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Publié le 14 janvier 2019 Mis à jour le 14 janvier 2019

Reconnaître et valoriser les compétences issues de l'expérience en santé

L'Université des patients et les patients formateurs

« La rencontre d’une confiance et d’une conscience ». C’est ainsi que Louis Porte définissait la relation entre patients et médecins en 1950. Des événements et des crises dans l'histoire de la médecine, une évolution des relations de pouvoir, une plus grande organisation des patients et un renouvellement du cadre législatif ont bousculé cet équilibre asymétrique. Les malades ne sont plus les objets sur lesquels s’exerce la compétence des soignants.

Ainsi, l’Université des patients procède d’une vision radicalement transformée des rôles. Sa fondatrice, Catherine Tourette-Turgis, affirme que les patients sont porteurs d’une expertise et que les compétences acquises à travers la maladie ne sont pas moins nobles que celles que l’on construirait dans un temps d’étude. Les diplômes universitaires qu’elle propose font se côtoyer des patients-experts et des personnels de santé.

Parallèlement, des formations de médecins laissent une place à des personnes malades, capables d'ouvrir les contenus pédagogiques sur le vécu des personnes atteintes.

Une relation qui se rééquilibre

Catherine Tourette-Turgis a vécu les premières années du Sida aux États-Unis dans les années 80, et a vu émerger une nouvelle alliance thérapeutique. Elle rend d’ailleurs régulièrement hommage à ces patients qui ont appris la maladie en même temps que leurs médecins. Ses expériences lui ont montré combien les personnes atteintes de maladies chroniques s’informent et se documentent, au point d’être au courant de toutes les recherches, des colloques, des expérimentations qui concernent leur pathologie. S’il leur manque parfois une culture scientifique et médicale, leur connaissance spécifique surpasse parfois celle du généraliste. En conséquence, les patients sont de moins en moins disposés à accepter une relation paternaliste avec les spécialistes, comme le met en évidence un article de la revue innovations.

Le patient a accès à toutes les connaissances, mais surtout, est porteur d’un savoir expérientiel. Il vit sa maladie, il connaît les effets des différents traitements et leurs conséquences sur la vie quotidienne. Ce savoir est de plus en plus valorisé. Il englobe des aspects comme la continuité des soins, l’environnement du patient, la relation avec les équipes de professionnels, l’annonce de la maladie, etc.

Au-delà des questions de connaissances, les années 2000 ont fait émerger la volonté du patient. Celui-ci doit exercer sa volonté librement. Les choix en matière de soins sont éminemment subjectifs. Ils expriment un vécu de la maladie, un parcours personnel, des valeurs et une façon de se projeter dans le futur... Et cette volonté ne peut s’exercer sans information partagée et adaptée.

Sur des valeurs plus philosophiques, Catherine Tourette-Turgis s’inspire de Jacques Rancière. Ce philosophe nous dit dans le Maitre ignorant que rien ne permet d’affirmer qu’un enseignant aurait une intelligence d’une nature différente de celle de ses élèves. Le livre pose comme principe l’égalité des intelligences. De même, le professionnel a une expérience plus large, il a un temps d’avance sur le patient,  une habitude de pratiquer son attention et son intelligence sur des questions d’ordre médical. Mais il doit être compris par le patient. Et la compétence du patient, qui est liée à l'expérience de la maladie, doit être valorisée.

Catherine Tourette-Turgis - quelques sources d'engagement pour l'expression des patients

Patients et professionnels formés ensemble

Catherine Tourette-Turgis a des convictions qu’elle exprime régulièrement, à l’occasion de colloques : « une compétence acquise dans l’adversité a la même valeur qu’une compétence acquise dans un dispositif de transmission vertical de savoir — ce n’est pas parce qu’une compétence est acquise dans un groupe de pairs qu’elle a moins de valeur ou de légitimité qu’une compétence acquise de manière traditionnelle. » Comme le sociologue Pierre Bourdieu, elle observe que des personnes ne se sentent pas légitimes et que le langage, les fonctionnements et les institutions renforcent ce sentiment que les savoirs du patient sont moins nobles que les savoirs du soignant. 

Parmi les professionnels, elle constate parfois une « persistance de la confiscation de la catégorie d’expertise par ceux qui prétendent gérer, aider, protéger veiller sur les faibles, les exclus, les vulnérables. »

Parce que la valeur perçue des savoirs est liée à leur lieu d’acquisition, il a semblé naturel à Catherine Tourette-Turgis de créer une « Université des patients ». Les patients et les professionnels qui souhaitent s’engager dans une démarche d’accompagnement sont formés ensemble et préparent un diplôme universitaire. La pédagogie s’appuie sur le plaisir d’apprendre.

