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Publié le 28 janvier 2019 Mis à jour le 28 janvier 2019

Apprend-t-on l'histoire de la bonne façon?

Pour un philosophe américain, notre obsession neurologique du récit nuit à l'apprentissage factuel de l'histoire

Apprendre l’histoire semble un «essentiel». Nous avons tous en tête cette citation du philosophe George Santayana : « Ceux qui ne peuvent se rappeler l’histoire sont condamnés à le répéter. » En effet, nous essayons constamment de comprendre les événements du passé afin d'en tirer des leçons et que les événements négatifs ne se reproduisent pas. Or, un professeur de philosophie a lancé un pavé dans la mare en 2018 en publiant un livre sur comment notre cerveau nuit à la manière dont se fait l’histoire actuellement.

La théorie de l’esprit

Pour Alex Rosenberg, nous sommes programmés du point de vue neurologique pour aimer la narration. Nous sommes donc sensibles aux histoires avec un fil narratif et des personnages auxquels s’identifier. Le problème réside toutefois ailleurs. Nous avons une tendance, prouvée par des neuroscientifiques, à succomber à la théorie de l’esprit. Cette notion signifie que lorsque nous percevons une personne, qu’elle soit vivante ou non, nous essayons de lui mettre des pensées en tête, de lui trouver un fil de pensée.

Par exemple, supposons que nous sommes dans un parc durant une chaude journée d’été et que nous voyons un homme qui se trouve devant un marchand de glaces. Et bien, nous tenterons inconsciemment de deviner le désir de cette personne. Certains diront que cette action est faite pour se rafraîchir tandis que d’autres penseront qu’il avait simplement une fringale d’après-midi. Ou peut-être en achète-t-il une pour ce qui semble être sa conjointe qui l’attend près du vendeur?

Or, si dans cette situation, la théorie de l’esprit n’est pas gravissime, elle le devient un peu plus, selon Rosenberg, dans un contexte scientifique comme l’histoire. En effet, nous sommes constamment en interprétation des grands personnages historiques. Que pensaient les Alexandre le Grand, Marie-Antoinette ou Staline en effectuant certains choix? Le problème est que tous ces individus sont morts et il est impossible de s’entretenir avec eux pour avoir leur point de vue. Alors, beaucoup d’historiens essaient de partir de faits pour interpréter les pensées. Ce qui amène parfois à des aberrations.

Dans son ouvrage, Rosenberg donne un exemple typiquement français. Après la bataille de Sedan en 1870, les historiens affirment que le haut commandement de la France avait étudié la bataille et établi une stratégie pour ne plus que cela se reproduise dans l’avenir. Pourtant, les Allemands entreront en territoire français par ce même Sedan en 1914 et en 1940... D’ailleurs, l’auteur lui-même admet être tombé dans ces narrations plus d’une fois. Or, il considère que sachant ce que les chercheurs en neurologie connaissent du cerveau, il est temps que l’histoire cesse les interprétations et se concentre sur les faits. Il cite d'ailleurs en entrevue quelques ouvrages historiques qui adoptent cette posture.

Doit-on enlever les histoires de l'Histoire?

Ce que Rosenberg apporte est un intéressant point de vue. Il se veut toutefois radical puisqu’il demande de tasser complètement le narratif de l’histoire. Il oppose en fait cette histoire narrative et celle plus scientifique. Or, il s’agit d’une critique qui peut être faite sur l’essai de Rosenberg : les intentions sont louables mais mettre en opposition ces deux aspects semble contre-productif. Nous pourrions même lui rétorquer que de reposer uniquement sur le factuel de l’histoire n’apporte rien à la compréhension de l’humain. En effet, nous sommes composés de ces pensées et émotions qui teintent nos actions et jugements et ceux-ci ont eu des effets sur les grands moments historiques.

En fait, peut-être faut-il voir l’ouvrage de Rosenberg comme une mise en garde sur la narration en histoire. À une époque où des éléments historiques sont repris n’importe comment pour alimenter des discours idéologiques et politiques, il serait temps de proposer des cours et des livres d’histoire effectivement plus basés sur les faits, les sources, etc. Une approche qui montrerait les pans de l’histoire entiers plutôt que ce qui sert le « roman national ». Cela ne voudrait pas dire qu’il n’y aurait plus aucune narration mais celle-ci pourrait être vue comme de la théorie plutôt que des faits à retenir.

Illustration : Foter.com

Références

Chen, Angela. « A Philosopher Explains How Our Addiction to Stories Keeps Us from Understanding History. » The Verge. Dernière mise à jour : 5 octobre 2018.
https://www.theverge.com/2018/10/5/17940650/how-history-gets-things-wrong-alex-rosenberg-interview-neuroscience-stories.

Lenz, Martin. « History Without Narratives? A Response to Alex Rosenberg. » Handling Ideas. Dernière mise à jour : 7 octobre 2018.
https://handlingideas.blog/2018/10/07/history-without-narratives-a-response-to-alex-rosenberg/.

Rosenberg, Alex. "Humans Are Hardwired to Tell History in Stories. Neuroscience Tells Us Why We Get Them Wrong." Time. Dernière mise à jour : 10 octobre 2018.
http://time.com/5418740/history-neuroscience/.

Shackle, Samira. "Can We Learn from History?" New Humanist. Dernière mise à jour : 19 octobre 2018.
https://newhumanist.org.uk/articles/5371/can-we-learn-from-history.

Sussan, Rémi. « Peut-on Apprendre De L’histoire ? » InternetActu.net. Dernière mise à jour : 6 novembre 2018.
http://www.internetactu.net/2018/11/06/peut-on-apprendre-de-lhistoire/.


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