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Publié le 24 février 2019 Mis à jour le 24 février 2019

Serious game et perception du réel : lecture documentarisante et potentiel cognitif - Sébastien Allain

Une thèse qui nous permet de comprendre les ressorts fictionnels des serious games

Serious game et perception du réel : lecture documentarisante et potentiel cognitif
Sébastien Allain.

Objet de la thèse

Le cinéma documentaire, avant le serious game, mettait déjà en scène des évènements. Cette thèse montre que les théories et pratiques du cinéma documentaire servent les concepteurs pédagogiques de serious game pour favoriser l'acquisition de nouvelles compétences chez l'utilisateur.

Préambule

L’auteur rappelle l’histoire des serious game à compter de leur basculement de jeux individuels vers des choix d’institutions à partir de 2002. L’idée était alors de  former en masse des salariés. Ce qui était des jeux vidéo inspire Sawyer et Rejesky dans leur «Serious Games Initiative». Ils redéfinissent l'utilisation qui peut être faite du jeu vidéo pour apprendre. Les serious games empruntent au monde du jeu vidéo ses technologies et savoir-faire, notamment en matière de «gameplay».

Le principe fondateur préserve une dimension ludique sans que l’objectif premier ne soit le divertissement.  La définition proposée du serious game  est la suivante « défi mental, entrepris avec un ordinateur selon des règles spécifiques, qui utilise le divertissement pour favoriser au niveau gouvernemental ou entrepreneurial l'entrainement, l'éducation, la santé, les politiques publiques, et les objectifs stratégiques de communication".

Le gameplay est au cœur de la structure du serious-game. Cette expression est composée de deux mots game et play.

  • Le «game» désigne la structure ludique et les règles pensées par le concepteur,
  • alors que le «play» précise le degré de liberté d'action que s'octroie l'utilisateur.

Il y a donc d’une part "le plan du contenu (la structure de jeu, le game) et le plan de l'expression (le play, l'actualisation de la structure par une attitude ludique).

Il est attendu du jeu sérieux que ses effets se manifestent au-delà de l'activité ludique, dans un contexte réputé sérieux.

Fiction ou réalisme ?

4 arguments plaident pour la puissance de la fiction :

  • « l'attitude fictionnelle permet de s'immerger dans des situations et d'en dégager des connaissances nouvelles par une activité de modélisation mimétique prenant pour objet des actes du langage, des évènements, perceptions ou encore des comportements »,
  • la fiction permet d'expérimenter un univers clos préservant le droit à l'erreur,
  • la fiction d’un monde imaginaire permet de faire accepter ce qui ne serait pas toléré sous les traits du factuel,
  • la scénarisation liée conjugue en un temps restreint et quelques personnages seulement une multitude de situations et de caractéristiques.

Si le documentaire est difficilement définissable, tout du moins 4 fonctions rhétoriques et esthétiques fondamentales sont identifiées telles que

  1. enregistrer, révéler ou préserver ;
  2. convaincre ou promouvoir ;
  3. analyser ou interroger ;
  4. exprimer.

Pour cela de nombreux formats sont utilisés comme la transcription du réel ou la fictionnalisation du réel, suivant la place accordée à la subjectivité du réalisateur. En fait deux articulations classiques se démarquent  : d’abord la tension documentaire-fiction embarquant le mode d'existence de leurs actants respectifs ; ou bien la neutralité de l'auteur ensuite l’intervention créative pour donner une impression de réalité.

Le docu-doc ou i-doc  est une façon de documenter de manière interactive. Il est antérieur au support numérique. La question se pose de l’usage du réalisme ou recours au trucage pour offrir une reconstitution d’événements ou de phénomènes. De même l’indice d’iconicité allant d’une représentation très symbolique à une photo ou un film participe du choix de traitement du réel et de la façon dont la référentialité a force de preuve.

Cette pratique se nomme « mise en indice du réel ». Mais, pour être opératoire au sens documentaire, il ne suffirait pas que l'image "ressemble à" : le serious game devrait aussi permettre de "remonter vers" un référent. La question de la qualité d’indice d’une image de synthèse est présente dans la conception des serious game.

La thèse montre les différences entre formats mobilisables qui se recoupent et ou se complètent :

  • le jeu sérieux documentaire
  • le jeu docu ou docu-game
  • le jeu de simulation (modèle d’un système réel ou hypothétique)
  • le jeu sérieux (finalité sérieuse, création originale)
  • le documentaire interactif (réalisme, référentialité)

La thèse étudie la place de l’actant et analyse les liens entre les mécanismes cognitifs et les mécanismes discursifs du documentaire, renvoyant eux-mêmes aux mécanismes narratifs de mise en abyme et de métalepse (figure faisant que les niveaux narratifs peuvent être remis en question, enjambés, voire entremêlés). L'exemple emblématique du regard caméra conjugue à la fois la présence d'un alter ego et son intention manifeste d'interagir.

Développement

Pour investiguer la problématique de la fiction et du game play, la thèse explore l'apprentissage lié à la confrontation de points de vue divergents (conflit sociocognitif), par l'intermédiaire d'un serious game monojoueur. L'objectif de la thèse est d'expliquer la construction d'un interlocuteur, fictif ou réel, capable d'opposer un point de vue à l'utilisateur. Pour répondre à cet objectif, le cheminement historique et socioculturel du cinéma documentaire analyse différentes formes discursives et relationnelles du serious game.

La méthode de recherche retenue expérimente 4 configurations du même serious game EHPAD sur un plan d'expérience de 5 mois, auprès de 250 utilisateurs issus de 10 établissements médicaux. L’enquête menée s'appuie sur des questionnaires auto administrés et l’enregistrement de traces d'activités. En plus de ces statistiques qui découlent de l’enquête s'ajoutent 5 focus groups, 3 entretiens individuels et des rapports d'observation. Autant dire un croisement de sources pour faire surgir un faisceau convergent de preuves.

Conclusion

Les résultats de la thèse montrent l'analogie entre serious game et cinéma documentaire. Sur le plan empirique, l’enquête confirme que l'utilisation du serious game en contexte professionnel est propice à l'enclenchement d'une lecture documentarisante.

Ensuite, la comparaison des configurations du jeu démontre l'influence significative de deux figures narratives (mise en abyme et métalepse) sur l'accroissement de la documentarité et de la confrontation des points de vue.

Au final, la recherche aboutit à une "grammaire narrato-cognitive" permettant aux concepteurs de passer d'une écriture documentée, à une écriture documentaire : la compétence visée n'est plus cantonnée dans une fiction, mais étendue de manière réflexive aux énonciateurs réels.

Sources

Télécharger la thèse : Serious game et perception du réel : lecture documentarisante et potentiel cognitif - Sébastien Allain
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00917149

Métalepses du récit vidéoludique et reviviscence du sentiment de transgression, Sébastien Allain, Sciences du jeu, 2018 https://journals.openedition.org/sdj/909

Wikipédia - Mise en abyme https://fr.wikipedia.org/wiki/Mise_en_abyme

 


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