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Publié le 11 mars 2019 Mis à jour le 11 mars 2019

Pas de différence significative

Cours à distance, ou hybrides, ou assistés, ou animés, ou inversés, ou... l'efficacité du e-learning

Quel est l’impact d’une formation en ligne sur l’apprentissage ?

Du point de vue des spécialistes de la eformation, des vendeurs de technologie, de logiciels et des concepteurs de dispositifs, il est sans commune mesure avec les cours en présentiel. Il permet un surplus de motivation et de mémorisation, un accès à des contenus à toute heure et en tous lieux, des liens nouveaux avec des personnes distantes, la réelle possibilité de personnaliser son parcours.

La batterie d’arguments fait désormais appel au fonctionnement du cerveau pour étayer des choix financiers, organisationnels et pédagogiques. Mais la réponse à la question semble moins tranchée quand on s’intéresse aux données de la recherche de façon plus serrée. Que disent les articles de recherches et les ouvrages scientifiques ?

La première chose que va poser un chercheur est de savoir ce que l’on souhaite mesurer et avec quelle méthode. L’European centre of excellence reprend différents critères d’évaluation des programmes de formation par eformation pour en évaluer des domaines de qualité spécifique. Les critères de conception du cours varient en effet selon les auteurs pour Ehlers (2004), il s’agit d’évaluer ce qu’apporte le tutorat, la collaboration, la technologie, les coûts/bénéfices, la transparence de l’information, la structure de l’information, la didactique.

La conclusion des travaux d’Ehlers tend à démontrer qu’un dispositif en ligne doit répondre aux profils et aux préférences individuelles des apprenants pour être efficace. Pour sa part Badrul Kahn (2005) identifie des critères tels que : la dimension institutionnelle et administrative, la dimension pédagogique de l’enseignement et de l’apprentissage, la dimension technologique, la conception de l’interface, l’évaluation des élèves et de la qualité de l’encadrement et de l’apprentissage, la gestion et la maintenance de délivrance du cours, l’accompagnement et l’assistance en ligne, les considérations éthiques. Ces nombreux critères d’excellence sont-ils toujours de mise chez les promoteurs de eformation ?

La formation en ligne se déploie différemment pour des enfants ou des adultes

La variété des publics rend toute généralisation sur les bienfaits de la formation en ligne présomptueuse. Pour les enfants, le ministère de l'éducation américain a réalisé une méta-analyse sur les études concernant la formation en ligne. L’objectif était d’établir des recommandations pour généraliser un système mixte associant enseignement en ligne et présentiel dans l’enseignement primaire et secondaire. Pour la période allant de 1996 à 2008, ce sont plus de 1000 études qui ont été recensées. Seulement 46 comportant des données comparables ont été compilées. Le résultat montre que les apprenants qui suivent des enseignements en ligne réussissent mieux, et que ceux qui suivent des enseignements en ligne ainsi que des enseignements en face à face réussissent encore mieux. 51 facteurs ont été pris en compte pour obtenir ce résultat qui accrédite la puissance du modèle mixte. La critique de ce travail réside probablement dans la méthode qui a écarté 954 études dont on ne sait si elles sont favorables ou défavorables à l’apprentissage en ligne.

Dans la formation continue, plus particulièrement la FMC (formation médicale continue) les méta-études réalisées, malgré un engouement des apprenants, ne montrent « pas de différences significatives » entre des cours mixtes et des cours seulement réalisés en mode présentiel.

Les auteurs s’appuient sur les niveaux d’évaluation de Kirckpatrick (réaction – apprentissage – comportements – résultats) pour mettre en évidence l’impact de la eformation. Ils recensent 9 études utilisant des groupes apprenants en ligne et d’autres apprenants avec des modalités classiques. Pour ce qui concerne l’acquisition de connaissances, ils ne notent pas d’écarts significatifs, de même pour les compétences cliniques quel que soit l’étalement du cours dans le temps, les modules interactifs avec le participant améliorent les paramètres d’apprentissage. Ils notent également qu’un design complexe n’est pas le gage de meilleurs résultats d’apprentissage. Dans les bonnes pratiques identifiées ils notent que l’utilisation de système de relance par e-mail/SMS contribue à une meilleure implication dans les programmes de eformation. L’apprentissage à partir de cas clinique, ou de résolution de problème est équivalent à distance ou en présence. Enfin les « jeux sérieux » ou l’utilisation de jeux pour favoriser l’apprentissage n’ont pas montré leur efficacité.

Les travaux de Fenouillet et Déro (2006) s’appuient sur 35 recherches menées dans la littérature scientifique anglo-saxonne. Les auteurs pointent les biais relatifs à ce type d’étude. D’une part la difficulté de comparer des méthodes pédagogiques est patente tellement il y a de paramètres à prendre en compte. Les biais méthodologiques sont immenses. Ensuite, la variété des pratiques rassemblées sous l’expression eformation empêche toute comparaison. En effet quoi de commun entre :

  • Une navigation sur Internet, un accès à des sites contenant des informations utiles pour une formation (connaissances ou expériences) en ligne (exerciseur web)
  • Des espaces de discussion en ligne avec ou sans vidéo (tableau blanc, WEB TV), Audio/vidéoconférence (flux audio et vidéo)
  • Le téléchargement d’objets pour une utilisation locale
  • La communication asynchrone par courriel, liste de discussion ou forum via des platesformes

Et que dire quand ces formats sont combinés entre eux ou avec des modalités présentielles ? Pour les auteurs « il est impossible d’affirmer si deux méthodes pédagogiques reposant sur de grands principes généraux sont strictement équivalentes » mais « il paraît possible de dire que le e-learning ne semble pas être un handicap pour l’apprentissage et l’enseignement ». Il y a donc une part de savoir-faire pédagogique qui va bien au-delà de la seule exposition à des formats technologiques.

