Commenter, noter, évaluer un sujet, en particulier le devoir d’un pair,
... d'un collègue, d’un autre étudiant de façon positive n’est pas une chose facile et simple dans un contexte de formation et dans une ambiance de concurrence. C’est pour cette raison qu’un devoir test est souvent glissé dans la série des notations et commentaires à faire. Leurs résultats seront analysés via la plateforme et pourront être augmentés ou réduits dans leur valeur afin de pondérer l’effet des notations sur les résultats finaux des pairs. Pourquoi pondérer ? Parce que certains étudiants sont trop sévères et d’autres sont trop laxistes. Ce processus permet de garantir une relative fiabilité des résultats (1).
Pour les notations, cela demeure assez simple; les encadrants sont face à des chiffres comparés et les résultats peuvent-être automatisés ou semi-automatisés, ce qui devient souvent une nécessité aussi bien dans la mise en place de l’évaluation que dans sa pondération chiffrée. Prenons l’exemple de MOOC GdP de Rémi Bachelet : là où normalement un professeur classique a jusqu’à 100 copies à corriger, sur les premières semaines de ce MOOC, c’est plusieurs milliers de copies qu’il faut évaluer.
Les commentaires par les pairs appliqués
Pour les commentaires par les pairs, les choses sont plus complexes et les objectifs différents. Déjà, si les notations demandent un positionnement juste, les commentaires demandent eux de sortir complètement du cadre de la concurrence classique pour devenir des outils utiles aux projets commentés. Et ceux-ci sont faits de telle sorte qu’ils nourrissent les projets des autres et non pas qu’ils en agressent leurs auteurs. Cela constitue un apprentissage en tant que tel.
Une des formes est la méthode Sandwich qui, résumée, consiste à mettre un commentaire négatif en sandwich entre 2 commentaires positifs. La forme, le fond, la formulation sont autant de paramètres importants à respecter côté correcteur, mais aussi du côté de l’étudiant corrigé qui doit apprendre à recevoir la critique constructive et à y répondre en toute cordialité. C’est un apprentissage qui fait l’objet d’un cours sur le même MOOC GdP (2).
Le processus d’évaluation fait partie des processus d’apprentissage les plus efficaces selon la taxonomie de Bloom (3).
- Au premier niveau : la connaissance ou la mémorisation des informations.
- Au deuxième niveau : la compréhension ou l’interprétation de l’information apprise.
- Au troisième niveau : l’application ou faire un choix et mettre en forme des données pour réaliser une tâche ou résoudre un problème.
- Au quatrième niveau : l’analyse ou mettre en relation, transformer des données, des faits.
- Au cinquième niveau : faire la synthèse ou transformer les données en autre chose.
- Au sixième et dernier niveau, celui qui nous intéresse : l’évaluation ou l’estimation, la critique selon des critères donnés ou à créer. Il faut au préalable avoir intégré tous les autres niveaux pour pouvoir accéder à celui-ci.
L'exemple du GdP-Lab
Si toutes ces évaluations font partie d’une évaluation obligatoire dans un cadre de formation précise, je voudrais partager avec vous un phénomène qui s’est passé entre la session 8 et la session 10 du MOOC GdP dans le cadre de la formation appliqué du même MOOC : le GdP-Lab. Arrivée sur le MOOC en tant qu’étudiante sur la session 4, puis membre de l’équipe encadrante sur la session 5, je fus propulsée coordinatrice de l’ensemble du GdP-Lab de la session 6 à la session 10. Le GdP-Lab se compose de 120 étudiants issus de la cohorte des 7,000 certifiés de chaque session, eux-même sortis des 15 à 25,000 personnes qui s’inscrivent à chaque session.
Sur les sessions 4 à 7, j’ai connu l’époque des évaluations obligatoires. Chaque étudiant dans son équipe de 10 personnes avait 1 à 2 projets à évaluer avec des commentaires à faire parmis les projets de ses concurrents. L'objectif ici n'était pas évaluatif mais pédagogique. Cet exercice avait pour objectif d’enrichir le point de vue de chaque étudiant, de lui permettre de voir d’autre façons de procéder, d’autres sujets. À la fin de la session 7, nous avons eu un souci. Nous nous sommes retrouvés avec une équipe de 8 personnes, dont 7 n’avait pas indiqué leurs heures travaillées (obligatoires dans le processus du parcours). Ils ont été dans un premier temps éliminés jusqu’à la phase de synthèse du Post Mortem.
Prendre soin de l'autre pour arriver à la co-création
Cette équipe de 7 africains issue de pays ayant une faible connexion internet suivait le rythme des autres en asynchrone et recevait difficilement toutes les informations. Là où les autres équipes travaillent ensemble via les vidéoconférences, celle-ci a travaillé presque exclusivement avec le chat de facebook qui était l’outil le plus stable pour eux. Quel courage ! Une performance inédite en réalité. Cette situation n’était pas unique. À chaque session, il y a toujours eu quelques personnes hors des cadres, dont un monsieur qui passait la frontière régulièrement afin de travailler avec ses équipiers car son pays était en guerre sans plus de connexion internet.
