencontrer “physiquement” quelqu’un qui a une autre expérience et rendre compte de leurs échanges, par exemple. Même s’ils n’ont pas pu se mettre d’accord, c’est intéressant de savoir pourquoi.
13. Vous êtes 3 : Cécile, Marco et Rémi. Si vous aviez carte blanche pour faire quelque chose ensemble les uns avec les autres, qu’est-ce que tu aurais envie de proposer aux autres ?
D’abord, je leur dirais bienvenue à bord et puis je les inviterais à une conversation conviviale pour voir ce qu’on peut faire ensemble. Je suis curieux de lire leur interview et de voir les points d’intersection entre nos parcours, les connexions possibles.
Source image : MOOC Dys
Références
S’inscrire au MOOC : http://www.moocdys.eu
@format3_0
@MoocDys
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