L'action collective semble parfois bloquée
La situation sociale et économique actuelle patine dans bien des régions. Conduire l'action semble de plus en plus difficile. Pour faire un raccourci, les dirigeants diplômés ou élus ne savent plus si bien diriger puisque leurs orientations sont mises en défaut par un désinvestissement élevé dans le travail ou bien par la démultiplication de mouvements, pigeons, bonnets rouges, indignés, ZAD, gilets jaunes, grèves et contestations sociales en tous genres.
Tout se passe comme si le collectif manquait aux entreprises privées ou publiques ; non pas dans les discours, car les commentateurs, journalistes, chercheurs, dirigeants n'ont jamais autant convoqué "le monde du co" dans leurs exordes ou leurs textes, mais dans l'action concrète. Le monde du coopératif, du collaboratif, du codéveloppement, de la coconception, des communautés voire de la coopétition prend aujourd'hui pour bannière l'intelligence collective. Malheureusement l'effort à consentir et les remises en question personnelles et organisationnelles sont si élevées que la réalité est moins bien peuplée de co que dans les déclarations. Comment débloquer l'action collective ?
L'individualisme éthique
L'individualisme est souvent opposé au collectif. Il est perçu comme individualisme matérialiste centré sur soi. La dérive la plus absolue se nomme «hubris», maladie du pouvoir qui se produit quand un individu, persuadé de ses propres qualités, se trouve en situation omnipotente de décision et n'écoute plus que lui-même, sa raison et ses instincts. Pourtant il existerait aussi un individualisme éthique qui pourrait bien fonctionner comme auto-saisissement de soi. Un effort conscient de développement personnel serait à mener par les dirigeants et ceux qui les forment. Sans cette interrogation adressée à soi-même, il y aura beaucoup de difficultés pour passer de l'ego à l'écosystème et pour donner confiance aux acteurs de l'organisation pour céder un peu de leur énergie au collectif.
Le développement de la maturité et de l'efficience des équipes
Il existe plusieurs stades de développement de l'équipe. Il est possible d'en distinguer au moins 4 à partir de critères socioaffectifs et organisationnels.
- L'ensemble d'individus : des individus cote à cote, chacun affairé à sa tâche;
- Le groupe : un début de collaboration ponctuelle et de sentiment d'appartenance;
- L'équipe : chacun est concerné par la tâche et la situation des autres, une cohésion élevée et une capacité de décider ensemble est présente;
- L'équipe performante : chacun va au-delà des attentes et besoins des autres et s'efforce d'augmenter son pouvoir d'agir, sans attente de retour pour atteindre une vision fortement partagée.
Progresser à chacun de ces stades passe par un travail de développement du potentiel du groupe (team building ou team development) mais surtout par de nouvelles postures de celui qui prétend guider les autres. Il est appelé à devenir un leader serviteur, c'est à dire à :
- Mettre en cohérence ses paroles et ses actes (en anglais walk the talk);
- Apprendre à décider par consentement ;
- Informer en continu;
- Créer du pouvoir d’agir;
- Créer des cahiers de doléances et des cahiers de bienveillance;
- Installer du slow management pour laisser le collectif se mettre en place;
- Passer du leadership au followership;
- Imaginer embarquer l'équipe dans le futur et revenir du voyage avec les sensations des progrès à accomplir.
Les communautés d'apprentissage
Les organisations mettent en place des initiatives pour favoriser l'action collective. De plus en plus de processus collectifs essaiment à un moment ou l'adaptation au monde prend tant de noms différents comme : transformation, mutation, transition, changement, ou métamorphose. Ces collectifs ont pour point commun l'apprenance ou pouvoir, vouloir et savoir apprendre qui est la seule voie possible quand tout est incertain complexe, indécidable. Ces communautés se déploient soit comme moyen de réguler et contrôler le personnel dans une visée gestionnaire, soit comme moyen d'émanciper professionnellement les individus et de les faire grandir dans, par et pour le collectif. La première voie est une manipulation quand la seconde libère de la créativité et de l'engagement.
Le pouvoir fédérateur et libérateur du numérique
La pression sociale du petit groupe intime qui pèse sur l'individu change de nature en ligne. La limitation des canaux d'échange et du nombre d'interactions et la régulation de la parole sont moins régulés par des phénomènes d'emprise personnelle, de leadership, ou de règle du jeu du dialogue formelles ou informelles qui se jouent en proximité que par la maîtrise du potentiel des réseaux sociaux et d'une réputation en ligne qui se construit à distance.
Le numérique libre et en réseau est un facteur clé de réinvention des règles et des usages collaboratifs. Il offre un pouvoir d'initiative visible, une possibilité de se lier à d'autres distants, un pouvoir d'agir de façon ouverte et d'affirmer un leadership ou au contraire d'être protégé par l'anonymat. Les nombreux outils d'entraide et de coopération disponibles permettent de mutualiser du temps de recherche, des trouvailles (curation collective), de s'informer à distance ou bien d'enrichir ou de coécrire des textes. Le numérique décuple les possibilités d'agir d'apprendre et d'innover ensemble à distance. Il permet l'exercice démultiplié d'initiative. Par exemple, il augmente la mémoire transactive, cette façon dont les membres d'un groupe ayant partagé une expérience encodée des connaissances, chacun gardant en tête une partie des données, récupérables rapidement par les autres. La puissance de calcul et de mise en lien joue des grands nombres et des niches étroites et s'ajoute à la force des petits groupes cohésifs. Le phénomène de la longue traîne est le contre-pied de la loi de Pareto une multitude de micro influenceurs trouvent leurs audiences singulières.
Dans le même temps il est possible que deux passions singulières se rencontrent plus aisément et qu'une masse indistincte se compose et se redéploye au regard d'un projet fédérateur. Les liens se font et se défont à toute vitesse. Le collectif est mouvant et réagit aux initiatives singulières. Cet apprentissage du collectif comme point de rassemblement et de réalisation d'une tâche ambitieuse au service de tous, puis son dénouement pour de nouveaux défis, fait partie des nouveaux savoir à acquérir pour continuer à se mouvoir dans un monde particulièrement mobile.
Sources
Mémoire transactive http://memovocab.net/glossaire/glossaire_g-m/memoire-transactive.html
Longue traîne https://www.definitions-marketing.com/definition/longue-traine/
Isaac Getz https://www.directions.fr/Gerer/ressources-humaines/2013/7/Partager-sa-vision-et-liberer-ses-equipes-2008235W/
Thot Cursus - La pairagogie fruit prometteur du monde du co https://cursus-edu.cdn.ampproject.org/v/s/cursus.edu/amp/articles/35215/la-pairagogie-peeragogy-fruit-prometteur-du-monde-du-co
Wikipédia coopetition https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Coop%C3%A9tition
Savoirs Les communautés d'apprentissage https://www.cairn.info/revue-savoirs-2017-1-page-10.htm?contenu=resume
Thot Cursus - Le leadership numérique https://cursus-edu.cdn.ampproject.org/v/s/cursus.edu/amp/articles/42335/le-leadership-numerique
Individualisme éthique https://lespoir1.blogspot.com/p/lindividualisme-ethique-rudolf-steiner.html?m=1
Le syndrome d'hubris la maladie du pouvoir - https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychanalyse/le-syndrome-d-hubris-la-maladie-du-pouvoir-3250.php
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