En effet, il n’est pas question pour l’Université des patients d’ajouter à la souffrance et au stress de la maladie une pression pédagogique. Certains étudiants diplômés ont rejoint les équipes enseignantes. L’Université des patients a été créée en 2009. Les étudiants formés trouvent des emplois dans le domaine de l’accompagnement des personnes soignées. Ils sont particulièrement importants sur les questions relatives à l’annonce de la maladie, à la cohérence perçue des parcours, à l’environnement socio-économique du malade, au sens qu'il donne à son combat. L’Université des patients traite aussi de thèmes comme le sens de la vie après la guérison.

les patients-experts - quels thèmes

Le savoir expérientiel des patients, qu’ils soient spécialistes d’une maladie ou dans une approche plus transversale, est essentiel à l’évolution de la qualité du système de santé, de la communication avec les usagers et des soins L’Université des patients propose ainsi un espace où les patients et les malades peuvent venir « inscrire leur trajectoire individuelle dans une démarche collective ».

Quand les patients deviennent enseignants

Le Département universitaire de médecine générale (DUMG) de Paris 13 a mis en place un dispositif de patients-enseignants ambitieux. Pour éviter de faire des patients de simples témoins qui viendraient concrétiser des contenus apportés par les enseignants, ils ont fait le choix de les rémunérer comme des vacataires. La pédagogie est concentrée autour de situations cliniques réelles, que les étudiants tentent de résoudre en groupe, dans une pratique réflexive, en étayant leur réponse collective sur des recherches documentaires. Les patients y sont associés, en binôme avec un médecin-enseignant.

Olivia Gross tire quelques leçons sur le profil des patients-enseignants. Ils doivent avoir une bonne culture en santé, dans plusieurs domaines. Un des dangers serait en effet que le patient ne ramène tout à son expérience singulière et ne soit pas capable de faire des liens avec d’autres pathologies ou d’aborder des questions transversales. On leur demande d’être dans une posture bienveillante vis-à-vis des médecins en formation. Si l’expérience vécue est mal digérée, si des relations conflictuelles avec des médecins sont toujours vivaces, le patient-enseignant pourrait ne pas avoir la bonne distance, celle qui permet de partager le vécu de la maladie tout en restant dans un positionnement de formateur. Enfin, l’université de Paris 13 privilégie les personnes qui sont actives dans des associations d’usagers de santé. Ils sont porteurs d’une expérience et d’un vécu collectif qui ne se limite pas à leur situation. Ils sont capables d'intervenir sur les questions juridiques qui relèvent du droit des usagers.

Les compétences de communication sont elles aussi essentielles. Faire preuve d’humour, être dans le questionnement plutôt que dans l’affirmation et se situer dans une « confrontation bienveillante ».

 

Cette démarche s’étend maintenant du monde de la santé au monde social ou médico-social. Elle n’est pas très éloignée dans l’esprit de certaines approches de design-thinking. Elles permettent aux patients de participer à la conception et à l’animation des formations, non pas pour faire doublon avec les formateurs médecins. Ces derniers sont des spécialistes de la maladie, alors que les patients qui s’engagent dans la démarche se veulent spécialistes du vécu.

Illustrations : Frédéric Duriez

Ressources

Boudier Fabienne, Bensebaa Faouzi, Jablanczy Adrienne, « L’émergence du patient-expert : une perturbation innovante », Innovations, 2012/3 (n° 39), p. 13-25. URL : https://www.cairn.info/revue-innovations-2012-3-page-13.html
 
Le site de l’Université des patients, consulté le 9 janvier 2019
http://universitedespatients.org/
 
Catherine Tourette-Turgis, Joris Thievenaz, « La reconnaissance du pouvoir d’agir des sujets vulnérables : un enjeu pour les sciences sociales », Le sujet dans la cité 2012/2 (n° 3), p 139-151.
 
Journée d’étude internationale : « associons nos savoirs » du 24 septembre 2018
http://www.associonsnossavoirs.fehap.fr/
 
Olivia Gross et al., « Un département universitaire de médecine générale au défi de la démocratie en santé : la formation d’internes de médecine générale par des patients-enseignants»,
Revue française des affaires sociales 2017/1 (), p. 61-78.


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