L’apprentissage mobile est certes efficace mais peut l’être davantage.
On estime que 725 millions de personnes auront un téléphone portable sur le continent africain d'ici 2020. De nombreux Africains s'en servent actuellement pour payer leurs factures, transférer de l'argent, jouer et même apprendre. En effet, grâce aux appareils mobiles moins coûteux[1] et à l'essor du développement d'applications éducatives, de nombreux apprenants africains peuvent désormais accéder à des médias éducatifs de qualité en dehors de la salle de classe. Ceci a permis aux entreprises de technologie éducative d'élargir l'accès à l'éducation, en adaptant l'apprentissage aux déplacements quotidiens et habitudes des apprenant.
En plus d'offrir un meilleur accès, l'apprentissage mobile dispose de ces avantages clés :
- Facilité d'utilisation : les apprenants qui possèdent un téléphone portable savent comment utiliser leurs appareils, de sorte qu’il y’a peu de difficultés liées à l'utilisation des nouvelles technologies éducatives mobile.
- Rétroaction instantanée : Les apprenants peuvent recevoir une rétroaction instantanée, comme la notation des questions,
- Apprentissage personnalisé : les contenus pédagogiques sur mobiles peuvent être adaptés aux forces et faiblesses académiques des apprenants, fournissant un complément éducatif approprié qui aide à combler les lacunes cruciales dans l'apprentissage.
Dans cet article[2], nous développons davantage les usages pédagogiques des terminaux mobiles dans l’enseignement. Cependant, bien que l’apprentissage mobile soit une solution très efficace pour répondre aux défis éducatifs du continent africain, cette efficacité peut être largement améliorée si les enseignants africains étaient davantage associés de la conception à l’utilisation de ces solutions technologiques.
La voix des enseignants est marginalisée.
Quand avez-vous entendu pour la dernière fois la voix des enseignants d'Afrique subsaharienne vanter les vertus des téléphones portables dans l'éducation ? Je ne parle pas d'entrevues joliment mises en scène mais de véritables témoignages sur la révolution fondamentale de la pratique enseignante grâce aux terminaux mobiles.
Quand avez-vous, pour la dernière fois, entendu ou lu, que des enseignants en Afrique ne sont pas formés correctement, sont démotivés et que les systèmes d'éducation formelle dans lesquels ils travaillent sont faibles ?
Vous en avez surement entendu davantage sur ce sujet que sur celui des enseignants faisant l’éloge des technologies mobiles. En effet, certains[3] s’appuient sur les problèmes des systèmes éducatifs pour justifier l'exclusion des enseignants de la conception et de l'élaboration des interventions d'apprentissage mobile.
GSMA, l'association des opérateurs de téléphonie mobile, pour ne prendre qu'un exemple, caractérise la profession enseignante d'une manière qui la sépare du progrès et de l'innovation. Les difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants servent de point de départ à la critique, plutôt que de motivation pour s'attaquer aux problèmes systémiques. C'est une erreur de dénigrer le professionnalisme des enseignants africains pour justifier l'utilisation de la technologie dans l'éducation.
Le rôle central des enseignants dans la révolution de la téléphonie mobile.
Au lieu de marginaliser les enseignants, nous devons créer une vision alternative qui valorise et donne la priorité à leur implication dans les développements de l'apprentissage mobile. Tout d'abord, on pourrait commencer par reconnaître que la participation des enseignants est un processus désordonné, qui prend certes beaucoup de temps et de ressources, mais qui s’avère en fin de compte, nécessaire.
Deuxièmement, il faut comprendre que de nombreux enseignants d'Afrique subsaharienne travaillent dans des conditions difficiles et s'appuyer sur des recherches qui analysent la manière dont ces conditions affectent leur enseignement. Une étude réalisée l'année dernière en Tanzanie[4], par exemple, a montré que les enseignants voulaient améliorer leurs qualifications et être respectés, mais qu'ils étaient limités par les ressources limitées et les exigences de la vie quotidienne. Des faits que reconnaît clairement l’Unesco : classes surchargées, élèves mal nourris, bas salaires et charge de travail très lourde.
Enfin, on doit reconnaître que ce sont les enseignants qui soutiendront les élèves grâce à des interventions d'apprentissage mobiles et qui contribueront à garantir leur réussite. Ils ont besoin d'un rôle central dans les partenariats multipartites. Le programme « One Laptop per Child (OLPC) (Un ordinateur portable par enfant) a pratiquement échoué dans certains pays africains en raison d’un manque d’intégration suffisante des enseignants.
Comment restituer aux enseignants un rôle central ?
Deux éléments principaux doivent se produire pour que les enseignants jouent un rôle plus central : la reconfiguration des projets d'apprentissage mobile et un recours accru aux méthodologies participatives et inclusives.
La reconfiguration exige de l'autoréflexion. Nous savons que de nombreux projets d'apprentissage mobile sont financés par d'importants dons effectués dans le cadre des budgets de responsabilité sociale des entreprises. Cela signifie souvent que c'est le bailleur de fonds non expert, et non l'enseignant, qui joue un rôle central. Si les bailleurs de fonds des entreprises prenaient du recul, les enseignants auraient plus d'espace pour assumer le rôle plus central qui leur revient.
Toutefois, ce rôle accru ne peut être soutenu sans des méthodologies appropriées. Les approches participatives du développement remontent au début des années 70 et peuvent encore être utilisées à cet effet. Au Kenya par exemple, on promeut des approches centrées sur l'utilisateur dans la conception, l'utilisation et l'évaluation des technologies.
En définitive, les risques d'accroître la marginalisation des enseignants - et par extension des élèves - ne peuvent être limités qu'en comprenant les pratiques des enseignants, en co-définissant des interventions avec eux et en leur fournissant une formation. Les projets d’apprentissage mobile qui fonctionnent déjà efficacement avec les systèmes éducatifs existants, et non contre eux, devraient être financés en priorité. Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra considérer que l'apprentissage mobile fonctionne pour les enseignants, pour leurs élèves et pour la réduction de la pauvreté parmi ceux qui se trouvent en marge de la société.
Notes et références
[1] Certains sont désormais produits en Afrique et vendus à moins de 30 $. Notamment ceux de l’entreprise sud-africaine ONYX Connect qui, après des années d'importation de téléphones bon marché de Chine, est devenue frustrée et a lancé ce qu'elle prétend être le premier smartphone fabriqué en Afrique.
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