Mesurer, établir des statistiques et détecter des corrélations, des écarts vous donnent le sentiment de mieux maîtriser votre sujet... Attention ! Ce sont parfois les premiers signes de la quantophrénie, la maladie qui vous pousse à tout mesurer et à tout quantifier.
Les symptômes ? Vous consacrez moins de temps à concevoir vos formations ou à accompagner vos élèves ou stagiaires. En revanche, vous passez toujours plus de temps devant des tableaux de bord, des infographies et des tableaux Excel ou Libreoffice. La quantophrénie est cette pathologie qui fait passer la production de chiffres avant le contact réel et l’analyse sensible des situations, jusqu’à occulter complètement cet aspect.
Il n'y a pas que les chiffres !
Peut-être n’en souffrez-vous pas personnellement. Mais peut-être est-ce alors vos responsables, vos actionnaires ou vos financeurs, grands amateurs de chiffres. Ils en tirent un sentiment de connaissance, de précision et d’objectivité... Ils n’ont pas nécessairement tort, s’ils savent également évaluer les aspects qualitatifs, relationnels et l’impact réel sur les compétences en situation des formations... Mais si les courbes, histogrammes et tableaux de chiffres deviennent leur seul horizon, ils souffrent de quantophrénie.
Ce terme remonte aux années 1950 et a été créé par Pitirim Sorokin. Il fait référence à une tendance à traduire systématiquement les phénomènes sociaux et humains en langage mathématique (Sorokin, 1959). Par extension, la quantophrénie désigne cette maladie de la mesure, du ratio, des données chiffrées qui fait oublier les finalités d’une action.
Quelles conséquences ? Le rapport temps passé à évaluer et à rendre compte/temps passé à former va atteindre des seuils critiques. La volonté de contrôler et de gérer finement viennent paradoxalement parasiter le fonctionnement et nuisent à l’efficacité. Et pour pousser cette analyse pessimiste, il serait sot d’espérer un soulagement des solutions de traitement numérique : quand les outils se perfectionnent, des contrôleurs ou analystes passionnés de chiffres comprennent qu’ils permettent plus de détail dans le traitement des données. Ils veulent davantage d’informations... Et la charge de travail lié aux comptes-rendus reste stable.
Le e-learning, les plateformes se prêtent à ça !
Les plateformes de formation à distance vous donnent la possibilité de creuser et d’aller très loin dans la production de données et le suivi de votre activité. Elles donnent le sentiment qu’un simple clic permettra d’éditer des tableaux de bord adaptés. C’est un argument de poids pour les éditeurs, d’autant que nous avons de multiples interlocuteurs : le stagiaire, sa direction, le financeur, le responsable hiérarchique, le ou la DRH...
Dans le concret du bureau du formateur à distance, c’est un peu plus compliqué... Éditer l’information utile et adaptée à chacun de ces publics n’est jamais immédiat. Les services d’aide en ligne vous répondent en cœur que « c’est possible et qu’il suffit de modifier les paramètres »... Mais ils se gardent bien de vous dire quels paramètres ! Si vous insistez, le commercial vous propose une formation en inter de deux jours qui consacre une heure à la découverte des paramètres avancés... Vous n’insistez pas.
Les plateformes produisent des chiffres. Beaucoup de chiffres en tous genres pour mesurer l’assiduité, la fréquentation des ressources, le nombre de clics, le nombre tentatives pour chaque évaluation, le temps moyen consacré aux séquences, les contributions aux forums,...
Cet excès d’information lorsqu’il est visible par le stagiaire est souvent source d’angoisse. Dès qu’il y a un grain de sable, un dysfonctionnement, une mauvaise communication entre les fichiers scorm et la plateforme, les appels pleuvent. Il faut rassurer, et se débattre pour expliquer que ce qui compte, c’est la formation. Dans le tutorat technique, rassurer sur ce que renvoie la plateforme comme information au stagiaire quant au suivi des temps, des connexions ou des résultats peut prendre beaucoup de temps !
Rien n’interdit, dans une logique de diffusion de bonnes pratiques que cette tendance gagne également du terrain dans les formations en présentiel.
Un débat qui ne se limite pas à la formation
La quantophrénie ne s’arrête pas à l’évaluation ou au suivi des stagiaires en formation à distance. Cela fait quelques années que des auteurs dénoncent une société « malade de la gestion» comme le fait Vincent de Gaulejac depuis quelques années.
Pour alimenter le débat sur l’excès de chiffre et de gestion, Marie-Hélène L’Heureux et Steve Jacob ont recensé et classé les arguments que des auteurs opposaient à la quantophrénie ou à la gestionnite.
La lecture de la liste en fin d’article illustre bien que les auteurs qui s’opposent sur l’utilisation poussée de la mesure et l’analyse mathématique débattent en fait de choix de société, de liberté et de relations entre les personnes.
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Ainsi la formation ne concerne plus seulement les ressources humaines mais aussi le marketing, les ventes, les relations avec le public et aussi avec les fournisseurs ! En d’autres termes, la responsabilité de la formation commence à échapper aux ressources humaines et migre vers une fonction à part entière, dont la formation des ressources humaines de l’entreprise n’est qu’une partie.
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