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Publié le 24 février 2019 Mis à jour le 24 février 2019

Organisations apprenantes sans enseignants

L'organisation et les règles d'un collectif peuvent-elles suffire à le rendre apprenant ? Que pouvons-nous apprendre des communs ?

Dans un document publié par l’UNESCO en février 2018, Rita Locatelli propose de voir l’éducation comme bien public et bien commun. Cette proposition réaffirme la place incontournable de l’état, responsable et garant de l’éducation, tout en affichant une vision humaniste de l’éducation et sa place stratégique pour préserver l’intérêt général et le développement sociétal.

En contrepoint, l’auteur propose aussi d’avoir une approche par les communs qui

"remet en question le modèle utilitaire actuel qui considère l’éducation comme un simple investissement socioéconomique individuel. Elle privilégie une approche humaniste qui place au centre les personnes et leurs liens avec la communauté."

L’approche par les communs

"Elinor Ostrom, prix nobel d’économie pour son travail sur les communs, affirme que les humains ne répondent pas toujours à des logiques d’intérêt personnel mais que grâce à la communication, il peut exister des formes de coopération qui pourraient servir de moyens de régulation sociétale." (R. Locatelli)

Les communs sont ainsi caractérisés par une ressource en accès partagé, un ensemble d’acteurs qui a un ‘faisceau de droits’ sur cette ressource (accès, prélèvement, usage, revente, copie, …) et une structure de gouvernance qui assure la préservation de la ressource et c’est cette structure régulatrice qui fait le commun. Il peut être intéressant d’interroger ces formes de coopérations pour analyser nos organisations scolaires et voir comment les faire évoluer en s'appuyant sur l'organisation et la régulation des relations entre les différents acteurs.

De telles organisations existent et peuvent nous éclairer pour repenser l’école. Passons en revue quelques exemples inspirants …

Wikipedia

Wikipédia est un projet encyclopédique dont le contenu est librement réutilisable. Tout le monde peut y contribuer, dans le respect des principes fondateurs et des règles de fonctionnement. La logique de Wikipédia n’est pas de s’appuyer sur l’expertise des rédacteurs mais sur la neutralité et la vérifiabilité des informations publiées. C’est ainsi le processus même de rédaction qui garantit la qualité de l’encyclopédie. On peut reprendre la conclusion de l’article «La vigilance participative». Une interprétation de la gouvernance de Wikipedia de Dominique Cardon et Julien Levrel :

"Pris individuellement, les wikipédiens sont bien moins savants que les savants, mais en s’imposant à chacun de demander aux autres s’ils ont vérifié, sourcé, équilibré, etc., leurs productions, bref, en veillant à ce que les autres aient fait l’effort de découvrir, et ceci, sans jamais interroger le savoir de ceux qu’ils pressent de chercher, ils font advenir une forme de production de connaissance plus solide que celle des savants."

Il est clair que le projet de participer à cette aventure mondiale de construction d’une encyclopédie dans une logique de partage et de collaboration est un élément très fort pour motiver les contributions.

L’article dans son ensemble met en avant les effets de la médiation et de la régulation entre pairs pour faire advenir des contenus riches, équilibrés et vérifiables.

Les fablab

L’entrevue croisée «Commencer à apprendre dans un FabLab» nous apporte quelques éléments sur l’émergence d’apprentissages dans ces tiers-lieux. Ainsi, selon Matei Gheorghiu, sociologue spécialiste des organisations émergentes,

"Il n’y a aucun apprentissage individuel ou collectif possible en dehors d’un projet (si on admet que l’apprentissage par cœur de normes et de codes n’est qu’une composante mineure du processus d’apprentissage) ; ensuite, un projet est l’occasion d’apprentissages croisés et multiples, qui prennent place à différents niveaux."

On retrouve bien la logique de pédagogie de projet avec la particularité que ce sont les makers qui apportent leurs projets, les partagent et fédèrent un collectif. Le fabmanager y tient un rôle de médiateur et d’intermédiateur pour faciliter la réalisation de ces projets.

Les RÉRS

Les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs ont pour but de permettre aux membres de transmettre et d’acquérir des savoirs (connaissances et savoir-faire) dans un échange réciproque. Leur charte stipule que :

  • Article 3 : La transmission des savoirs ne donne lieu à aucune contrepartie financière. L'offreur qui transmet un savoir ne perd rien de ses connaissances.
    Le demandeur est invité à offrir à son tour un ou plusieurs de ses savoirs. Il n'y a pas lieu de mettre en place une hiérarchie ou un étalon quel qu'il soit pour mesurer la valeur relative de ces savoirs.