Le facteur technologique joue un rôle

Comme il vient d’être rappelé, un des travers souvent observé est d’imaginer que la technologie est neutre : un MOOC, un LMS, un apprentissage adaptatif, des vidéos, des réseaux ou communautés en ligne seraient équivalentes dans leur potentiel d’apprentissage. Rien n’est plus faux. La thèse réalisée par Simard (2018) sur la base de 16 méta-analyses examinant 862 études primaires et concernant 200 000 apprenants montre un impact accru des technologies les plus récentes sur l’apprentissage.  Cependant pour Simard, les recherches portant sur l’efficacité de la FAD selon les avancées technologiques n’en sont qu’à leurs débuts. Ce constat ne valide pas que les avancées technologiques sont une panacée pour l’apprentissage. Il indique juste que l’ergonomie des dernières technologies est un facteur favorable.

Des différences sont perceptibles selon les modalités pédagogiques mobilisées

Marcel Lebrun s’efforce de promouvoir la qualité de la formation à distance. Il assure notamment la promotion de la classe inversée. Cette modalité démontre-t-elle un intérêt pédagogique ? Tout d’abord Lebrun nous rappelle que « Parler de l’efficience (ou de l’efficacité) d’un outil pédagogique nécessite de se référer aux méthodes dans lesquelles cet outil prendra place et plus loin encore aux objectifs éducatifs qui les sous-tendent ». Si l’objectif est la mémorisation ou l’autonomisation de l’apprenant l’impact technologique diffère. La mémorisation se satisfait plus sûrement d’interactions contrôlées quand l’autonomisation suppose une exploration par soi-même des limites d’un système. Pour Lebrun, l’analyse, le sens critique, l’évaluation, la créativité ou encore la recherche et la validation d’informations sont le plus souvent hors de portée de tests standardisés. Cela limite la portée des analyses quantitatives sur les effets de la eformation. Pour Lebrun les études révélant peu de différences significatives avec ou sans usage de technologie s’expliquent parce que :

  • les ressources pédagogiques n’ont pas été refondues (le véhicule technologique n’améliore pas le contenu transporté);
  • les objectifs, les méthodes et les formes d’évaluation sont difficilement comparables car ils changent de nature;
  • les modes d’évaluation sont révélateurs de ce que l’on sait observer (restitution d’un contenu) et peinent à rendre compte de nouveaux savoir-agir.

La posture de l’enseignant est un facteur essentiel

Si la technologie seule n’explique pas tout alors, l’enseignant a un rôle. Un des facteurs les plus évoqué est la « présence enseignante ». Cette présence serait un facteur prédictif de la qualité pédagogique selon la recension de 157 études réalisées entre 2008 et 2014. Cette présence influerait positivement sur la présence sociale la présence cognitive et l’existence d’une communauté d’apprentissage en ligne. La recension laisse également apparaître le rôle des étudiants notamment dans l’autorégulation de l’apprentissage qui compenserait des manques de présence enseignante. Mais les études sont insuffisantes pour expliquer le phénomène d’abandon des apprenants en formation à distance.

Le temps nécessaire

Les pratiques de formation numérique ont remis sur le devant la scène la question de l’efficacité des méthodes pédagogiques. C’est une bonne chose, mais il est fort difficile d’en dégager des certitudes tellement les méthodes dépendent des situations, des enjeux, des profils d’apprenants et d’enseignants. Le risque serait de faire des généralisations abusives en prétendant avoir décelé un graal pédagogique. Ce à quoi nous incite les méta-analyses c’est avant tout à de la prudence. Celle-ci est bienvenue quand des dirigeants modernistes prétendent innover en insufflant des doses intenses de technologies sans prise en compte l’adaptation de la dimension pédagogique et des temporalités associées.

On provoque des effets variés à combiner le temps court de la technologie, le temps long de mise au point des usages dans des systèmes déjà constitués et enfin des temps très longs de recomposition d’imaginaires de la part des concepteurs, organisateurs, financeurs et animateurs de formation que de celle des apprenants.

Source

Digiformag http://pedagogie.uquebec.ca/portail/le-tableau/publications-2013/vol-2-no-1-la-conception-de-cours-a-distance/lenseignement-a-distance

HAS Santé https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2015-09/4e_partie_guide_e-learning.pdf

Fenouillet, F., & Déro, M. (2006). Le e-learning est-il efficace? Une analyse de la littérature anglo-saxonne. Savoirs, (3), 88-101.

Simard, Y. (2018). L'efficacité de la formation à distance au niveau postsecondaire: une méga-analyse.

Classes inversées, les effets : I. Les « résultats » des élèves et des étudiants http://lebrunremy.be/WordPress/?p=882

US Department of education - Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies 2009 https://www2.ed.gov/rschstat/eval/tech/evidence-based-practices/finalreport.pdf

Deaudelin, C., Petit, M., & Brouillette, L. (2016). Assurer la présence enseignante en formation à distance: des résultats de recherche pour guider la pratique en enseignement supérieur. Tréma, (44), 79-100. https://journals.openedition.org/trema/3411

European Center of Excellence https://www.excellerat.eu/wp/

Khan, B. H. (Ed.). (2005). Managing e-learning: Design, delivery, implementation, and evaluation. IGI Global.

Ehlers, U. D. (2004). Quality in e-learning from a learner's perspective. European Journal of Open, Distance and E-learning, 7(1).

UNISTRA https://sfc.unistra.fr/la-formation-continue-a-luniversite/des-formations-evaluees-et-certifiees/le-modele-kirkpatrick/


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