Au delà de ces performances du lointain, ce qui m’a le plus perturbé, c’est le 8ème équipier qui ne s’était pas soucié de savoir pourquoi ses collègues n’avaient pas rempli leurs heures alors qu'il savait qu'ils avaient tous travaillé dur. À partir de là, j’ai mis en place un programme de sensibilisation à l’autre : à son équipier, à son absence, à ses difficultés, à sa valeur même si son engagement était moindre que les autres. Si il y avait manquement à ces nouvelles consignes, il pouvait y avoir une minoration des résultats de l’étudiant (outil que nous n’avons jamais utilisé). Et, c’est une campagne qui a rapidement porté ses fruits au delà de nos espérance chez nos étudiants et aussi chez nos encadrants.
Encadrer les autres selon les mêmes valeurs
De mon point de vue de coordinatrice, on ne peut transmettre des savoirs que si on est modèle de ces mêmes savoirs. Si vous fonctionnez selon un modèle hiérarchique, vous allez transmettre vos savoirs selon votre propre modèle hierarchique. Si vous êtes co-créatif, alors vous pourrez enseigner la co-créativité. La co-créativité est de l’ordre de l’intelligence collective, l’ambiance est toute aussi importante que les modèles, que les processus, que les humains qui y participent.
“Il me plaît de ressasser ces souvenirs avec toi. En effet, ancien du GdP lab 9 j'ai beaucoup aimé ce challenge de l'inconnu...
À savoir collaborer avec des personnes issues de pays différents, de cultures académiques, sociales et de modes de penser totalement différents. Aussi bien au niveau des étudiants qu'au niveau des encadrants. Cette difficulté apparente a été surmontée grâce à cette recherche perpétuelle de découvrir l'autre, de partager son expérience pour les uns et ou son expertise pour les autres. Ce qui a permis de créer plus ou moins des liens extra "mooc gdp" (étudiants à étudiants...) facilitant une certaine flexibilité dans les échanges et à la fois dans les prises de décisions et les travaux ou production à réaliser.
Chacun y mettait naturellement du sien quite à "gommer" rapidement une friction née d'un malentendu ou encore à pousser les uns et les autres à donner le meilleur d'eux même pour un résultat commun ( bon ou mauvais)”.
Source : Texte de Ghislain N'GUESSAN, étudiant et encadrant GdP-Lab 9 et 10
et porte parole du programme REED de The COCÖÖÖN
L'empathie et le respect comme clefs de la co-création
Les étudiants , en considérant nos attitudes et notre communication, sont rapidement sortis de leur contexte de concurrence pour devenir attentifs à leurs équipiers, mais aussi aux autres équipiers, aux autres projets sur la session 8, sur la session 9 et sur la 10, et ceci, quelques soient leurs origines géographiques ou ethniques. Ils ont même demandé à avoir une semaine de plus sur leur planning de 11 semaines afin d’avoir plus de temps pour lire et commenter tous les projets. Nous avions créé là, une petite flamme de co-créativité dans la façon d’être et de gérer les projets auprès de plusieurs centaines d’étudiants.
“De la session 8 à 10, ce que j'ai fondamentalement remarqué, c'était l'implication des participants africains et des autres "non européens".
Le GdP-Lab accordait une importance large aux idées et compétences venant des participants des pays du Sud”.
Source : Texte de Mamadi Dramé, étudiant multi-sessions, encadrant GdP-Lab
et responsable de l’Université Numérique en construction de The COCÖÖÖN.
Aujourd’hui, j’ai quitté la coordination du GdP-Lab pour créer un consortium appelé The COCÖÖÖN (4) , toujours avec les mêmes encadrants qui m’ont suivi et nous continuons à transmettre dans cet esprit les connaissances, les nouvelles façons de faire, d’être, de transmettre sur la vague de l’innovation disruptive.
La co-création est une chose fragile que nous cultivons et renforçons au quotidien pour nous-même mais aussi pour les communautés qui nous font confiance pour les renforcer en équipements, informations, formations et guérisons sociales.
Références
(1) L'évaluation par les pairs dans un MOOC. Quelle fiabilité et quelle légitimité ? - par Rémi Bachelet - novembre 2014 - http://www.univ-paris-est.fr/fichiers/R%C3%A9miBachelet_EvaluationPairs-Mooc.pdf
(2) Cours Evaluation par les pairs de MOOC GdP de Rémi Bachelet : https://www.youtube.com/watch?v=EU_emGlxJM0
(3) Taxonomie de Bloom par Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxonomie_de_Bloom
(4) Page Facebook The COCÖÖÖN : https://www.facebook.com/thecocooon/
Source image : Pixabay Geralt
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