  • Article 5 : Tout membre d'un R.É.R.S. aura le souci d'aider chacun à identifier ses propres savoirs et les moyens de les transmettre à d'autres, tout en l'aidant à élaborer ses demandes d'apprentissages et de formations.
    Le souci de la réussite de l'autre est indispensable pour approfondir son propre savoir.

  • Article 7 : La valorisation individuelle développée au sein des R.É.R.S. doit se vivre comme une école de citoyenneté. À ce titre, il est important que la création collective reste un des objectifs des R.É.R.S. Il faudra donc faire en sorte que les échanges de savoirs débouchent sur des initiatives collectives.

Ces trois articles posent un cadre fort sur la valeur des savoirs échangés, l’organisation entre pairs, l’apprentissage collectif qui en résulte et la nécessité de viser des créations collectives.

L’école 42

Cette école n'est pas construite comme un commun mais son organisation s'en rapproche ; c'est la raison pour laquelle il nous semble intéressant de l'analyser aussi.

«Les chroniques d’une noyée» de Laurène Castor nous plongent dans la «piscine» cette école où les participants vivent cette aventure sans apport théorique ni cours formel mais uniquement en étant confrontés à des exercices et des projets. En parcourant ce carnet, on y trouve des anecdotes intéressantes dont deux me semblent tout à fait pertinentes à propos des règles instituées pour soutenir les apprentissages :

  • " lors de la soutenance [d'un travail de groupe] le nageur qui a le plus de difficultés à expliquer l’exercice ou à répondre aux questions reçoit la note ; et cette note devient la note du groupe" : il est donc primordial d’aider les personnes les plus faibles pour que chacun obtienne une bonne note. L’essentiel n’est pas que les meilleurs réussissent mais bien que tout le monde ait compris, appris et développé les compétences visées.

  • "à 42, on a le droit d’aller sur internet, de discuter et de réfléchir à plusieurs. MAIS, même si on est censé brainstormer en groupe, il faut quand même être capable de refaire les exercices seul (il ne suffit pas de comprendre, il faut savoir refaire)" : Cette nuance quant au niveau de maîtrise de chaque apprenant est non-négligeable.

Synthèse

Plusieurs points communs ressortent de l’analyse de ces différentes organisations apprenantes sans enseignant :

  • Les membres ont (ou doivent avoir) le soucis de l’apprentissage de leurs pairs : chacun doit progresser avec le collectif, on ne laisse personne au bord de la route !

  • Les apprentissages se réalisent dans le cadre de projets, qu’ils soient proposés par une autorité ou qu’ils émergent du collectif.

  • Il apparaît nécessaire de définir des missions (facilitateur, médiateur, intermédiateur, régulateur, …) pour soutenir le collectif et faciliter l’apprentissage de chacun.

Ces différents principes se retrouvent dans la pédagogie ouverte présentée sur le blog Prodagéo et synthétisée dans le schéma ci-contre.

Même s’il peut être compliqué de concevoir des écoles sans enseignants, ces quelques exemples interpellent et tendent à envisager l’enseignant comme créateur et/ou facilitateur de situations d’apprentissage.

Cependant, le dossier de Rita Locatelli qui définit aussi l’éducation comme un bien public positionne clairement l’enseignant comme garant des apprentissages des élèves (aussi bien en étendue et qu’en qualité). Cette double mission de l’enseignant se retrouve bien dans les pédagogies par projet ou problème. Faut-il pour autant ne plus enseigner que selon ces principes ?

Rien n’est moins sûr, la diversité des approches pédagogiques est toujours un principe pertinent !

 

Références

Rita Locatelli, février 2018, Recherche et perspective en éducation - réflexions thématiques l’éducation comme bien public et bien commun : remodeler la gouvernance de l’éducation dans un contexte en mutation. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000261614_fre (visité le 21 fevrier 2019)

Les Communs : Interview de Benjamin Coriat,
https://www.youtube.com/watch?v=OsjSqaA3twQ (visité le 21 fevrier 2019)

Dominique Cardon et Julien Levrel, Réseaux 2009/2, La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de wikipedia,
https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RES_154_0051&contenu=article (visité le 21 fevrier 2019)

Laurène Castor, Les chroniques d’une noyées,
https://laurenecastor.com/42-les-chroniques-dune-noyee/ (visité le 21 fevrier 2019)

Thomas Sanz, Entrevue croisée : Commencer à apprendre dans un fablab,
http://www.fablab.fr/entrevue-croisee-apprendre-dans-un-fablab/ (visité le 21 fevrier 2019)

Collectif, Charte des RERS, https://www.rers-asso.org/charte.htm (visité le 21 fevrier 2019)

Jacques DUBOIS, pédagogie ouverte, présentation à partir d'un exemple,
http://prodageo.wordpress.com/2012/11/27/pedagogie-ouverte-presentation-a-partir-dun-exemple/ (visité le 21 février 2019)


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