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Publié le 28 janvier 2019 Mis à jour le 28 janvier 2019

Territoire et formation : des potentialités de développement en question. Thèse en sciences de l’éducation - Magali Roux

Le lien entre la professionnalisation des formateurs et développement du territoire

Magali Roux a eu l’opportunité de faire une recherche dans le cadre d’une convention CIFRE dont l’employeur était le conseil régional du Grand Est. L’accès au terrain d’investigation a été facilité et l’immersion réalisée donne à voir la complexité et la richesse des interactions au service du développement d’un territoire.

Cette magnifique thèse explore le lien entre le territoire et la formation. Elle s’intéresse au développement de la professionnalité des formateurs et à leur rôle sur le développement du territoire : « En quoi et comment la dimension politique de la formation professionnelle s’articulerait-elle avec le développement du territoire ? ». Trois hypothèses sont formulées :

  1. La question de reconnaissance du positionnement des acteurs de la formation dans le développement agit sur le développement de leur professionnalisation;
  2. La dynamique de régulation sociale du territoire conditionne le développement du champ de la formation;
  3. C’est à partir de la dynamique des articulations entre le positionnement des acteurs de la formation, la régulation sociale et le territoire que se construisent les potentialités de développement du territoire.

Pour répondre à cette question et à ces hypothèses elle croise plusieurs champs conceptuels tels que l’interactionnisme, la sociologie des groupes professionnels, l’analyse des politiques publiques, les théories socio-économiques du développement.

Tout d’abord, il est rappelé de quelle manière la formation des adultes participe aux processus de construction, d’organisation, de régulation et/ou de transformation sociale. La formation des adultes est présentée alternativement comme une forme d’éducation des adultes, mais plus surement comme un moyen d’émancipation individuel et collectif. Elle échappe aux déterminismes sociaux ou au seul paradigme adéquationniste (formation = emploi) pour entrer dans le champ de la politique.

La formation professionnelle si elle est un moyen d’accéder à une profession et aussi un moyen de peser sur une orientation sociale. Elle vient en effet renforcer les corporations, les syndicats, et participe in fine de l’institutionnalisation de l’État. Dès la révolution, la formation joue un rôle pour faire adhérer les adultes à l’ordre établi, puis au XIXème siècle elle contribue à l’industrialisation du pays, valorisant des figures professionnelles, l’ouvrier, le technicien, l’ingénieur. La création progressive de grandes institutions éducatives, de lois, et de pratiques sociales nouvelles viennent renforcer la consolidation de savoir-faire permettant simultanément de créer de la richesse et d’offrir des emplois qualifiés.

Les politiques éducatives n’auront de cesse de cibler les publics cibles « jeunes privés d’emplois », « chômeurs en reconversion », « salariés actifs en promotion sociale », « salariés en perfectionnement professionnel ». Réforme après réforme, ce sont tous les espaces qui s’institutionnalisent, créant des règles, distribuant des reconnaissances (certificats, diplômes, validation des acquis).

Dans le temps il y a eu alternance de décentralisation et de centralisation des politiques publiques en fonction de l’objectif économique et social poursuivi. Les lois de 82 sur la décentralisation ont notamment pour ambition de situer au niveau des régions les bases de la formation tout au long de la vie.

La thèse rappelle ce qu’est une action publique. L’un des courants cités nous explique que les acteurs expriment et construisent leur rapport au monde. Il s’agit d’« un espace de sens qui donne à voir le monde ». L’action publique serait une construction collective d’acteurs en interaction. L’action publique contribuerait par ailleurs aux ajustements entre les groupes et aurait pour objectif la répartition des ressources, la création ou la compensation des inégalités. Des débats entre acteurs ont ainsi lieu sur le choix des priorités sociales. L’action publique résulte de l’activité d’une autorité reconnue comme légitime sur le plan politique et investie d’une puissance publique.

L’analyse des politiques publiques questionne les différentes acceptions et perspectives du territoire. La perspective interactionniste est ici mise en avant pour comprendre la nature d’un territoire. Le territoire peut en effet se comprendre comme un espace de mise en relation des hommes permettant de penser leur pluralité. Magali Roux nous rappelle les travaux de Goffman (1973) qui questionne les interactions sociales au niveau des individus en tant « qu’unité véhiculaire ». Son approche explore certains aspects de la notion de territoire et renvoie notamment à la notion de contrôle social et de territorialité du moi.

Les interactions se situent au niveau de la dynamique relationnelle des identités individuelles et collectives. « Deux personnes en interaction ne sont jamais simplement des personnes, mais représentent un groupe » (Strauss, 1992). Pour Strauss la motivation et le motif s’élaborent au cours de l’interaction, d’autant que chacun des acteurs traverse ce processus de manière simultanée, constituant alors des positionnements interdépendants. L’auteur de conclure que les interactions constituent des situations de développement en ce qu’elles produisent des effets sur l’identité des individus.

Le territoire se comprend alors comme un espace dynamique d’interdépendance et de codéveloppement. Pour Blanquart (1998), l’espace résulte d’une construction sociale et est issu des processus d’apprentissage collectif auxquels la qualité des liens entre les acteurs a participé. Il nécessite la construction de représentation commune, notamment par le moyen de réseaux d’acteurs impliqués dans sa construction. Le local est encore l’espace de solidarité qui construit de la résistance face aux risques liés aux dysfonctionnements sociaux du capitalisme.

Ferrand (2010) classe les différentes dimensions: administrative, économique, de vie et d’habitat, sociale, culturelle, identitaire, stratégique et de projet. L’approche de Ferrand donne une place centrale à l’identité des territoires dans les questionnements autour des politiques de développement. Le territoire se définit à travers la dynamique qu’il met en œuvre. Ferrand identifie les fonctions de la formation sur un territoire comme composantes du pouvoir de développement du territoire en lui-même. Les fonctions de la formation se caractérisent :

  • sur un plan politique, notamment au niveau de l’adaptation « de la compétence des individus aux besoins de l’économie dans le court terme » et au niveau de l’adéquation entre une formation et un métier.
  • sur le plan économique, comme fonctions liées à l’élévation du niveau de qualification et de la culture de la main-d’œuvre, des fonctions liées au maintien des activités existantes, de l’adaptation des compétences des salariés en cours d’emploi, des fonctions de développement des politiques d’insertion des jeunes et demandeurs d’emploi, de la fonction de développement des « pôles d’excellence », de la fonction d’accompagnement des logiques de projets locaux et de la fonction d’aménagement du territoire

La formation participe aussi à la cohésion des territoires et les entreprises qui les habitent ont à cet égard une responsabilité particulière. L’approche du territoire de Vincent et Loukianoff met en avant le processus en œuvre dans le développement, en tant qu’une «démarche par laquelle une communauté, par voie d’initiatives, tente de maintenir ou d’améliorer, selon les valeurs qu’elle juge prioritaires, les conditions de vie collectives et/ou individuelles ».

Les dimensions du territoire sont richement explorées et dépassent le seul regard géographique. Le territoire est une notion multidimensionnelle aux caractéristiques interactionnelles de développement spécifiques ;

Le cadre théorique est complété d’un regard sur la professionnalisation ou la formation apparaît comme

  • une ressource économique pour le développement social et territorial,
  • un espace d’action continue de transformation collective et sociale,
  • un espace de jeux d’acteurs et de cohésion sociale en termes d’intérêts sociaux et de légitimité,
  • un espace de transaction et de construction sociale,
  • un espace de mise en jeu des stratégies identitaires,
  • un espace de codification et de développement de la société,
  • un espace d’action continue de transformation collective et sociale.

La professionnalisation des acteurs de la formation a été mis en avant dans le développement du territoire par Denieuil (2008) qui explique qu’ils ont fait émerger dans les années 1970 la notion de développement ascendant et approprié. Il s’agissait alors pour eux de résister à la domination de l’État dans une volonté de proposer une alternative sociale.

La formation constituerait ainsi une activité collective de régulation, sur le plan de la lutte contre l’exclusion sociale et de préservation du collectif social. La formation participerait ainsi au développement local. Elle pourrait même être considérée en tant que dispositif d’intelligence territoriale portée par des intentions d’ordre politique, au sens d’organisation des construits sociaux. En effet une vision large de la professionnalisation, pensée comme un processus de transformation des activités, des compétences et des organisations, touche en retour la société dans son ensemble. Plus spécifiquement, la professionnalisation des formateurs se comprend comme un processus politique de transformation sociale ou la revendication identitaire et citoyenne interroge le rapport de force avec les institutions, concernant la reconnaissance de leur rôle et de celui de la formation dans la société. La professionnalisation des formateurs est ainsi traversée par des enjeux professionnels et sociaux liés les uns aux autres.

À partir de ce cadre théorique particulièrement fouillé, Magali Roux réalise une analyse des politiques publiques du territoire et mène une série d’entretiens exploratoires auprès de représentants d’organismes de formation, puis recueille des données à partir d’une observation participante, combinée à des entretiens des entretiens de recherche collectifs et individuels. Ce recueil de données a été complété par un corpus de comptes rendus institutionnels.

Ce que nous apprend la thèse, c’est que la formation des adultes constitue un espace politique de ressources pour la construction et la transformation de la société, à certaines conditions telles que l’existence de pratiques de régulations sociales, la reconnaissance du positionnement des acteurs de la formation, dans le développement du territoire, le besoin d’espaces d’expression et d’expérimentation de leurs positionnements et perspectives, pour participer à la construction sociale.

Pour Magali Roux

« c’est à partir de la dynamique des articulations entre le positionnement des acteurs de la formation, la régulation sociale et le territoire que se construisent les potentialités de développement du territoire ».

La recherche effectuée positionne la formation des adultes comme « levier d’émancipation et comme espace de construction sociale ». La conclusion débouche sur des propositions concrètes de création d’un living-lab démarche concrète de transformation du territoire.

Illustration : giovanni_novara - Visualhunt / CC BY-NC-SA

Source

Territoire et formation : des potentialités de développement en question.  Thèse en sciences de l’éducation - 29 mai 2018. Magali Roux
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01892067/document

 


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